Triste constat«Fondamentalement, les glaciers continuent de souffrir»
de Andreas Fischer
19.2.2021
Malgré l’abondance de neige cet hiver et le trafic aérien réduit en raison de la pandémie de coronavirus, il ne faut pas s’attendre à une reconstitution des glaciers des Alpes. Un expert dresse le tableau.
Les changements climatiques ne se manifestent guère à l’heure actuelle – du moins dans la sphère publique. D’autres questions dominent l’actualité. Et pourtant, même dans le contexte de la pandémie de coronavirus, le réchauffement climatique ne prend pas de pause.
Un de ses effets est observé chaque année dans les Alpes: «Fondamentalement, les glaciers continuent de souffrir», explique Andreas Bauder à «blue News». Glaciologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zürich), il fait partie de l’équipe du réseau suisse des relevés glaciologiques (GLAMOS), qui étudie les changements à long terme subis par les glaciers des Alpes suisses.
«La masse de glace diminue continuellement, cela se poursuit sans relâche», explique Andreas Bauder, en référence à la dernière période de mesure portant sur 2019-2020. Une période de mesure s’étend généralement d’un automne à l’autre, «du minimum au minimum», explique le scientifique. Le cycle commence avec la phase hivernale, lors de laquelle le manteau neigeux se constitue: «C’est à ce moment que le glacier est ravitaillé, pour ainsi dire.»
Au cours du semestre estival, la fonte prédomine, ajoute-t-il: la neige hivernale fond, tout comme la glace en dessous. «La neige qui reste à la fin de l’été contribue alors à nourrir le glacier», explique Andreas Bauder. Récemment, les glaciers des Alpes ont souffert de la faim.
Une fonte estivale extrême
Entre 2000 et 2014, les glaciers des Alpes ont perdu environ un sixième de leur volume total. Dernièrement, un système d’enneigement artificiel d’un nouveau genre a été inauguré sur le glacier de Morteratsch à Pontresiona (canton des Grisons), attirant l’attention des médias. Avec ce système, les glaciologues espèrent pouvoir stopper la disparition des glaciers. Le glaciologue Felix Keller, qui a contribué au développement du projet «MortAlive», sait que «seule une couche de neige peut vraiment protéger les glaciers».
«A quelques exceptions près, au cours des dernières années et décennies, la neige et la glace ont toujours fondu en plus grande quantité à la fin d’un cycle que ce qui est tombé», explique Andreas Bauder. Et cela ne devrait pas non plus changer cette année, malgré des chutes de neige supérieures à la moyenne à certains endroits.
«Nous ne pourrons dresser un véritable bilan qu’à la fin de l’hiver», précise Andreas Bauder. Selon les glaciologues, celui-ci dure jusque fin avril voire début mai en haute altitude. «Jusqu’alors, les précipitations en haute montagne tombent sous forme solide, c’est-à-dire sous forme de neige qui reste et qui sert de nourriture aux glaciers», détaille Andreas Bauder.
Pour l’instant, seuls des relevés intermédiaires sont possibles: de façon localisée, la quantité de neige est supérieure à la moyenne cet hiver. «C’est pas mal, mais cela ne nous indique rien pour le moment, affirme Andreas Bauder. Tout peut changer d’ici la fin de l’hiver.» En outre, poursuit-il, l’expérience nous montre que «nous avons désormais des étés avec une fonte très intense d’une année à l’autre. Même après des hivers avec des chutes de neige supérieures à la moyenne, la fonte estivale a été si extrême que les glaciers des Alpes n’ont pas affiché un bilan positif à la fin de l’année.»
Pas d’effets à court terme
Andreas Bauder suppose que les glaciers reculeront également dans le contexte actuel. Les prévisions des climatologues tendent clairement vers une poursuite de la hausse des températures. Les hivers froids et enneigés ne devraient pas avoir d’effets à court terme.
De même, la quasi-paralysie du trafic aérien mondial suite à la pandémie de coronavirus n’aura aucune incidence, explique-t-il. «Il faut un certain temps pour que de tels effets sur le système climatique aient un impact sur les glaciers.» Inversement, cela signifie que les origines du recul des glaciers observé ces dernières années sont bien plus anciennes. Dans la mesure où le réchauffement climatique s’accentue depuis plusieurs décennies, il ne faut pas s’attendre à une reconstitution des glaciers à l’avenir.
L’homme ne combat que les symptômes
Le glacier de Morteratsch devrait également rétrécir cet été, prédit Andreas Bauder. «Le glacier n’a tout simplement pas eu assez de nourriture au cours des deux ou trois dernières décennies pour compenser les taux de fonte élevés au niveau de la langue.»
«Si les taux de fonte sont élevés mais que l’on amplifie l’augmentation du volume avec des chutes de neige constantes, cela pourra certainement avoir un effet positif», estime Andreas Bauder, qui pense que les systèmes d’enneigement artificiel tels que le dispositif de test qui vient d’être installé par Felix Keller sont une idée judicieuse. «Mais la question reste de savoir si l’on peut produire et déposer suffisamment de neige sur une surface assez grande pour contrebalancer la fonte.» Il s’agit avant tout d’un défi technique, affirme-t-il.
C’est une idée assez absurde que de vouloir employer justement des moyens technologiques pour limiter les effets de l’industrialisation sur la nature. C’est également ce que pense Andreas Bauder: «On ne va pas à la racine du problème, on combat juste les symptômes.»