Il y a 400 ans La défenestration de Prague marquait le début de la guerre de Trente Ans

Ruppert Mayr, dpa

24.5.2018

Il y a 400 ans éclatait la guerre de Trente Ans: une tragédie mise aujourd’hui encore sur le même plan que les deux guerres mondiales du 20e siècle, et qui a traumatisé l’Europe entière.

Ce mercredi matin, le 23 mai 1618, peu après 9 heures du matin, Wilhelm Slavata se trouve dans une position extrêmement délicate, suspendu à une fenêtre du château de Prague à 17 mètres de hauteur. L’homme de 46 ans, haut représentant des Etats de la couronne de Bohême, s’accroche de toutes ses forces au rebord de la fenêtre d’où cinq hommes armés l’ont jeté la tête la première, peu de temps après son homologue Jaroslav Borsita, comte de Martinitz.

Quelques instants plus tard, Slavata ressent une douleur lancinante. Quelqu’un vient de lui taper sur les doigts avec le pommeau d’une épée. Finalement, la douleur devient insupportable, il lâche prise et se précipite dans le vide. Selon ses propres dires, il se cogne l’arrière de la tête sur le rebord d’une fenêtre d’un étage inférieur, et sa tête cogne une nouvelle fois une pierre en atterrissant dans les douves. Une fois Slavata disparu dans les douves, les assaillants se concentrent sur son secrétaire, Philippe Fabricius de Rosenfeld, qui sera à son tour précipité par la fenêtre.

Cet incident entre dans l’histoire sous le nom de «défenestration de Prague». Elle déclenche la révolte des états de Bohême, majoritairement protestants, considérée comme le début de la guerre de Trente Ans. La guerre couve depuis quelque temps. Depuis que l’archiduc Ferdinand, futur empereur Ferdinand II, a limité les droits des états protestants en 1617, les émeutes se succèdent. La défenestration de Prague est une déclaration de guerre des protestants de Bohême à l’empereur catholique. Mais personne ne veut vraiment une guerre, et certainement pas une guerre aussi dévastatrice.

Un tiers des habitants du Saint-Empire romain a perdu la vie

La guerre, si tant est que l’on puisse parler d’une seule guerre, a radicalement changé la carte politique et religieuse de l’Europe, avec des conséquences qui perdurent encore aujourd’hui, comme l’écrit l’historien britannique Peter H. Wilson de l’Université d’Oxford dans son ouvrage de référence récemment publié en allemand. Jamais l’Europe n’avait connu auparavant de conflits militaires d’une telle dimension.

Le nombre exact de victimes n’a jamais été connu. On suppose que sur la population du Saint-Empire romain germanique totalisant 16 à 18 millions d’habitants en 1618, environ un tiers a perdu la vie directement à la suite d’actes de guerre ou indirectement à cause d’épidémies ou de maladies. Certains estiment le nombre de victimes dans toute l’Europe à environ huit millions. Le nombre de morts, de réfugiés et l’ampleur des ravages sont encore aujourd’hui comparés aux chiffres catastrophiques de la Première et de la Seconde Guerres mondiales.

Pendant longtemps, le traumatisme européen a été mis sous le compte des guerres idéologiques et des guerres de religion. Mais avec le recul, il est incontestable que la frontière entre religion, confession, nationalité et intérêts économiques et politiques a traversé les lignes de front. Ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où, en Europe, l’Etat et l’Eglise, la politique et la religion étaient inextricablement liés, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans de nombreuses régions du monde.

La France catholique, par exemple, s’est alliée aux protestants allemands, suédois ou néerlandais contre les Habsbourg catholiques. La France et l’Espagne catholiques ont par ailleurs été pendant longtemps au cœur d’une guerre froide qui a éclaté dans les années 1630, explique Peter H. Wilson.

Les mercenaires pillards: un véritable fléau

Par ailleurs, sur les 67 généraux et colonels des régiments suédois déployés près de Torgau en juin 1637, seuls 12 étaient suédois. Les autres étaient des Allemands, des Finlandais, des Livoniens, des Bohémiens, des Écossais, des Irlandais, des Hollandais et des Wallons. A l’inverse, les troupes impériales des Habsbourg venaient davantage du sud de l’Europe: Espagne, Portugal ou encore Italie.

Les armées mercenaires combattaient d’autres armées mercenaires, la question décisive pour beaucoup étant de savoir qui payait le mieux. Les bandes de mercenaires pillards constituaient l’un des plus grands fléaux pour le peuple. Ne recevant plus de solde après avoir été libérés d’une campagne ou pour d’autres raisons, ils se payaient sur le dos de la population de la manière la plus cruelle qui soit.

Quant aux trois hommes précipités dans le vide, ils ont survécu à la défenestration de Prague. D’après la légende, les trois catholiques seraient tombés sur un tas de fumier qui aurait amorti la chute. Les épais manteaux modernes qu’ils portaient, le sol détrempé des douves et le mur incliné du château auraient contribué à amortir le choc. Par ailleurs, les fenêtres étant petites, les trois hommes ont été jetés sans élan et leurs assaillants ont dû les expulser laborieusement.

Le tas de fumier a probablement été inventé par les insurgés protestants après coup. Leur version s’opposait à celle des catholiques, qui évoquaient une intervention de la Vierge Marie, venue porter secours aux trois malheureux.

Deux des hommes défenestrés ont pu s’enfuir immédiatement. Martinitz a passé la frontière avec la Bavière et Fabricius a pris la direction de Vienne, cœur de la monarchie des Habsbourg et du Saint-Empire romain. Là, il a pu notifier sur le champ la «déclaration de guerre» des protestants à l’empereur. Blessé, Slavata a dû se cacher pendant un certain temps avant de prendre le large, lui aussi.

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