Climat La faim dans le monde ne pourra pas être éradiquée - le facteur climatique

Philipp Dahm

24.12.2020

Chaleur et assèchement: la mer d’Aral ensablée, en Ouzbékistan.
Chaleur et assèchement: la mer d’Aral ensablée, en Ouzbékistan.
Keystone

Les Nations Unies souhaitent éradiquer la faim dans le monde à l’horizon 2030. Mais cet objectif a peu de chances d’être atteint – en réalité, davantage de personnes devraient même souffrir de sous-nutrition dans dix ans. Cette série – dont voici la deuxième partie – nous en explique les raisons.

Des défis mondiaux

Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies s’est vu décerner le prix Nobel de la paix cette année. Mais pour quelle raison? En 2019, près de 690 millions de personnes souffraient de sous-alimentation – et ce nombre pourrait même atteindre 840 millions dans dix ans. L’ONU manquera probablement son objectif d’éradiquer la faim à l’horizon 2030. Et ce, malgré les progrès extrêmes réalisés dans la lutte contre la pauvreté aux quatre coins du globe. Notre série en quatre parties intitulée «Des défis mondiaux» met en lumière les facteurs décisifs. La première partie traitait du facteur démographique, cette deuxième partie traite du facteur climatique, tandis que la troisième partie abordera le facteur humain, avant un bilan en guise de conclusion.

En matière de sous-nutrition, le nombre de personnes souffrant de la faim n’est pas le seul facteur; en effet, la taille des zones cultivées et des pâturages représente un autre facteur permettant de remédier à cela. Le problème est que les changements climatiques en anéantissent une grande partie.

A ce jour, tous les pays du monde se sont engagés à atteindre les objectifs fixés lors du sommet de Paris sur les changements climatiques en 2015 – seuls les Etats-Unis se sont rétractés après l’arrivée d’un nouveau président à la Maison-Blanche en janvier 2017.

Depuis, la recherche ne s’est pas arrêtée, explique Thomas Stocker de l’université de Berne dans une interview accordée à «blue News»: «Des progrès ont été réalisés en particulier dans le domaine des "points de basculement", notamment en ce qui concerne le Groenland et l’Antarctique, mais aussi en ce qui concerne la végétation ou les émissions de méthane en Sibérie, par exemple.»

Professeur de physique climatique et environnementale à l’université de Berne, Thomas Stocker est un éminent spécialiste des changements climatiques. Il a siégé au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2008 à 2015 et est notamment membre de l’Académie américaine des arts et des sciences ainsi que de l’Académie Léopoldine.
Professeur de physique climatique et environnementale à l’université de Berne, Thomas Stocker est un éminent spécialiste des changements climatiques. Il a siégé au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2008 à 2015 et est notamment membre de l’Académie américaine des arts et des sciences ainsi que de l’Académie Léopoldine.
Keystone

Néanmoins, un plus grand savoir ne protège pas les gens contre de grosses bêtises. «Nous ne sommes pas sur la bonne voie», précise le conseiller auprès du Conseil fédéral, particulièrement préoccupé par la sensibilité climatique: les gaz à effet de serre font plus de dégâts que ne l’avait prédit il y a sept ans le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont Thomas Stocker a été membre. «Dans ce domaine, l’état d’alerte n’est pas levé.»

Des changements climatiques aux conséquences financières importantes

L’un des problèmes est l’élévation du niveau de la mer, qui s’accélère selon de nouvelles découvertes «solides», comme l’atteste Thomas Stocker – un phénomène qui pourrait engloutir des terres agricoles fertiles, en particulier dans les deltas comme en Egypte ou au Myanmar.

L’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale depuis 1870.
L’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale depuis 1870.
WikiCommons/Андрей Перцев/Gemeinfrei

«Il y a des pertes de terres, mais la plus grande menace concerne les mégapoles qui se sont développées le long des côtes au cours des 50 dernières années, explique Thomas Stocker. Elles élèvent encore le niveau relatif de la mer par rapport à la zone bâtie en pompant davantage d’eau souterraine – comme au Bangladesh.»

Le danger représenté par une future élévation du niveau de la mer dans la région de la mer du Nord.
Le danger représenté par une future élévation du niveau de la mer dans la région de la mer du Nord.
Dieter Kasang

Le problème concerne «le cycle de l’eau, qui est modifié. Prenez les exemples de l’Espagne ou de l’Afrique du Nord: les zones où l’on cultive des aliments sont déjà à la limite en matière d’approvisionnement en eau.» En cas de réchauffement non contrôlé, cela aura d’importantes conséquences financières, précise Thomas Stocker – dans le cas où ces pratiques seront encore possibles.

«Un changement rapide dans la région des Alpes»

Mais les Suisses ne pourraient-ils pas dire «Nous sommes désolés pour vous, mais nous, nous vivons en altitude»? Comme on peut s’en douter, ce serait trop expéditif: «Les Suisses sont en contact avec le réchauffement climatique mondial, comme je l’appelle, de bien des façons.» Chez nous, l’augmentation de la température est deux fois plus élevée que la moyenne mondiale, souligne Thomas Stocker.

Il en résulte des inondations et des conditions météorologiques extrêmes: «La répartition saisonnière se modifie dans le cycle de l’eau, ce qui a un impact considérable sur le secteur de l’eau, le tourisme et l’agriculture.» Sans parler des conséquences géologiques qui s’ensuivent lorsque des glaciers se retirent des massifs montagneux. «Nous sommes confrontés à un changement rapide dans la région des Alpes», prévient Thomas Stocker.

L’aéroport de Locarno inondé: les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient en raison des changements climatiques.
L’aéroport de Locarno inondé: les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient en raison des changements climatiques.
Keystone

Quittons toutefois les Alpes, qui contribuent peu à l’agriculture et à l’élevage, pour retourner dans des pays comme l’Egypte ou l’Irak, où la population croît fortement au même titre que les températures, ce qui menace les approvisionnements agricoles. Ces points chauds – au sens propre du terme – sont confrontés à un autre défi.

Les pays riches et industrialisés face à un devoir

«A cela s’ajoute le problème de l’humidité», explique l’expert originaire de Zurich. Ces pays sont proches de la mer, où l’évaporation et l’humidité augmentent. La combinaison avec la chaleur rend impossible le travail humain.»

Sécheresse au Yémen: certains pays tels que l’Etat du golfe d’Aden sont confrontés à la fois à un phénomène de croissance démographique et à une hausse des températures.
Sécheresse au Yémen: certains pays tels que l’Etat du golfe d’Aden sont confrontés à la fois à un phénomène de croissance démographique et à une hausse des températures.
Keystone

Mais cela ne signifie-t-il pas que des zones qui n’étaient pas cultivables auparavant le deviennent? «On ne peut pas écarter cela», concède le professeur bernois, qui en précise toutefois les conséquences: les infrastructures devront être déplacées, les sols devront s’adapter à leur fonction et les connaissances devront être transférées. «Cela coûte une énorme somme d’argent.»

Projections du réchauffement climatique selon différents modèles.
Projections du réchauffement climatique selon différents modèles.
WikoCommons/Xavax

Les perspectives ne sont pas très roses, mais la situation n’est pas non plus désespérée, conclut Thomas Stocker: «Si nous, en premier lieu les pays riches et industrialisés, ne procédons pas à des changements infrastructurels pour réduire les émissions de CO2 – j’entends par là la réduction du volume le volume du trafic aérien ou le passage aux énergies renouvelables, par exemple –, nous manquerons l’objectif fixé par l’accord de Paris sur le climat.»

Des points de basculement déjà franchis

Néanmoins, selon l’expert, le point de non-retour a déjà été franchi dans certains domaines. «Il n’y a pas de limite magique, affirme-t-il. «Mais si vous me posez cette question au sujet du Groenland, il est fort probable qu’elle soit franchie. Si votre "point de basculement" se rapporte à nos glaciers, il est également franchi. Ce n’est peut-être pas encore le cas pour le méthane en Sibérie, mais bien sûr, le permafrost fond également peu à peu.»

La limite d’un degré et demi fixée comme seuil maximal par l’accord de Paris sera atteinte dans quelques années seulement. Pour clore la discussion, Thomas Stocker souligne que la crise climatique exacerbe massivement le problème de la faim dans le monde, mais que les mesures nécessaires de protection du climat ne le résoudront pas automatiquement.

Note de la rédaction: cet entretien a été effectué sur Zoom.

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