Plus de 20 ans qu'elle tourne autour de la Terre pour faire avancer la science: la Station spatiale internationale (ISS), qui s'apprête à accueillir Thomas Pesquet, est devenue au fil du temps un laboratoire de pointe, où l'apesanteur n'a pas fini d'aiguiser l'appétit des chercheurs.
Depuis le début de sa construction en 1998, plus de 3.000 expériences ont été réalisées à 400 km d'altitude. Les unes tournées vers la Terre, les autres vers l'exploration spatiale, avec la Lune et Mars désormais en vue.
La Station a atteint son âge d'or, après une longue phase de croissance. «Elle fonctionne à 100% de ses capacités, l'utilisation du laboratoire tel que pensé initialement est optimale», relève Sébastien Vincent-Bonnieu, qui coordonne les expériences scientifiques à l'agence spatiale européenne (ESA).
L'intérieur de l'ISS, grande comme un terrain de foot, s'apparente à une ruche où tous les espaces sont occupés par les astronautes, dont la tâche principale consiste aujourd'hui à réaliser des expériences, pilotées par les chercheurs depuis la Terre. Et à servir de «cobayes».
Photo fournie par la Nasa et l'agence Roscomos de l'ISS filant au-dessus de la Terre, en octobre 2018.
Thomas Pesquet donnant une interview à l'AFP depuis l'ISS, le 30 mai 2017 lors de sa première mission.
L'apesanteur donne accès à des niveaux de détail impossibles à voir au sol.
La science en apesanteur, une aventure spatiale arrivée à maturité - Gallery
Photo fournie par la Nasa et l'agence Roscomos de l'ISS filant au-dessus de la Terre, en octobre 2018.
Thomas Pesquet donnant une interview à l'AFP depuis l'ISS, le 30 mai 2017 lors de sa première mission.
L'apesanteur donne accès à des niveaux de détail impossibles à voir au sol.
Des «mini-cerveaux»
La deuxième mission de Thomas Pesquet
, «Alpha», s'annonce chargée, avec une centaine d'expériences au programme.
Parmi elles, «Cerebral Ageing», pour étudier le vieillissement sur des cellules nerveuses de cerveaux. Ou encore «Télémaque», une pince acoustique de manipulation d'objets sans contact, «Eco Pack», une nouvelle génération d'emballages, un élevage de blob, organisme unicellulaire qui fascine les biologistes...
«Certains demandent ce que Thomas Pesquet va faire de +mieux+ que lors de sa première mission, Proxima. Mais rien en fait, c'est le même métier», estime Sébastien Barde, responsable du Cadmos, structure du CNES (l'agence spatiale française) chargée des activités en micropensanteur.
Les six laborantins de l'ISS se relaient, certains commencent une manipulation, d'autres la terminent. «Les expériences sont pensées sur le long terme, indépendamment des missions. La science y gagne énormément», développe l'ingénieur du Cadmos.
L'ISS «peu équipée» au début
L'étude de l'apesanteur --ou microgravité-- est «passée d'une ère pionnière à quelque chose d'industrialisé», avec des moyens de mesure de plus en plus précis: «Il y a vingt ans, il n'y avait pas d'échographe à bord».
Claudie Haigneré, première femme française à voler dans l'espace, se souvient d'une l'ISS «peu équipée» à ses débuts, et «admire ce qu'elle est devenue, avec des laboratoires exceptionnels».
Les astronautes «cobayes» séjournent en outre plus longtemps: six mois, versus une quinzaine de jours pour les premiers vols habités; la mesure des effets de la microgravité sur leur organisme n'en est que plus pertinente.
Apprentissage permanent
Là-haut, la machine humaine, hyper adaptée à la gravité, est secouée comme dans un +shaker+, et la dégradation observée sur les os, les artères, est proche du vieillissement cellulaire. À la différence qu'au retour au sol, le phénomène est réversible.
«C'est ça qui est intéressant: étudier ce que le corps met en jeu pour revenir à son équilibre, avec d'éventuelles pistes pour des traitements», analyse Sébastien Barde.
«Autant au début de l'ère spatiale, on avait besoin du médical pour aller dans l'espace, autant aujourd'hui, c'est l'espace qui apporte au médical car l'apesanteur permet de mieux comprendre des maladies», a souligné le président sortant du CNES, Jean-Yves Le Gall, sur France Inter.
Ostéoporose, traitement contre la salmonellose, systèmes de purification de l'eau... En 20 ans, «des découvertes majeures y ont été faites», selon l'historien américain Robert Pearlman, et d'autres s'annoncent «prometteuses», comme l'impression 3D d'organes.
On est loin d'avoir fait le tour
Des voix se sont élevées contre le coût de l'ISS, jugé disproportionné au regard des découvertes, au moment où la Nasa cherche à se désengager pour se concentrer sur l'exploration lointaine.
En 2019, l'ex-astronaute Patrick Baudry, qualifait la Station de «bobard». «Depuis la station soviétique Mir, on sait déjà tout ce qu'il faut savoir sur les effets de la microgravité sur le corps,» critiquait-il.
«Discuter du coût est une chose, mais dire qu'on a fait le tour est un peu idiot. C'est comme se demander s'il faut agrandir un télescope parce qu'on aurait vu "assez" d'étoiles !», répond le responsable du Cadmos.
Pour certains scientifiques, insiste-t-il, l'ISS dont la fin est prévue en 2028, est «l'unique moyen d'accéder à leurs thèmes de recherche», en médecine mais aussi en sciences de la matière, pour lesquelles surmonter la gravité est essentiel.
Il y aura ainsi toujours une communauté avide d'étudier les phénomènes sans gravité, pense le physicien Sébastien Vincent-Bonnieu, qui constate d'ailleurs un intérêt «croissant» pour les expériences en orbite. Dans l'ISS ou ailleurs, comme la future station orbitale lunaire.