Retard accumuléLes traitements de l'obésité laissent la pharma suisse sur sa faim
jh
5.2.2024 - 11:47
Espoir pour les personnes en surpoids, menace pour les industriels alimentaires, voire fantasme d'éventuelles économies de kérosène dans le domaine du transport aérien, l'arrivée ces deux dernières années d'une nouvelle génération de médicaments contre l'obésité a ouvert un gigantesque marché pour l'industrie pharmaceutique. Mais les grands noms de la pharma helvétique Roche et Novartis ont accumulé sur ce terrain un retard qui s'annonce d'ores et déjà difficile à rattraper.
05.02.2024, 11:47
ATS
Volontiers devisé par les analystes à plus de 150 milliards de dollars par année pour ces médicaments ciblant l'hormone intestinale GLP-1 – pour «glucagon-like peptide-1» et qui contrôle notamment la sensation de satiété – ce marché est pour l'heure verrouillé par deux sociétés: le danois Novo Nordisk avec Wegovy notamment (sémaglutide) et l'étasunien Eli Lilly avec Mounjaro (tirzépatide).
Sur le seul troisième trimestre 2023, Mounjaro a rapporté 1,41 milliard de dollars (1,22 milliard de francs), un montant multiplié par près de huit sur un an. Wegovy a généré des ventes de 9,65 milliards de couronnes danoises (1,22 milliard de francs également), multipliées par plus huit.
De quoi aiguiser les appétits des géants du secteur. «Avec une population cible considérable et des difficultés éprouvées par les deux seuls acteurs ayant atteint le stade commercial pour contenter la demande, il reste bien entendu de la place pour des nouveaux venus,» expliquent à l'agence AWP les analystes de Lombard Odier.
Roche a consenti en fin d'année dernière à débourser plus de 3 milliards de dollars pour s'offrir le laboratoire californien Carmot Therapeutics et mettre ainsi la main sur trois médicaments GLP-1 en développement, dont deux en amorce de phase II. «L'opération nous ouvre de nouvelles perspectives», avait indiqué début janvier James Sabry, en charge des partenariat du géant bâlois. Le responsable n'avait pas caché son intention de nouer de nouvelles collaborations pour défier le duopole formé par Novo Nordisk et Lilly.
Ironie de l'histoire, le même Roche avait cédé en 2018 à Lilly les droits sur un agoniste du récepteur GLP-1, l'orforglipron, développé par sa filiale nippone Chugai pour un montant initial de 50 millions de dollars (48 millions de francs à l'époque). Présentant l'avantage de pouvoir être administré par voie orale, le traitement expérimental se trouve depuis l'été dernier en phase finale de développement dans l'indication contre l'obésité, après avoir démontré un potentiel de réduction de poids de près de 15% sur 36 semaines en phase intermédiaire.
Barrières élevées à l'entrée
Novartis de son côté n'a pas encore trouvé chaussure à son pied. Si l'obésité ne figure pas directement au rang des cinq domaines thérapeutiques privilégiés par la multinationale, elle est à l'origine de nombreux risques cardiovasculaires qui, eux, constituent l'un de ces piliers. «Nous sommes à la recherche de traitements susceptibles de générer une perte de poids substantielle et durable, de manière à pouvoir combattre ou prévenir des maladies induites par l'obésité», indique l'entreprise dans une prise de position.
Sans exclure complètement une incursion sur ce marché prometteur, le directeur général Vasant Narasimhan avait indiqué mercredi dernier à AWP ne pas avoir l'intention de «suivre le troupeau», mais évaluer dans ses laboratoire d'autres approches de ce fléau sanitaire, au-delà des seuls GLP-1.
Même en unissant leurs forces, il faudra à la concurrence s'armer de patience pour ébranler l'hégémonie de Novo Nordisk et de Lilly.
«Ces deux laboratoires sont aussi ceux qui disposent des programmes de développement les plus avancés, y compris pour des versions orales susceptibles de rencontrer une adoption bien plus vaste encore que les options injectables actuelles», soulignent les experts de Lombard Odier.
Caressant de grands espoirs pour les substances acquises avec Carmot, le patron de Roche Thomas Schinecker a ainsi reconnu la semaine dernière qu'il faudra encore «quelque temps» avant que ces produits franchissent les dernières étapes qui les séparent d'une commercialisation.