Ukraine Un conflit aux faux airs de première guerre mondiale

ATS

15.6.2022 - 08:10

Paysages dévastés par l'artillerie, tranchées, pluie d'obus: les images de la guerre en Ukraine provoquent des réminiscences de la première guerre mondiale. Mais au-delà de ces aspects visuels, la comparaison militaire entre le conflit actuel et la grande guerre a ses limites, soulignent des spécialistes.

Des militaires ukrainiens creusent des tranchées près de la ligne de front dans la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, le mercredi 8 juin 2022.
Des militaires ukrainiens creusent des tranchées près de la ligne de front dans la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, le mercredi 8 juin 2022.
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Keystone-SDA

Diffusée la semaine dernière, la dernière série d'images de satellites de la société américaine Maxar a livré une photographie à l'instant T des dégâts causés par l'artillerie dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine, au niveau de la ligne de front.

Prises le 6 juin, ces clichés donnent entre autres à voir un champ criblé de cratères d'artillerie près de la ville de Sloviansk, un cratère de 40 mètres de diamètre, ou encore des traces «d'explosions d'artillerie» le long de la rivière Siverskyi Donets et de la ville de Bogorodichne.

Ce sont «des paysages de guerre comparables à ce que l'on a pu voir pendant la première guerre mondiale, à savoir des villages détruits à 100% le long de la ligne de front», observe Nicolas Beaupré, membre du comité directeur du centre international de recherche de l'historial de la grande guerre, basé en France.

Zone rouge

«C'était le cas en 1914-1918, avec ce que l'on appelait la zone rouge qui faisait entre une dizaine et vingtaine de kilomètres de large, qui correspondait à la portée des canons d'artillerie et qui était entièrement détruite», ajoute le spécialiste.

Interrogé sur les remontées du front en Ukraine, un haut responsable de l'OTAN a ainsi récemment évoqué des similarités entre la grande guerre et le conflit actuel, marqué par des «tirs d'artillerie de masse».

Qualifiée de «déesse de la guerre» par le dictateur soviétique Staline en son temps, l'artillerie s'est en effet octroyée une place centrale dans le conflit en Ukraine, plus de cent ans après avoir été une pièce maîtresse de la grande guerre.

«Il est évident que ce conflit ukrainien est un conflit de grande ampleur avec des fronts assez figés qui bougent lentement et où les progressions se font principalement par des duels d'artillerie», souligne Olivier Kempf, chercheur associé à la fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Des réminiscences

«De l'artillerie qui va essayer de frapper des positions ennemies mais également des tirs qui consistent à aller taper des batteries d'artillerie ennemies», précise-t-il. «Donc, oui, il y a des réminiscences avec la grande guerre».

Cette résonance a franchi un cap à la fin avril avec les informations recueillies par le quotidien britannique The Guardian sur l'utilisation de minuscules flèches métalliques d'obus d'un type tiré par l'artillerie russe et largement utilisé pendant la grande guerre.

Un mois auparavant, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait estimé que les images de certaines villes d'Ukraine rappelaient «les ruines de Verdun».

Mais au-delà de ces aspects visuels, la comparaison a ses limites. «On voit beaucoup de tranchées et on a tendance à faire le parallèle avec la première guerre mondiale, alors que les tranchées sont un système de fortifications que l'on voit dans plein d'autres conflits aussi», tempère Camille Harlé Vargas, spécialiste des guerres mondiales, citant entre autres le conflit du Haut-Karabagh.

Les tranchées, «une constante»

«Les tranchées, c'est une constante, un réflexe naturel: à partir du moment où il y a du shrapnel qui vole dans tous les sens, il faut baisser la tête et la meilleure façon de baisser la tête, c'est être au niveau du sol», abonde Joseph Henrotin, spécialiste défense.

En un siècle, les armes ont également et, sans surprise, évolué et l'artillerie d'hier n'a que peu à voir avec l'artillerie d'aujourd'hui. A l'époque, «l'artillerie ne disposait pas d'obus de précision», relève Frank Ledwidge, maître de conférences en stratégie et droit militaires, à l'université de Portsmouth. «Aujourd'hui, cet aspect est au coeur de l'artillerie» utilisée actuellement sur le terrain ukrainien.

«La différence avec la première guerre mondiale, c'est que l'on a une artillerie de profondeur avec des canons qui peuvent facilement bombarder à 40 km avec une certaine précision», ajoute Nicolas Beaupré.

Masses mobilisées

Les drones ont également fait leur apparition au-dessus du champ de bataille en lieu et place des avions d'observation utilisés en 1914-1918.

Quant aux volumes de munitions utilisées, la comparaison avec la grande guerre relève de la gageure tant les données en provenance du terrain sont parcellaires. Selon le numéro deux du renseignement militaire ukrainien Vadym Skibitsky, l'Ukraine utiliserait entre 5000 et 6000 obus d'artillerie par jour.

Concernant les pertes militaires, de 15'000 à 20'000 soldats russes auraient été tués selon des sources de sécurité occidentales. Kiev a de son côté fait état de 10'000 soldats ukrainiens tués depuis le 24 février et de 100 à 300 de ses hommes tués chaque jour.

Pendant la grande guerre, environ «trois quarts des fantassins» ont été considérés comme «perdus» (blessés ou tués) par l'action de l'artillerie, selon Camille Harlé Vargas. «On avait des taux de mortalité de plusieurs milliers par jour», précise Olivier Kempf. «Mais les masses mobilisées étaient beaucoup plus importantes. On n'était pas sur 200'000 hommes».