«Massacres de Volhynie» Un nouveau différend fait monter la tension entre Varsovie et Kiev

ATS

16.10.2024 - 07:51

Après les tensions sur les céréales et les blocages frontaliers, c'est un différend plongeant ses racines dans la seconde guerre mondiale qui a ressurgi avec force entre Kiev et Varsovie. La Pologne réclame l'exhumation des victimes des «massacres de Volhynie», région orientale de l'Etat polonais d'avant 1939, désormais l'ouest de l'Ukraine.

Une tranchée autrichienne dans une maison en ruines a Doubno, en Volhynie , 1916, après une victorieuse offensive russe dans cette région.
Une tranchée autrichienne dans une maison en ruines a Doubno, en Volhynie , 1916, après une victorieuse offensive russe dans cette région.
IMAGO/Heritage Images

Keystone-SDA

Entre 1943 et 1945, quelque 100'000 civils au sein de la minorité polonaise y ont été tués, selon Varsovie, par les nationalistes de l'armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), un «génocide» que la Pologne commémore chaque année.

Soulignant «l'importance pour les Polonaises et les Polonais d'allumer une bougie sur les tombes de leurs proches décédés», le président de la chambre basse du Parlement polonais, Szymon Holownia, rappelait au début octobre au chef de la diplomatie ukrainienne que «pour ce faire, il est essentiel que nous sachions où ils sont enterrés».

Et le ton monte à l'approche du 1er janvier, date à laquelle la Pologne assurera la présidence de l'Union européenne (UE).

Procédure accélérée

Kiev craint que Varsovie ne mette dans la balance ce différend et l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne (UE) pour laquelle elle espère une procédure accélérée, indique à l'AFP une source au sein de la présidence ukrainienne.

Ces tensions suivent celles autour de l'embargo sur les importations de céréales ukrainiennes décrété par Varsovie l'an dernier et les blocages à la frontière par des camionneurs et agriculteurs polonais dénonçant «une concurrence déloyale» ukrainienne.

Malgré cela, depuis l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, la Pologne, qui a accueilli des centaines de milliers de réfugiés, assure son voisin de son soutien «infaillible» militaire et humanitaire.

Une rencontre du ministre polonais des affaires étrangères Radoslaw Sikorski avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la mi-septembre à Kiev a confirmé qu'une nouvelle crise tendait les relations entre les deux pays. L'entretien a été qualifié de «difficile» et «conflictuel» par les médias des deux pays, les deux capitales s'en rejetant mutuellement la responsabilité.

«Un devoir chrétien»

Des fonctionnaires ukrainiens, cités anonymement par le site EuroPravda, ont accusé M. Sikorski d'avoir «délibérément provoqué» M. Zelensky en déclarant que «l'Ukraine ne devait pas s'attendre à rejoindre l'UE rapidement».

«Son message clé était: 'Ne comptez pas sur une adhésion rapide à l'UE. Vous allez devoir passer par toutes les procédures'», a affirmé la source à la présidence ukrainienne.

Selon le site polonais Onet, citant des sources anonymes à Varsovie, le président ukrainien a accusé la Pologne de ne plus suffisamment soutenir son pays. M. Zelensky aurait refusé de procéder aux exhumations et demandé une procédure accélérée pour une adhésion à l'UE.

En août, le chef du gouvernement polonais Donald Tusk avait déjà averti que tant que la question des exhumations n'était pas résolue, l'Ukraine «ne sera pas membre de l'Union européenne».

«Il ne s'agit pas d'une question politique qui doive faire l'objet d'un quelconque marchandage, mais simplement d'un devoir chrétien», a encore insisté jeudi M. Sikorski.

Les Ukrainiens ont suspendu en 2017 des travaux préparatoires aux exhumations des victimes des massacres en reprochant à la Pologne ne pas avoir, de son côté, restauré des mémoriaux ukrainiens sur son sol, dont un monument à la mémoire de soldats de l'UPA. Les estimations officielles ukrainiennes font état de jusqu'à 40'000 Polonais et jusqu'à 20'000 Ukrainiens massacrés.

«Fin de la période romantique»

Selon les experts, le retour au premier plan du dossier des exhumations est lié au contexte politique, tous les partis polonais, notamment l'opposition nationaliste, réclamant la reprise des fouilles.

«Ce n'est absolument pas un sujet qu'un gouvernement peut négliger, surtout avant les élections», explique à l'AFP Marcin Zaborowski, politologue du groupe de réflexion Globsec.

Les Polonais éliront l'an prochain leur président qui remplacera le conservateur Andrzej Duda, proche de l'ancien pouvoir nationaliste-populiste.

Au début octobre, l'Ukraine a décidé d'entrouvrir en 2025, provisoirement et uniquement dans des cas individuels, la porte aux exhumations. Si la Pologne a salué «un pas dans la bonne direction», le problème semble loin d'être réglé.

Le Polonais Wojciech Przybylski de la fondation Res Publica constate la fin de la «période romantique» entre les deux pays et du soutien inconditionnel polonais à son voisin.

Pour Marcin Zaborowski, il s'agit de crises normales entre voisins, qui rappellent celles entre Varsovie et Berlin avant l'adhésion de la Pologne à l'UE. «La Pologne n'a eu avec aucun autre pays autant de conflits économiques et historiques qu'avec l'Allemagne, mais c'est Berlin qui a été le plus grand défenseur de l'adhésion de Varsovie à l'UE», relève-t-il.