Béjart Ballet Lausanne «La fatigue mentale, c'est le plus dur»

bu, ats

25.2.2021 - 11:07

Privés de scène depuis des mois, les danseurs du Béjart Ballet Lausanne s'entraînent chaque jour. Pour Gil Roman, le directeur artistique de la compagnie, les difficultés liées à la pandémie se situent aujourd'hui plus au niveau mental que physique.

Privés de scène depuis des mois, les danseurs du Béjart Ballet Lausanne s'entraînent malgré tout chaque jour.
Privés de scène depuis des mois, les danseurs du Béjart Ballet Lausanne s'entraînent malgré tout chaque jour.
KEYSTONE

«C'est très difficile de maintenir le moral des danseurs, quand les entraînements ne mènent à rien», explique Gil Roman à Keystone-ATS. La fatigue mentale, c'est le plus dur.»

«Ce qu'il nous faut, même avec une jauge réduite, c'est jouer devant un public. Parce qu'un ballet, s'il n'est pas présenté devant les gens, il n'existe pas. C'est par l'échange, par le regard que les danseurs progressent.»

Un jour comme un autre, une petite dizaine de danseurs de la compagnie du Béjart Ballet Lausanne (BBL) improvisent sur une musique qui s'inspire de celle de Pierre Henry. Ce spécialiste de sons électroacoustiques a longtemps collaboré avec Maurice Béjart.

Le Plan B

La répétition se déroule dans le nouveau studio rénové du BBL, qui peut servir à la fois de lieu de répétition et de création, mais aussi de salle de spectacle. Appelée Plan B, elle a justement été ajustée pour permettre des rencontres entre le public et les danseurs à l'ère du Covid.

«Le fait d'avoir une cloison amovible et d'avoir pu monter des gradins en fait un véritable espace de présentation. Mais j'ai eu très peu de temps pour utiliser le Plan B et faire venir les gens.»

Les premiers et les derniers à avoir pu en profiter sont les écoles et des étudiants en automne dernier. A l'arrêt depuis mars 2020, le BBL a donné ses dernières représentations à l'Opéra de Lausanne en octobre: «Basson Continuum» de Gil Roman et «7 danses grecques» de Maurice Béjart. Pour un spectacle donné à l'étranger, il faut remonter au mois de février à Paris avec «t'M et variations...» de Gil Roman, «Béjart fête Maurice» et «Boléro» de Maurice Béjart.

A-t-il relevé un élément positif pendant ces mois d'entraînement sans scène ? Gil Roman entre deux répétitions est assis dans son bureau devant une fenêtre ouverte. «De positif, vraiment ?» Après quelques secondes, il reprend avec une touche d'accent du sud de la France: «la seule chose de positive, c'est que j'ai pu travailler sur un ballet que j'aime beaucoup de Maurice: «Wien, Wien, nur du allein» (Vienne, Vienne, Toi seulement).»

Il n'a jamais été repris depuis la dernière fois où il a été joué en 1985 au Japon. «J'ai toujours reporté ce ballet à plus tard parce qu'il y a beaucoup de travail chorégraphique.»

L'éventuelle réouverture annoncée mercredi par le Conseil fédéral pour le 22 mars ne résout qu'une partie de l'équation à laquelle est confrontée le BBL, dont la majeure partie des spectacles sont donnés à l'étranger.

Comment voulez-vous que l'on se projette ?

Gil Roman a perdu de nombreux contrats à l'étranger, dont le dernier au Japon. «Comment voulez-vous que l'on se projette dans l'avenir ? Personne ne veut prendre de risques. Les promoteurs privés sont dans des situations financières terribles. On ne sait pas ce qui va se passer. Et c'est cette angoisse-là qui est difficile. Mais c'est pareil pour beaucoup de gens», nuance-t-il.

Le chorégraphe est en contact avec des directeurs d'autres compagnies. «On se téléphone pour se raconter à peu près la même chose. On tourne un peu en rond, chacun essaie de trouver des solutions pour faire vivre sa compagnie. En tant que directeur, on en est responsable, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir absolument tenir les danseurs en forme et aussi moralement. C'est de cela dont on parle».

Pour le reste, la situation est à peu près la même partout, sauf en Espagne et à Monte-Carlo où les danseurs peuvent se produire devant un public.

Les premières dates à l'étranger pour le BBL pourraient être en mai en Autriche à St-Pölten, suivi des grands festivals de l'été dans le sud de la France à Orange et Carcassonne, puis à Peralada en Espagne. En Suisse, le BBL joue en principe deux séries de spectacles au Théâtre de Beaulieu à Lausanne, une en décembre et une au mois de juin.

Impatience

En attendant un hypothétique retour à la normale, «tout est prêt à être montré dans le Plan B, poursuit-il. Tout le travail que l'on a fait, nos répétitions depuis des mois pour Wien, la 9e Symphonie qui a été annulée, le programme Pierre Henry.»

Si la pandémie se poursuit, jouer en plein air se dessine comme une échappée belle. «Si on me dit, demain on te met une scène à disposition au bord du lac», le chorégraphe et ses 40 danseurs s'y précipiteraient. Mais Gil Roman brûle d'abord de se servir de son «magnifique instrument», la salle du Plan B, où «le public, plus proche des danseurs, pourrait assister à certaines répétitions».

Avant de le quitter, difficile de ne pas lui poser la question de l'héritage de Béjart: n'est-ce pas pesant de le porter au fil du temps ? «Non, je ne le vois pas du tout comme un poids, mais au contraire comme une passation, une transmission.»

La démocratisation de la danse est aussi l'un des héritages de Maurice Béjart – on lui doit bien plus que cela, souligne Gil Roman -. «C'est quelqu'un qui a vu la danse comme un moyen de communication avec un large public. Pour apprécier la danse, il n'y a pas besoin de connaître la technique: un spectacle, cela se ressent, cela se vit de l'intérieur», conclut le chorégraphe.

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