Abus dans l'Eglise catholique Confier l'enquête à un évêque est une «erreur» pour la CECAR

clsi, ats

16.9.2023 - 14:03

L'enquête ordonnée par la Conférence des évêques suisses sur la dissimulation de cas d'abus ne devrait pas être menée par un ecclésiastique, selon des femmes qui luttent depuis des années contre les cas d'abus au sein de l'Eglise catholique. C'est une «erreur» de l'avoir confiée à l'évêque de Coire, selon la présidente de la CECAR Sylvie Perrinjaquet.

Sylvie Perrinjaquet préside la CECAR, créée sur la base d'un accord entre l'Eglise catholique suisse et le groupe Sapec, qui représente les victimes d’abus sexuels par des prêtres (archives).
Sylvie Perrinjaquet préside la CECAR, créée sur la base d'un accord entre l'Eglise catholique suisse et le groupe Sapec, qui représente les victimes d’abus sexuels par des prêtres (archives).
KEYSTONE/GAETAN BALLY

Keystone-SDA, clsi, ats

Joseph Bonnemain va devoir juger ses pairs, qu'il connait depuis des décennies. «C'est une très mauvaise solution», poursuit la présidente de la Commission écoute, conciliation, arbitrage, réparation (CECAR) samedi dans Arcinfo.

Cet organe indépendant et neutre a été créé sur la base d'un accord signé en 2015 pour accompagner les victimes d'abus sexuels prescrits commis au sein de l'Eglise catholique suisse. La commission est active uniquement en Suisse romande.

La Neuchâteloise pointe le «culte du secret» au sein de l'Eglise. Ses représentants «vivent continuellement dans cette ambiance du secret, dit-elle. Ils n'ont plus la capacité de se rendre compte qu'à un moment donné, il faut arrêter d'être dans le déni et reconnaître que l'on a dans l'Eglise des personnes qui abusent d'enfants».

«Institution ébranlée»

A cette culture du secret s'ajoute une posture problématique de l'Eglise vis-à-vis des femmes et des enfants. «Dans les propos que tient l'Eglise depuis quelques jours, je suis en train de réaliser que pour cette institution, abuser d'un enfant est moins grave que d'avoir des relations sexuelles avec une femme», avance Sylvie Perrinjaquet.

L'ancienne conseillère d'Etat appelle l'Eglise à assumer. «Mais ils ne prennent pas de décision, regrette-t-elle. En Valais, il y a des prêtres pédophiles à la retraite qui continuent à célébrer la messe».

Pour Mme Perrinjaquet, la pression viendra de l'extérieur de l'institution, «même si certains s'accrochent». «L'institution est ébranlée», dit-elle, soulignant que la publication mardi du rapport de l'Université de Zurich a forcé l'Eglise catholique à réaliser qu'elle a en son sein des abuseurs prédateurs.

«Totalement absurde»

La théologienne et journaliste catholique germano-suisse Jacqueline Straub juge également «totalement absurde» que l'évêque de Coire dirige l'enquête. Il doit enquêter sur des accusations portées contre ses confrères et une «certaine partialité» est inévitable, constate-t-elle dans une interview publiée dans la Schweiz am Wochenende. Mme Straub avait fait sensation en 2018 avec son livre «Kickt die Kirche aus dem Koma» ("Sortir l'église du coma").

«Il faut un enquêteur spécial externe, une personne indépendante ou même un groupe», estime Mme Straub. Il est problématique que l'Eglise catholique officielle veuille élucider seule les cas d'abus et les dissimulations, surtout parce qu'elle ne procède souvent pas de manière transparente. Ce n'est que grâce à des recherches de journaux que l'existence d'une enquête a été révélée. «Le rapport final est ensuite envoyé à Rome. Ce qui se passe ensuite est discuté en petit comité», poursuit Mme Straub.

Justice pour les victimes

Elle juge de plus préoccupant que les personnes faisant l'objet d'une enquête n'aient pas au moins suspendu leurs fonctions temporairement. L'abbé de Saint-Maurice, Jean Scarcella, a eu la bonne attitude en suspendant sa charge et en communiquant de manière proactive sur cette décision.

Pour les victimes, que quelqu'un soit l'auteur de l'abus ou celui qui l'a dissimulé ne fait pas de différence. «Les survivants doivent maintenant être au centre de l'attention et «tout doit être fait pour que justice leur soit rendue, ne serait-ce qu'un tout petit peu».

Intentions honnêtes

L'évêque de Coire Joseph Bonnemain a déclaré samedi dans l'émission «Samstagsrundschau» de la chaîne publique alémanique SRF avoir accepté le mandat d'enquête directement du pape «par amour des victimes et par sens des responsabilités». Il souhaiterait que les gens reconnaissent que ses intentions sont honnêtes.

Il a dénoncé «une réaction erronée et instinctive de dissimulation» de la part de l'Eglise. Pour préserver réputation et image, on a protégé les responsables des actes au lieu d'être là pour les victimes, a-t-il regretté. Il a assuré ressentir une grande douleur et une profonde honte vis-à-vis de ces abus «épouvantables».

Un renouvellement fondamental de l'Eglise est nécessaire maintenant que l'étude sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique a été publiée, a-t-il poursuivi. Les structures ecclésiastiques doivent évoluer pour que de tels abus ne se reproduisent plus. Un changement de mentalité doit avoir lieu.