InterviewDaniel Koch: «Le nombre de cas est certainement trop élevé»
De Jennifer Furer
29.7.2020
Daniel Koch a officié jusqu’en mai en tant que délégué de l’Office fédéral de la santé publique au Covid-19. Il suit toujours la situation avec méfiance. Le temps d’une interview, il évoque l’obligation du port du masque, l’éventualité d’une deuxième vague – et Alain Berset.
M. Koch, partez-vous pour les vacances d’été?
Non, je n’ai pas le temps et je n’ai rien prévu du tout.
Mais vous faites quelques excursions en Suisse.
Je vis très près des montagnes et je profite du temps ici avec mes chiens. Mais comme je reçois des invitations, cela m’amène parfois un peu plus loin dans les montagnes.
Contrairement à vous, les Suisses voyagent actuellement dans tout le pays. Certains partent également à l’étranger. On craint donc une recrudescence des cas à l’issue des vacances d’été.
Nous nous trouvons dans une situation difficile. Plus les gens se déplacent, plus le risque de contamination entre individus augmente. Les chiffres ne sont pas encore assez élevés pour que nous puissions parler d’une deuxième vague. Mais ils sont certainement trop élevés.
Nous dirigeons-nous vers une deuxième vague?
Le risque d’une recrudescence massive du nombre de cas durant l’automne ou l’hiver est très élevé. Même s’il reste à son niveau actuel, nous courons le risque de ne pas détecter de nombreuses personnes infectées à même de propager le virus sans entrave.
Pourquoi donc?
Parce que toutes les personnes qui présentent des symptômes devraient être testées. Même maintenant, nous n’y arrivons pas. En automne et en hiver, la situation pourrait s’aggraver dans la mesure où les symptômes du coronavirus ne sont peut-être pas perçus comme tels. En outre, il y a actuellement beaucoup d’éléments qui corroborent l’idée que le virus se transmet plus facilement par temps humide et froid, et peu d’éléments qui vont à son encontre.
Que faut-il faire maintenant?
Il est possible d’éviter une deuxième vague en automne et en hiver, comme le montre la Nouvelle-Zélande. Seuls quelques cas y sont enregistrés, bien que ce soit l’hiver là-bas. Comme la Nouvelle-Zélande, nous devons maintenant faire baisser le nombre de cas et maîtriser les chaînes de contamination. Cela prend beaucoup de temps et coûte beaucoup d’argent.
Pourquoi donc?
Parce que nous devons faire beaucoup plus de tests.
Pourquoi n’est-ce pas encore le cas?
Pour l’instant, les obstacles pour se faire tester sont trop importants: il faut s’inscrire chez le médecin ou à l’hôpital, puis se rendre sur place. C’est relativement dispendieux. Si une personne ne présente que des symptômes légers, il existe un risque qu’elle ne se fasse pas dépister – ou qu’elle le fasse trop tard, lorsque les symptômes se sont aggravés. Cela fait perdre beaucoup de temps. Il est donc très difficile, voire dans certains cas pratiquement impossible, de retracer les contacts et de mettre les individus concernés en quarantaine. Les tests doivent être facilités. Cela doit devenir aussi simple que d’aller s’acheter un croissant pour le déjeuner.
Que faudrait-il changer, concrètement?
Il existe plusieurs solutions envisageables au problème. J’imagine des centres de dépistage mobiles ou des drives, par exemple. On pourrait également faire le prélèvement pour le test au domicile du patient.
Comment cela peut-il fonctionner?
Les prélèvements nasaux doivent être effectués par des professionnels. Cependant, il est également possible de faire le test par le biais d’un prélèvement de gorge. Bien que cette méthode soit un peu moins bonne, c’est tout de même mieux que de ne pas faire de test du tout.
Les prélèvements nasaux sont assez désagréables. Qu’en est-il du prélèvement de gorge?
Il faut enfoncer le bâton très loin dans la gorge, au point de déclencher un haut-le-cœur.
Des études montrent que les personnes qui ne présentent pas de symptômes sont parfois de dangereux super-propagateurs. Dans ce cas, ne faudrait-il pas tester tout le monde – en présence ou non de symptômes?
Le fait est que le virus peut être éliminé dans les deux jours précédant l’apparition de la maladie. Il est possible de suivre la chaîne de contamination pendant ces deux jours. Il est donc inutile de tester à tout-va maintenant. Mais il est crucial que les individus présentant des symptômes légers soient testés rapidement.
Pourquoi donc?
S’ils attendent une semaine et s’ils ne se font tester que lorsqu’ils sont vraiment malades, ils peuvent avoir déjà infecté des dizaines de personnes. Il n’est alors guère possible de retracer cette chaîne de contamination.
Beaucoup renoncent peut-être à aller chez le médecin parce qu’ils pensent que leur cas est insignifiant.
Il est tout simplement faux de penser cela. Il n’est pas question de patients au cas par cas. Peu importe que les symptômes soient légers ou graves. Il s’agit juste de détecter le virus à temps.
La Confédération a-t-elle suffisamment sensibilisé les gens à ce sujet? Ou faudrait-il une campagne nationale pour les appeler à se faire dépister même en cas de symptômes légers?
Ce n’est pas à moi d’en juger, mais aux autorités. Mais il serait raisonnable d’aller dans cette direction.
Sommes-nous insuffisamment informés à l’heure actuelle?
Je constate seulement qu’à l’heure actuelle, les tests sont trop tardifs et trop peu nombreux. Il serait inapproprié que je juge le travail de la Confédération. Ce n’est pas à moi de le faire.
Vous êtes très diplomate.
Je ne parlerais pas de diplomatie. Les experts de la Confédération sont tout à fait capables d’évaluer la situation.
Que conseilleriez-vous à présent au ministre de la Santé Alain Berset?
Les gens doivent être motivés et informés. Cela ne fonctionne pas si la population se contente désormais de recevoir des ordres. Il faut parvenir à les convaincre d’agir correctement, c’est-à-dire de respecter les règles de distanciation et d’hygiène. Et surtout, les règles à suivre face au coronavirus doivent être aussi simples que possible.
Il serait facile de rendre le masque obligatoire partout.
Il est judicieux de porter un masque lorsque la distance d’1,5 m ne peut être respectée.
Vous ne préconisez donc pas une obligation généralisée du port du masque?
Il est fatal de croire que les masques résolvent le problème. Il est important que les gens sachent quelles sont les possibilités et les limites. En effet, les masques n’empêchent pas à coup sûr d’être contaminé ou de contaminer les autres.
Pourtant, le groupe de travail COVID-19 de la Confédération recommande d’étendre l’obligation du port du masque.
Les masques peuvent aider, ils peuvent faire baisser le taux de contamination. Mais ce n’est pas suffisant pour maîtriser le coronavirus.
Que faut-il donc faire?
Il est beaucoup plus important d’informer les gens sur les voies de contamination concrètes. Et de leur faire comprendre que les masques n’empêchent pas à eux seuls toute contamination. Seuls une hygiène stricte des mains et le respect des règles de distanciation peuvent y contribuer. Je n’en reviens toujours pas quand je vois quelqu’un porter un masque mais passer devant le distributeur de désinfectant sans s’arrêter.
Les pays où l’obligation du port du masque est étendue enregistrent moins de cas. N’est-ce donc pas un signe qu’ils ont la situation sous contrôle?
De nombreux pays commencent par confiner les gens. Ils se disent que si tout le monde porte un masque, les gens peuvent sortir sans problème. On peut déjà observer que cette approche ne fonctionne pas. Dans les pays où elle est appliquée, le nombre de cas augmente aussi.
Néanmoins, ils contribuent à aplatir la courbe et à empêcher éventuellement une augmentation exponentielle du nombre de cas. En outre, les masques peuvent très bien empêcher des transmissions.
Mais il s’agit à l’heure actuelle de prévenir les chaînes de contamination. C’est le seul moyen d’éviter d’être pris dans une deuxième vague.
Cela s’explique-t-il également par le fait que nous, citoyens ordinaires, ne sachions tout simplement pas utiliser les masques?
Les masques proviennent du secteur hospitalier, plus précisément chirurgical. Ils y sont utilisés très différemment de l’usage que nous en faisons aujourd’hui. Dans une salle d’opération, personne n’est autorisé à toucher quoi que ce soit. Ce serait impensable pour nous dans les transports publics. Il est par conséquent logique que nous ayons de la salive et des sécrétions nasales sur nos mains. Si les mains ne sont pas désinfectées, nous propageons rapidement les virus à travers le masque au niveau de la bouche et de la gorge. Il est donc illusoire de croire qu’avec le port du masque, tout est sous contrôle.
Vous dites que les tests effectués en amont permettent de retracer les contacts. Qu’en est-il de l’application SwissCovid?
Ce n’est pas la panacée. Comme le port du masque, elle peut aider, mais elle ne combat pas le problème. De même, l’application ne fonctionne que si les tests sont effectués en amont.
Pendant votre mandat de délégué au COVID-19 de la Confédération, vous vous êtes attiré de nombreux fans, mais aussi de nombreux détracteurs. Notamment suite à vos propos contre le port du masque obligatoire.
C’est tout à fait normal et ça me va. Tout le monde est touché par une crise. Certains ont été personnellement affectés.
Certains vous accusent de faire votre publicité sur le dos de la crise.
Les critiques sont principalement venues de mon inscription au registre du commerce. Je l’ai faite parce que j’ai ma propre entreprise – et qu’il est obligatoire de s’inscrire au registre du commerce pour pouvoir émettre des factures.
Vous vous êtes également mis en scène sur les réseaux sociaux.
Je ne l’ai fait que lorsque je voulais faire passer un message.
Et vous écrivez un livre.
Ce projet était déjà prévu avant le battage médiatique autour de ma personne. Par ailleurs, ce ne sera pas une biographie, mais il abordera des sujets issus de ma vie professionnelle. Ceux que cela intéresse pourront l’acheter, les autres n’y seront pas obligés.
Un livre sur Alain Berset a récemment été publié. Il a été écrit par Jessica Jurassica. Il s’agit d’un roman érotique intitulé «Le fruit le plus défendu du Palais fédéral». L’avez-vous lu?
Non, ça m’a vraiment échappé.
Au juste, avez-vous encore des contacts avec Alain Berset?
Je l’ai revu après mon départ à la retraite. Mais pour l’instant, nous ne travaillons pas ensemble. Même s’il sait que s’il a besoin de quoi que ce soit, il peut me contacter.