Isabelle Germanier «Le loup ne considère pas l’être humain comme une proie»

Gregoire Galley

2.2.2023

«Le loup est parmi nous. Il s’attaque désormais aux cheptels en plaine. Il faut agir avant qu’un drame humain ne survienne », s’est alarmé Pierre-André Page en décembre sous la Coupole fédérale. Malgré le refus de la gauche, les arguments du politicien UDC fribourgeois ont fait mouche auprès du Conseil national qui a donné son feu vert à une révision de la loi sur la chasse, suivant une décision du Conseil des États.

Le saviez-vous ? Le retour du loup en Suisse en 10 dates

Le saviez-vous ? Le retour du loup en Suisse en 10 dates

La présence du loup en Suisse ne laisse personne indifférent. Disparu de nos contrées à la fin du 19e siècle, le grand prédateur a mis plus de 100 ans pour revenir peupler notre pays. Retour sur une épopée pas toujours heureuse.

25.01.2023

Gregoire Galley

2.2.2023

Si le référendum lancé par le groupe «Wolfs-Hirten» échoue, les loups pourront ainsi être abattus avant même qu’ils ne s’en prennent aux troupeaux. Cet assouplissement permettra-t-il de mieux réguler le canidé ? Correspondante pour la Romandie du Groupe Loup Suisse, organisation s’engageant à faciliter la coexistence entre les humains et les grands carnivores indigènes dans le pays, Isabelle Germanier se montre mitigée face à ces tirs de prévention. Interview.


Le Conseil national a suivi le Conseil des États en acceptant des mesures visant à faciliter la régulation du loup. Quelle a été votre réaction en apprenant cela ?

«Dans un premier temps, nous avons été déçus car nous avions conclu des accords avec les chasseurs, les milieux agricoles et les autres associations environnementales. Malheureusement, ils n’ont pas été totalement pris en compte par le Conseil national. Notre but reste de maintenir le loup en Suisse. Dans cette optique, la nouvelle loi ne va pas être négative. Beaucoup de choses vont rester les mêmes que maintenant. Ce n’est pas un revirement à 360 degrés. Cette révision de la loi n'empêchera pas la survie du loup dans notre pays.»

Ce nouveau projet législatif spécifique au loup n’est donc pas trop destructeur ?

«Honnêtement, aujourd’hui deux choses sont impossibles : zéro perte pour les éleveurs et zéro tir pour les amoureux du loup. Cependant, il faut garder à l’esprit que la régulation a des limites. En effet, le tir ne va pas calmer les tensions et les pressions parce que cela ne diminue pas les pertes. Ce serrage de vis ne va certainement pas satisfaire le monde du pastoralisme si le but est de diminuer grandement les pertes.»

«A ce niveau-là, la régulation n’a pas l’effet escompté. Il faudrait plutôt se concentrer sur la protection des troupeaux. Le tir doit rester le dernier recours et doit être mis en place si un loup détourne des moyens de protection ou crée une habituation sur certaines espèces telles que les bovins par exemple.»

Les attaques de loups sur les animaux de rente se sont multipliées ces derniers temps. Quelles sont les mesures les plus efficaces pour protéger ces animaux ?

«Il faut le dire tout de suite, il n’y a pas beaucoup de mesures efficaces pour protéger les bovins. Au contraire des ovins, ces derniers ont besoin de grands espaces. Je vous laisse imaginer les problèmes avec le tourisme ou la faune si on devait clôturer ce genre de parcelles. Il reste donc les chiens de protection, mais il sera peut-être compliqué de faire cohabiter des vaches qui ont déjà subi des attaques de loups avec un chien.»

«Concernant les ovins, il faut miser sur le trio gagnant : clôture, chien de protection et présence du berger. Dans ce cas, quoiqu’il se passe, il y a une intervention immédiate qui est possible. La protection est ainsi quasiment à son maximum ce qui permet d’éviter les tueries de masse. Le problème est qu’il faut une cabane pour le berger. En outre, il y a peu de chiens de protection disponibles en Suisse. La formation de ces chiens demande aussi énormément de travail.»

«Il faut mieux éduquer la population face aux chiens de protection»

Isabelle Germanier

Correspondante pour la Romandie du Groupe Loup Suisse

Comprenez-vous le ras-le-bol de certains éleveurs qui estiment que ces mesures sont insuffisantes ?

«Il faut distinguer deux éléments. Je peux comprendre leur ras-le-bol. La mise en place de ces mesures ajoute une charge de travail conséquente aux éleveurs, surtout le chien de protection car il faut l’intégrer dans le troupeau et le surveiller constamment quand il y a des touristes. C’est une source de stress pour l’éleveur !»

«En revanche, ces mesures ne sont pas inefficaces. Le trio réuni a fait ses preuves. Malheureusement, dans beaucoup d’élevages en Suisse, il y a rarement les trois mesures de protection qui sont appliquées. Pour améliorer cela, il faudrait aider davantage financièrement les bergers qui devraient par exemple toucher des subsides pour rester à l’alpage avec le troupeau. De plus, il faut aussi mieux éduquer la population face aux chiens de protection. Beaucoup de gens n’adoptent pas le bon comportement face aux chiens comme face aux loups d’ailleurs.»

Au-delà des attaques sur les animaux de rente, certains redoutent que les loups s’en prennent un jour à un être humain. Ces craintes sont-elles fondées ?

«Il faut comprendre que la faune sauvage vit partout et donc à l’intérieur ou à proximité des villages. Ainsi, on tolère la présence de cerfs ou de chevreuils mais pas celle du loup. En hiver, les proies descendent à proximité des habitations pour trouver plus facilement de la nourriture. Il est donc logique que le prédateur suive ses proies et qu’il soit vu proche des habitations.»

«Malgré cela, il n’y a jamais eu d’incidents même si le risque zéro n’existe pas. J’ajoute que n’importe quel animal, dans des circonstances bien précises, peut représenter un danger pour l’homme. Il faut toujours garder à l’esprit que si les humains se comportent comme il faut avec le loup, les risques sont faibles. En fin de compte, le jour où il y aura une attaque d’un loup sur un homme, l’erreur sera certainement humaine. Le loup n’attaque pas l’homme pour le manger. En effet, au contraire du lion ou du tigre, le loup ne considère pas l’être humain comme une proie.»

«J’aimerais que les politiciens aient une meilleure connaissance du loup»

Isabelle Germanier

Correspondante pour la Romandie du Groupe Loup Suisse

A l’image du renard, le loup est régulièrement présenté comme un animal «nuisible». Malgré tout, sa présence peut-elle être bénéfique pour la biodiversité ?

«Oui, mais il est vital de ne pas sacraliser le loup non plus. Dans la nature, chaque espèce a un rôle à jouer et rend service à une autre. Selon moi, le loup a un seul et unique rôle : celui de réguler les proies en le faisant de manière 100% naturelle. Même si le loup est là, il ne faut pas arrêter de chasser car il n’y a plus assez de territoires pour avoir suffisamment de prédateurs et avoir ainsi un équilibre 100% naturel. Cela est possible dans les contrées où il y a peu d’interactions entre les hommes et les animaux. En Suisse, il n’y a que deux prédateurs : le loup et le lynx. L’équilibre n’est donc pas assez fort et la chasse reste nécessaire malgré la présence des prédateurs.»

«La différence entre le loup et le chasseur est que le canidé va chasser de préférence un animal faible ou vieux. Il va faire une sélection pour économiser au maximum son énergie. De son côté, le chasseur va faire son travail par quotas. Le retour du grand prédateur a également permis de faire bouger les proies en fonction des circuits du loup. En résumé, son rôle de régulateur permet aux proies d’arrêter de se sédentariser. La chasse humaine ne permet pas cela.»

Comment voyez-vous l’évolution de la cohabitation entre le loup et l’homme en Suisse ?

«Une cohabitation pacifique ne sera jamais possible. Je n’y crois pas car il y a trop d’enjeux tant au niveau financier, politique ou encore émotionnel. Maintenant, il faut se poser et discuter. Dans ce sens, j’aimerais que les politiciens aient une meilleure connaissance du loup. Ils ne connaissent que des notions de base qui se résument à réintroduction, danger pour l’homme et hybridation. Pour prendre des décisions politiques, il est nécessaire de connaître le loup de manière globale. Par exemple, il faut comprendre que si on tire un loup, un territoire va être libéré mais sera repris par un autre loup dans les mois qui suivent.»

«En outre, comme je l’ai déjà mentionné, il faudrait donner des subsides aux bergers. Il est important que des humains soient automatiquement présents sur les estives. Ainsi, les pro-loups pourraient aider à protéger leur animal favori en aidant directement ceux qui sont sur le terrain, telle l’association OPPAL. En conclusion, la cohabitation signifie qu’il faut avoir conscience que la régulation ne va pas régler le problème du loup et que le point essentiel reste la protection.»

«J’aimerais que les randonneurs respectent davantage notre travail»

«J’aimerais que les randonneurs respectent davantage notre travail»

Berger à Vers-chez-Perrin dans la Broye vaudoise, Michael Baggenstos a perdu trois moutons en mars 2022 en raison d’une attaque du loup M212. Depuis cet incident, l’éleveur a mis en place des mesures afin de mieux protéger son troupeau. Reportage.

27.01.2023