Chasse à l'homme numériqueLes circonstances de surveillance des individus en Suisse
De Jennifer Furer
24.8.2020
En Suisse, il est possible de surveiller des individus en temps réel – toutefois, les conditions sont très strictes. L’ampleur de la surveillance locale est mise en évidence dans un nouveau rapport.
La cible se déplace sur l’A1 depuis Berne en direction de Zurich. En Argovie, elle quitte l’autoroute. Le signal se coupe, la cible a éteint son téléphone. La direction des opérations de la police cantonale bernoise se manifeste: la cible se déplace à nouveau. Son itinéraire la conduit vers l’est.
Là, sur la rocade de Zurich, la circulation est dense. Les enquêteurs signalent leur présence à la cible avec la sirène et le gyrophare. Celle-ci se dirige vers la Suisse orientale. La voiture finit par s’arrêter sur le parking d’un restaurant à Gams SG.
Les enquêteurs de la police cantonale bernoise interviennent. «Il était stupéfait de nous voir», raconte l’un des deux.
Les événements susmentionnés sont réels et figurent dans le nouveau rapport annuel du Service de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (SCPT). Ce rapport donne un aperçu de la façon dont la police traque les criminels dans une société numérique.
Surveillance rétroactive de 5 000 personnes
Contrairement à l’époque de Sherlock Holmes, archétype du parfait détective, la lutte contre la criminalité ne se concentre plus uniquement sur les traces analogiques. Aujourd’hui, les technologies du numérique jouent un rôle important dans l’identification du coupable.
Selon le Service de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, environ 1 500 surveillances en temps réel, environ 5 000 surveillances rétroactives et près de 1 500 recherches par champ d’antennes ont été effectuées l’année dernière. C’est ce que montrent les chiffres qui viennent d’être publiés dans son rapport. Il convient de noter que les délinquants utilisent souvent plusieurs numéros et appareils; il peut donc y avoir plusieurs ordres de surveillance pour un même individu.
Qu’est-ce qu’une recherche par champ d’antennes?
Une recherche par champ d’antennes concerne une cellule de téléphonie mobile ou un point d’accès au réseau WLAN. Toutes les communications, toutes les tentatives d’établissement d’une communication et tous les accès au réseau pendant une période déterminée sont enregistrés.
Les mesures de surveillance dans le domaine des télécommunications concernent également les recherches en cas d’urgence et les recherches de personnes condamnées. «Lorsqu’on a le numéro d’un fugitif, on finit tôt ou tard par le retrouver», assure l’un des enquêteurs qui a permis l’arrestation du délinquant à Gams SG, dans le rapport du SCPT. Le taux de réussite des opérations de recherche faisant intervenir la surveillance des télécommunications est élevé – très élevé même, selon lui.
Le recours à la surveillance en temps réel est strictement réglementé. Pour être possible, une infraction figurant sur une liste d’infractions (parmi lesquelles la prise d’otage, le vol et la mise en danger de la vie d’autrui) doit avoir été commise. Il est également nécessaire d’obtenir l’autorisation du tribunal cantonal des mesures de contrainte compétent pour toute surveillance.
Avant mars 2018, la situation était différente. Sauf dans le cadre des procédures internationales d’entraide judiciaire, il était impossible aux autorités pénales d’ordonner une surveillance des télécommunications en dehors d’une procédure pénale.
La révision de la loi fédérale sur la surveillance des postes et télécommunications a changé la donne. Il est désormais possible d’ordonner une surveillance des télécommunications «pour trouver une personne qui a été condamnée à une peine d’emprisonnement ou à une mesure privative de liberté dans le cadre d’une décision définitive et exécutoire.»
Selon le rapport annuel du SCPT, une cinquantaine de recherches de personnes en fuite ont été menées par la police cantonale bernoise en 2019. Dans quatre cas, les lignes téléphoniques ont été surveillées en vertu de la nouvelle base juridique.
Les motifs de surveillance sont multiples. Dans 42% des cas, l’enquête repose sur des infractions liées au patrimoine, dans 26%, il s’agit d’infractions liées aux stupéfiants. En troisième position arrivent les atteintes corporelles et les homicides qui, dans 10% des cas, sont à l’origine de la surveillance.
Tous les cantons n’utilisent pas le dispositif de surveillance avec la même fréquence. C’est dans le canton de Vaud que l’on s’en sert le plus, suivi de Zurich et de Genève. Le canton de Berne arrive en quatrième position.
Malgré la révision de la loi, les obstacles à la surveillance d’une personne restent élevés, comme le confirme Urs Hubmann, procureur général au ministère public II du canton de Zurich, dans une interview accordée à «Bluewin».
Monsieur Hubmann, dans quelles circonstances est-il permis de surveiller les télécommunications d’un individu? Il s’agit d’une atteinte assez grave aux droits individuels.
Etant donné qu’il s’agit effectivement d’une atteinte majeure aux droits individuels, le législateur a prévu diverses restrictions. Les forces de l’ordre ne peuvent agir qu’en cas de grave suspicion d’une infraction grave figurant sur la liste des infractions (visées à l’art. 269 du code de procédure pénale) et lorsque d’autres mesures d’enquête n’aboutissent plus. En outre, l’ordonnance de surveillance des forces de l’ordre doit être approuvée par un tribunal.
Que révèlent exactement les données des télécommunications – et en quoi aident-elles les forces de l’ordre?
La surveillance des communications permet d’enregistrer les conversations et les messages texte. Cela inclut les données dites secondaires. Ce sont des informations sur les moyens de communication utilisés, tels que le numéro de téléphone et les données de localisation. Lors de poursuites, ces données sont l’une des nombreuses pièces de puzzle qui sont utilisées comme preuves et qui peuvent conduire à l’identification de l’auteur de l’infraction. En dehors des procédures pénales, la surveillance des communications aide, par exemple, à retrouver des personnes disparues — ce qu’on appelle la recherche en cas d’urgence, lors de laquelle la position d’un randonneur bloqué et blessé est déterminée ce qui permet de le secourir rapidement.
Dans quelles circonstances la surveillance des télécommunications atteint-elle ses limites?
Si les mesures autorisées par la loi ne sont pas techniquement réalisables, par exemple parce qu’il y a des lacunes dans la couverture de la téléphonie mobile ou des difficultés de décryptage.
Une surveillance préventive peut-elle également être mise en place?
Une surveillance présuppose, selon le code de procédure pénale, une grave suspicion d’infraction pénale. Dans le domaine préventif, les mesures sont prises conformément à la loi sur le renseignement.
Qu’advient-il des données collectées sur un individu?
Les données collectées sont considérées comme des éléments de preuve dans le cadre d’une procédure pénale et leur traitement est régi par le code de procédure pénale. Lorsqu’une procédure pénale est close, les normes pertinentes de la loi sur la protection des données s’appliquent.
Pour combien et quels types d’infractions le système se révèle-t-il payant?
Les mesures de surveillance apportent une contribution importante – parfois même décisive – dans l’élucidation des délits particulièrement répréhensibles, tels que les homicides, la criminalité organisée, les délits graves commis en bande (tels que la traite des êtres humains, le trafic de stupéfiants, la cybercriminalité) ou les crimes sexuels graves (y compris ceux qui sont préjudiciables aux mineurs). Les mesures de surveillance sont un instrument important au service des forces de l’ordre dans la recherche de la vérité. Cela se traduit également par le fait que des mesures de surveillance ont déjà permis d’innocenter des suspects de certaines accusations.