«Moskau Einfach!» aborde le scandale des fiches survenu en 1989. Mike Müller, connu en Suisse Romande surtout pour son rôle dans la série TV «Le croque-mort», est à la tête des services secrets. L’interview de «Bluewin» explore le complexe d’infériorité local, l’antigermanisme et bien plus encore.
L’interview de Mike Müller se présente en deux parties. Vous pourrez lire la seconde partie prochainement sur «Bluewin».
Mike Müller apparaît avec une épaisse écharpe d’hiver dans un restaurant culte de Zurich, près de la place Escher-Wyss. «Nous sommes en plein hiver et je suis venu à vélo», lance Mike Müller connu pour son rôle dans la série «Le Croque-mort» diffusée depuis 2015 sur RTS Un – avant de pousser un rire qu’on lui connaît bien. L’interview commence ensuite.
M. Müller, «Moskau Einfach!» porte sur l’affaire des fiches qui a secoué la Suisse. Vous avez demandé votre propre fiche à l’époque. Etait-ce compliqué?
Non. Je n’en avais pas.
On dirait que cela vous déçoit. C’est par ailleurs curieux: n’y avait-il pas quelqu’un qui vous surveillait au début de votre carrière – vous, le jeune comédien de gauche?
Nous avons rapidement su qui était espionné, quelles activités étaient observées. Il était certain que ce n’était pas le cas du théâtre que nous avons fondé à Olten. Mais mon voyage à Moscou aurait pu être fiché. Mais encore une fois, il n’en a rien été. Tout comme je n’ai pas été fiché ici, les Russes ne se sont pas non plus intéressés à nous. J’ai pu me déplacer en toute liberté là-bas. Moscou comptait déjà plusieurs millions d’habitants à l’époque. Ils n’étaient pas intéressés par un petit Suisse qui partait en voyage d’études avant sa maturité. Nous avons suivi un programme touristique classique; à l’époque, j’arrivais encore à lire les noms de stations de métro ou à demander mon chemin. Mais je ne sais pas si j’ai une fiche depuis.
Que voulez-vous dire?
La collecte se poursuit dans l’allégresse. Et cela montre comment la Suisse traite de tels sujets – à savoir pas du tout. Un certain nombre de responsables politiques ont menti effrontément dans le cadre de la LSCPT (loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication). Il y avait certes quelque chose qui clochait – mais cela n’a eu aucune incidence. On était au courant de la rétention massive de données.
«La collecte se poursuit dans l’allégresse»
C’est fou.
Oui. On avait toutes les données. L’élite politique du camp bourgeois a toujours été un peu paresseuse. Il existe encore aujourd’hui des cercles de droite qui justifient le fait que 900'000 personnes aient été fichées. Si on aime ce qui est bureaucratique, inefficace et contraire aux principes de l’Etat de droit et de la liberté individuelle, on est dans de beaux draps. Je suis désemparé.
Vous voulez parler des réseaux sociaux?
Oui, de Facebook et des flux de données. Il y a tous ces petits exemples: on veut chercher quelque chose sur Google et on se demande ensuite: «Comment est-ce possible que quelque chose sache ce que je veux?» C’est l’algorithme même qui sait que la probabilité est très élevée qu’en tant qu’homme, dans tel quartier et à telle heure de la journée, on recherche tel ou tel mot-clé. Cela permet d’étriper toute individualité – ça donne la chair de poule. Aussitôt que l’on est dans un autre pays, les recherches sur Google et la publicité changent. Certains produits médicaux interdits chez nous sont tout à coup proposés.
Même si vous condamnez l’Etat fouineur avec la plus grande fermeté, dans «Moskau Einfach», vous incarnez Marogg, un chef convaincu des services secrets.
Ce n’est pas «même si», mais «parce que». Marogg est un représentant de bonne foi d’un ancien système. Bien sûr, je pense que ce sont des gens affreux qui ont fait cela. On a pu voir que la qualité des fiches était médiocre. Les gens n’étaient ni éduqués ni intelligents. Nous avons connu une époque où nous n’étions pas si conscients de cet espionnage. Contrairement aux gens que nous avons rencontrés après la chute du mur. Mais cela a eu un impact sur des carrières.
Dans quelle mesure?
Par exemple, cela a touché tous les objecteurs de conscience, c’était une condamnation hautement politique. Aujourd’hui, la juridiction militaire est de composition différente, elle fonctionne très proprement. Mais à l’époque, c’étaient des officiers, des membres du PLR, de l’UDC, du PDC, qui se soûlaient et qui ont mis des jeunes au trou pendant très longtemps. En tant qu’objecteur de conscience pour raisons politiques, j’en aurais eu pour environ neuf mois. Selon qu’il s’agissait de raisons politiques, religieuses ou de non-violence, c’était apprécié très différemment. Ce sont ces mêmes gangsters qui se sont mobilisés en faveur de la «Beton-Polizei», c’est-à-dire des services secrets. Cette magouille de la droite devait s’arrêter à un moment donné.
Puis la détonation s’est produite en 1989.
La bulle a quelque peu éclaté en 1989. J’aime vivre en Suisse, je gagne ma vie sur scène en suisse allemand. Il y a une différence entre complexe d’infériorité et mégalomanie et, malheureusement, nous ne vivons pas entre les deux, mais nous avons toujours un peu des deux. Les liens véritablement dangereux avec les terroristes italiens, français, allemands, ils ne les suivaient pas de près. Ils n’étaient pas assez intelligents pour ça.
Mais c’est exactement ce genre d’«idiot» que vous incarnez désormais dans «Moskau Einfach!». N’y a-t-il pas eu de résistance intérieure?
Ce que je ressens n’est pas si important, je ne suis que l’acteur. Ce qui compte, c’est que je l’incarne avec force. C’est que je veuille montrer à travers un personnage ce qui me gavait à l’époque. Personne ne s’intéresse à la façon dont M. Mike Müller voit cette époque. Les gens veulent voir un bon film, ils veulent voir le policier qui travaille dans l’illégalité s’impliquer puis faire marche arrière. Il est également intéressant de montrer la paranoïa qui régnait. Si on leur raconte des salades toute la journée, les gens finissent par y croire. C’est aussi un problème avec les responsables politiques radicalisés: s’ils ne sont pas disposés à examiner leur position, elle se durcit.
«Si on leur raconte des salades toute la journée, les gens finissent par y croire»
«Moskau Einfach!» raconte d’une part l’espionnage d’une troupe de théâtre et, d’autre part, l’histoire d’une jeune comédienne talentueuse bridée et harcelée sexuellement par son metteur en scène.
Le chauvinisme et l’antigermanisme sont apparus dans notre pays durant l’après-guerre. Je ne comprends pas tout de cette période de l’après-guerre en Suisse. Jusqu’aux années 1960, on parlait toujours le haut allemand, même à la radio. Ce n’est que plus tard que le suisse allemand a été parlé partout et que le ressentiment envers les Allemands est apparu.
Ne pensez-vous pas que c’est une bonne chose que l’on parle davantage le suisse allemand?
C’est une très mauvaise idée si les gens ne peuvent plus parler le haut allemand. Les Allemands doivent aussi l’apprendre, ils ne peuvent pas parler un langage de caniveau. Et puis nous, les Suisses, nous pensons que techniquement, nous sommes les meilleurs. Et nous croyons qu’avec le passeport suisse, nous pouvons nous greffer partout. Mais dans les faits, tout cela n’est pas vrai. Pour voyager, le passeport américain est le meilleur. Ce n’est plus vrai non plus dans le monde des affaires, nous ne sommes pas les plus appréciés, nous sommes juste finauds. Les Allemands sont considérés comme plus sincères. Si un petit pays croit en ses mythes, il a perdu. La croyance selon laquelle les Allemands ne savent pas parler anglais ou français n’a plus lieu d’être, les jeunes le font mieux que nous. Nous ne savons plus parler français.
Cette prétendue ruse apparaît également chez les fonctionnaires dans «Moskau Einfach!». Bien que le film traite de politique et d’une période difficile de l’histoire suisse, il demeure étonnamment léger et comique.
Oui, léger. Micha Lewinsky (le réalisateur, ndlr) dit toujours que c’est une comédie. Je comprends une comédie dans le sens d’un échec plaisant, par opposition à une tragédie, un échec qui se paie cher. Mais le scénario n’est pas écrit comme une pure comédie, où les chutes se succèdent de manière à créer des situations aussi absurdes que possible. La situation était déjà assez absurde à l’époque. Et cela montre l’échec d’un pays qui doit ensuite continuer différemment.
Certes. C’est une histoire à plusieurs niveaux.
C’est joliment construit, c’est une double libération: celle du policier face à son patron idiot et crédule, mais aussi une libération de la jeune comédienne d’un système patriarcal qui, pourtant, existe toujours aujourd’hui.
Le mouvement #MeToo a été et constitue toujours un sujet d’actualité. Quelle est la situation actuelle de la scène théâtrale suisse?
Nous sommes à Zurich dans une ville où, heureusement, un autre vent souffle. Mais le théâtre de la ville reste un club ultraconservateur. Il est clair qu’il est très hiérarchique, très autoritaire, que les femmes y restent sur le carreau. Mais depuis que davantage de femmes y sont engagées, la tâche est devenue plus difficile pour les patriarches – ou pour les metteurs en scène «tripoteurs». Et chez nous, l’industrie cinématographique est trop petite, il n’y a pas autant d’argent qu’aux Etats-Unis. La scène comique, en particulier, est plus morcelée.
Michael Maertens, un comédien du Burgtheater, incarne le metteur en scène dans «Moskau Einfach!». Vous avez aussi retrouvé Martin Ostermeier, également connu pour son rôle d’Alois Semmelweis, le pathologiste un peu excentrique dans «Le Croque-mort».
Oui, mais malheureusement, je n’ai pas beaucoup vu Martin sur le tournage. J’ai connu le scénario très tôt, Micha a fait appel à moi assez tôt et testé divers acteurs pour le rôle du policier. Il a ensuite choisi Philippe Graber. J’ai surtout tourné avec lui.
Cette interview a eu lieu en février.
Pierre Monnard, réalisateur «Wilder», en images
Pierre Monnard, réalisateur «Wilder», en images
Pierre Monnard, entouré de Sarah Spale (Rosa Wilder) et Marcus Signer (Manfred Kägi)
Pierre Monnard, réalisateur de la série «Wilder».
Pierre Monnard et son équipe, en extérieur pour une scène de «Wilder».
Le réalisateur Pierre Monnard et l'actrice Sarah Spale (Rosa Wilder).
Tournage d'une scène de la série.
Pierre Monnard et son équipe, en plein tournage.
Pierre Monnard, sur le tournage de la série.
Pierre Monnard et son équipe, en plein tournage de la saison 2 de «Wilder».
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