Grogne au resto «Nous ne sommes ni policiers ni médecins!» 

Valérie Passello

28.9.2021

Alors que le certificat sanitaire est en vigueur depuis le 13 septembre en Suisse, la grogne et l'épuisement sont palpables chez de nombreux restaurateurs. Certains se refusent même à appliquer les consignes du Conseil fédéral, au risque de se voir infliger une amende salée. Témoignages.

Valérie Passello

Une serveuse verifie un certificat COVID en papier d'un client a l'aide d'un smartphone et l'application Certificat Covid Check dans le cafe restaurant de L'Europe ce lundi 13 septembre 2021 a Lausanne. Un geste qui entre petit à petit dans les habitudes, mais qui ne convient pas à tous.
Une serveuse verifie un certificat COVID en papier d'un client a l'aide d'un smartphone et l'application Certificat Covid Check dans le cafe restaurant de L'Europe ce lundi 13 septembre 2021 a Lausanne. Un geste qui entre petit à petit dans les habitudes, mais qui ne convient pas à tous.
KEYSTONE

«Tu n'es pas vacciné et tu veux manger au restaurant? Pas de problème, je t'envoie une liste des restos où c'est possible». Cette phrase, peut-être que certains l'ont entendue depuis le 13 septembre. La liste en question, qui s'échange plus ou moins «sous le manteau» mais qui n'est pas si difficile à trouver, recense environ 130 restaurants à travers toute la Suisse.

Il s'agit d'un répertoire des établissements «qui refusent d'implémenter le pass, qui ne servent plus que dehors, ou qui font preuve de créativité pour contourner l'arbitraire», selon l'intitulé, qui invite chacun à alimenter le document. Et il suffit de contacter quelques adresses pour constater que l'instauration du certificat Covid et de son cortège de contraintes génèrent de la colère et de la lassitude chez nombre de restaurateurs.

«Celui qui a le pass, il me le montre s'il le veut»

«C'est du 'foutage de gueule' de la part du Conseil fédéral: moi-même, alors que je travaille huit heures par jour dans le bistrot,  je n'ai pas besoin du pass. Et on m'oblige à le demander à mes clients, qui s'arrêtent dix minutes pour boire un café», fulmine cette restauratrice*. Son constat: depuis le 13 septembre, la plupart des clients présentent spontanément le précieux sésame. Mais de nombreux habitués, opposés au vaccin, ont déserté les lieux.

Pour elle, la pratique est discriminatoire: «Certains interdisent même aux non-vaccinés, qui consomment en terrasse, d'aller aux WC. Vous vous rendez compte? C'est n'importe quoi, cette discrimination est hors-la-loi», estime-t-elle. Avant de conclure: «Celui qui a le pass, il me le montre s'il le veut. Je ne suis ni agent de police, ni médecin». 

«Je respecte les directives», affirme cet autre restaurateur*. Mais pour lui, la pratique est «aberrante» alors que, concrètement, aucune étude ne montre que les gens sont plus contaminés au restaurant qu'ailleurs. «Nous avons déjà pris une sacrée claque avec les fermetures imposées et cela continue. Certains ont vu leur clientèle baisser de 50% depuis l'entrée en vigueur du pass. On se sent lésés: on nous demande de refuser des clients et nous n'avons aucune aide en retour. C'est compliqué», déplore-t-il.

Et si des clients se présentent sans leur certificat? «On trouve un arrangement. On ne va quand même pas laisser les gens dehors. En cas de contrôle, on peut toujours sous-entendre que l'application n'a pas marché: elle n'est pas du tout au point», répond l'intéressé.

Les récalcitrants risquent gros

Alors que la saison de la chasse débute, un autre restaurant a vu ses réservations de repas d'entreprises s'annuler les unes après les autres. La responsable des lieux* s'est renseignée: «Selon de la documentation que j'ai obtenue, l'obligation de vérifier le pass Covid n'est pas légalement fondée. Si des clients ne l'ont pas, on avise sur le moment». Et s'il se met à pleuvoir alors que des personnes non-vaccinées mangent en terrasse, pas question de les abandonner à leur triste sort.   

Si elle assume sa position, cette restauratrice ne craint-elle pas les contrôles? «Bien sûr, mais on fait ce qu'on peut par rapport à cette situation qui est totalement inacceptable», rétorque-t-elle.

Les établissements qui contreviennent aux directives concernant le certificat Covid risquent une amende pouvant aller jusqu'à 10'000 francs. Les clients concernés, eux, sont passibles d'une prune à 100 francs. 

Au Resto du Château de l'Hostellerie de Rolle, Nicoline Robin ne cache pas sa fatigue face à la situation: «Certains clients sont prêts à risquer une amende de 100 francs, mais ils ne comprennent pas toujours que pour moi, les conséquences seraient trop importantes. Depuis le début de cette crise, nous avons tout fait, investi beaucoup, réduit la capacité, augmenté le staff, travaillé 24 heures sur 24, acheté des gants, masques et produits désinfectants... mais on a l'impression que ça ne suffira jamais», se désespère-t-elle. Pour elle, «l'essence même du métier», le plaisir d'accueillir et de faire plaisir, disparaît à l'usure, alors qu'elle en est réduite à «fliquer» les gens. 

L'établissement rollois a bien pensé trouver une solution en proposant aux non-vaccinés de les servir dans des télécabines disposées à l'extérieur, d'une capacité maximale de quatre personnes. Mais les autorités n'ont pas validé l'initiative. Partant du principe qu'il faudra environ sept semaines pour que les clients hésitant à se faire vacciner se décident et reçoivent leurs deux doses, Nicoline Robin a finalement opté pour une fermeture pure et simple du 16 au 31 octobre.

Légal ou pas?

Interpellé sur la question de la base légale permettant à une personne non assermentée de demander sa carte d'identité à autrui, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) renvoie à la foire aux questions (FAQ) distribuée aux médias le 8 septembre: «Tout comme pour la remise d’alcool à des mineurs, les documents d’identité peuvent être contrôlés afin de garantir le respect des prescriptions en vigueur», indique le document.

De même, à la question de savoir si le fait de demander à un client s'il est vacciné est «discriminatoire» ou va à l'encontre du secret médical, l'OFSP cite le même document: «Au moment du contrôle, l’application ne stocke aucune donnée dans un système central ou dans l’application «COVID Certificate Check». (...) En Suisse, le certificat light, une fonction de l’application «COVID Certificate», peut également être utilisé. Lorsque la personne détenant le certificat l’active, un nouveau code QR ne contenant plus aucune donnée de santé est généré à partir des informations du certificat COVID standard. (...) Le certificat light ne contient que le nom, le prénom, la date de naissance et la date de fin de validité».

Appel à l'unité

Figurant elle aussi sur la fameuse liste, la vigneronne de Fully Isabelle Ançay ne recevra personne à la cave, mais organisera ses dégustations uniquement en extérieur, ce qui lui évitera d'avoir à effectuer des contrôles auprès de ses clients.

«Ce n'est pas à nous de faire des séparations entre les personnes. Je m'aperçois que ceux qui sont vaccinés -moi je ne le suis pas- ont pensé qu'ils allaient être plus libres, mais qu'ils sont tout aussi coincés que nous, au final. Il faut arrêter de diviser les gens», lance-t-elle, dans un appel à l'unité. 

À noter encore que quelques-uns des établissements recensés comme étant des «Restos libres» s'étonnent de faire partie de la liste, assurant accepter le pass et respecter scrupuleusement les consignes. La grande majorité des restaurateurs s'y plie d'ailleurs, bon gré mal gré.

*Noms connus de la rédaction