Persécutions Yéniches et Manouches/SintésLa Suisse reconnaît être coupable de crime contre l'humanité
kigo, ats
20.2.2025 - 18:36
La Suisse a commis un «crime contre l'humanité» à l'encontre des Yéniches et des Manouches/Sintés dans le cadre du programme «Oeuvre des enfants de la grand-route» au XXe siècle, reconnaît le Conseil fédéral. Un dialogue avec ces communautés est prévu pour discuter de la suite à donner quant au travail de mémoire.
L'avis de droit a qualifié ces actes de « crimes contre l’humanité », invoquant des persécutions systématiques violant la vie privée, la famille et la liberté de mouvement.
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Keystone-SDA, kigo, ats
20.02.2025, 18:36
20.02.2025, 20:10
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La fondation Pro Juventute, à l'origine du programme, a retiré entre 1926 et 1973 des enfants aux gens du voyage. Des organisations caritatives religieuses ont également participé à ces actes. Les enfants ont été placés dans des foyers, des familles d'accueil, des asiles psychiatriques et des prisons.
On estime à 2000 le nombre d'enfants concernés. Des adultes ont aussi été mis sous tutelle, placés dans des institutions, interdits de mariage ou stérilisés de force. Devant les médias jeudi, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, émue, a parlé de «page sombre de notre Histoire».
Non seulement des enfants ont été placés, mais le style de vie de ces communautés était contesté, a-t-elle rappelé. Ces dernières ont été marquées par des mesures d'exclusion et des stratégies d'assimilation.
La Radgenossenschaft der Landstrasse, l'organisation faîtière des Yéniches de Suisse, l'association yéniche transnationale Chefft Quant et l'organisation Jenische-Manouche-Sinti (JMS), entre autres, ont demandé en janvier 2024 à la Confédération de qualifier ces actes de «génocide culturel».
Au vu de la gravité des accusations, le Département fédéral de l'Intérieur (DFI) a commandé il y a près d'un an un avis de droit au professeur Oliver Diggelmann, de l'Université de Zurich. Le choix de l'expert s'est fait en concertation avec les communautés concernées, a précisé Mme Baume-Schneider.
Etat coresponsable
L'avis de droit conclut que les actes en question doivent être qualifiés de «crimes contre l'humanité» selon les critères actuels du droit international public. Il s'agit de «persécutions d'un groupe identifiable», qui violent systématiquement les droits fondamentaux des membres du groupe en raison de leur appartenance à ce dernier, en particulier le droit à la vie privée et familiale ainsi que la liberté de mouvement.
L'Etat a été coresponsable des faits commis, selon l'avis de droit. Sans sa participation à tous les échelons (Confédération, cantons et communes), la persécution des Yéniches et des Manouches/Sintés n'aurait pas été possible. La Confédération a notamment entretenu des rapports étroits, aux niveaux personnel et financier, avec la fondation Pro Juventute.
Son équipe et lui se sont appuyés sur les dispositions actuelles, a souligné M. Diggelmann. On ne peut pas parler, au moment des faits, de violation du droit en vigueur. Depuis la création de l'infraction «crime contre l'humanité» après la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années 1990, le droit exigeait que les faits soient liés à un événement de guerre, a-t-il expliqué.
Tout en se montrant prudent, il a estimé que, pour cette raison, la Suisse ne peut pas être poursuivie au niveau international. Daniel Zimmermann, chef de la section Affaires de direction et droit de l'Office fédéral de la culture, a ajouté que la Confédération n'a pas de compétence pour poursuivre les individus qui ont participé au programme. Il reviendrait aux cantons d'ouvrir des procédures pénales contre les personnes encore vivantes.
Pas de «génocide culturel»
Selon l'avis de droit, on ne peut pas parler de «génocide culturel» (anéantissement de l'existence culturelle). Cette notion n'existe pas dans le droit international public, a relevé M. Diggelmann.
Et même si la persécution des Yéniches et des Manouches/Sintés comprend des actes de génocide tels que l'enlèvement d'enfants ou l'empêchement de naissance, on ne peut pas parler non plus de «génocide» au sens juridique. Il n'y avait pas d'"intention génocidaire» (intention d'anéantir physiquement ou biologiquement un groupe).
Symboliquement, cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de volonté de ne pas reconnaître une culture et une manière de vivre, a commenté la conseillère fédérale. «Il y a la dimension juridique mais aussi celle personnelle, et les souffrances vécues.» Et de dire qu'il n'y a pas de classement à faire entre «génocide» et «crime contre l'humanité», tous deux se situant au même niveau de gravité.
Excuses et travail de mémoire
Mme Baume-Schneider a réitéré les excuses du Conseil fédéral, déjà exprimées en 2013. Le gouvernement «regarde avec douleur le passé et le regrette profondément». Il a adressé une lettre à la communauté des Yéniches et des Manouches/Sintés.
En 1988 et 1992, le Parlement, sur proposition du Conseil fédéral, a accordé un total de 11 millions de francs pour constituer un fonds de réparation destiné aux «enfants de la grand-route». La Confédération a par la suite lancé et mis en oeuvre différentes mesures visant à poursuivre le travail de mémoire et à dédommager les personnes lésées.
Le DFI, en collaboration avec les communautés concernées, va déterminer d'ici la fin de l'année s'il y a lieu d'élargir ce travail de mémoire, et comment. Il s'agit de reconnaître ce que ces personnes ont vécu, mais aussi qui elles sont en tant que communauté, selon la conseillère fédérale.
Le Conseil fédéral réitère ses excuses envers les Yéniches et Manouches/Sintés
Les persécutions subies par les Yéniches et Manouches/Sintés en Suisse dans le cadre du programme «Oeuvre des enfants de la grand-route» au XXe siècle doivent être qualifiées de «crime contre l'humanité», selon le Conseil fédéral. Il a réitéré ses excuses. La fondation Pro Juventute, à l'origine du programme, a retiré entre 1926 et 1973 quelque 2000 enfants aux gens du voyage et déchiré les familles. Des organisations représentant ces communautés ont demandé en janvier 2024 à la Confédération de qualifier ces actes de «génocide culturel».