USA 2020Trump: «codes diplomatiques bousculés», en vain, selon Burkhalter
Jean-François Schwab, ATS
5.11.2020
L'ancien chef de la diplomatie suisse Didier Burkhalter jette un regard critique mais aussi nuancé sur la politique étrangère de Donald Trump.
A l'heure où le monde a «besoin de davantage de dialogue, d'écoute et d'actions communes», il estime que le langage diplomatique du président américain s'est «surtout avéré maladroit, presque enfantin et insuffisant pour obtenir des résultats pour l'humanité».
«Alors que les crises telles que la pandémie de coronavirus ou le changement climatique nécessitent une réponse concertée et complexe, on préfère souvent s'en tenir à des jugements à l'emporte-pièce sur Twitter. A force de vulgariser, notre société prend le risque de devenir avant tout vulgaire. A force de simplifier, elle oublie les grandeurs et servitudes de la démocratie», observe M. Burkhalter dans un entretien avec Keystone-ATS, alors qu'il se montre restrictif dans cet exercice depuis sa retraite.
«Durant les quatre dernières années, les Etats-Unis, tout en n'étant de loin pas seuls en la matière, ont en quelque sorte montré cette voie-là. Ils l'ont même accélérée. En cassant les codes diplomatiques», constate l'ex-chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de 2012 à 2017.
«Stratégie du chaos»
Il cite l'exemple de l'Iran qui «devait être enfin ramené peu à peu dans la communauté internationale». Les Etats-Unis ont soudainement préféré en revenir au conflit latent en dénonçant l'accord nucléaire négocié pendant de longues et dures années par plusieurs pays, dont eux», relève-t-il.
Autre exemple: la prévention de la guerre atomique. Washington «préfère là encore dénoncer brutalement le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire» (INF).
«L'analyse selon laquelle la géopolitique a changé et que le texte ne tient pas compte des nouveaux acteurs - en particulier la Chine - n'est pas fausse. Mais le chemin choisi pour faire évoluer la situation pourrait s'avérer le plus risqué, en particulier pour l'Europe, laquelle se croyait être un partenaire des Américains», analyse-t-il.
«Les considérations de base dont se prévalent les Etats-Unis depuis quelques années au moment de porter des coups de boutoir ont une part de vrai», explique toutefois l'ancien élu PLR. A l'image des règles économiques et commerciales qui «méritent à l'évidence d'être rediscutées et améliorées».
Mais selon lui, ce n'est pas pour autant qu'il faut «taper dans la fourmilière à chaque fois, choisir la stratégie du chaos pour refondre les bases de l'ordre mondial ou encore railler la coopération entre les nations pour réussir à dompter le progrès». L'ancien conseiller fédéral est au contraire convaincu que «le monde a besoin de davantage de dialogue, d'écoute et d'actions communes».
Contacts directs salués
«Donald Trump a voulu bousculer les codes diplomatiques. Il a décidé de parler publiquement par les réseaux sociaux au lieu de donner dans la discrétion et la prudence diplomatiques habituelles. Puis il a voulu faire des rencontres en grande pompe. Par exemple, avec son homologue nord-coréen Kim Jong-un, tout spécialement, ou encore avec le président russe Vladimir Poutine».
M. Burkhalter reconnaît que M. Trump a eu raison de vouloir privilégier les contacts directs entre les chefs d'Etat et qu'il «n'a pas forcément tort en pensant qu'il faut parfois bousculer un peu pour avancer». Mais pour l'ancien chef du DFAE, la «bonne diplomatie» se fait en «cherchant à connaître et comprendre l'autre».
Si pour le Neuchâtelois le langage diplomatique utilisé n'a pas été véritablement nouveau, il s'est «surtout avéré maladroit, presque enfantin, et, pire, insuffisant pour obtenir des résultats pour l'humanité».
Rien de concret pour la paix
«L'amitié artificielle affichée à Singapour en juin 2018 avec le leader nord-coréen s'est dissipée dans un brouillard perdu d'avance, ne laissant que la lumière blafarde d'un dictateur revalorisé dans la hiérarchie internationale», juge-t-il.
«Quant au président russe, son léger sourire esquissé à la sortie de la rencontre d'Helsinki la même année en dit davantage que tous les tweets du monde», ajoute-t-il. M. Burkhalter estime aussi que les accords arrachés en faveur d'Israël ne sauraient faire progresser la question palestinienne.
Il ne pense pas que ce langage diplomatique ait abouti à du «concret pour le monde et ses perspectives de paix». Au contraire, «on a trop souvent remplacé le travail de la diplomatie sérieux, souvent ingrat, nécessairement discret, avant tout modeste, par un simple jeu sans nuances, manichéen, à l'échiquier noir et blanc. L'exercice si difficile du pouvoir a pris des allures de feuilleton télévisé».
Didier Burkhalter, qui avait discuté avec M. Poutine en tant que président de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 2014, en pleine crise ukrainienne, s'inquiète également de «la tendance au rejet des organisations multilatérales».