SantéPaul Menu: «La sédentarité tue plus que le tabac»
Relaxnews
16.10.2020 - 11:18
Le gouvernement vient de présenter une initiative visant à inciter les élèves du primaire à pratiquer une activité physique et sportive quotidienne. Ce plan, expérimenté dans plusieurs académies, offre la possibilité à chaque école d'ajouter 30 minutes de sport par jour sur le temps scolaire ou périscolaire. L'objectif? Lutter contre la sédentarité. Le professeur Paul Menu, chirurgien cardiaque et membre de la Fédération Française de Cardiologie, nous en dit plus sur ce problème sanitaire majeur qui touche les enfants et adolescents partout dans le monde.
En quoi la sédentarité est-elle considérée comme un enjeu sanitaire majeur?
C'est un vrai problème de santé publique. On sait déjà que le tabac est très mauvais, et bien le «sitting» c'est encore pire. Les études montrent que la sédentarité est devenue la première cause de mortalité évitable au monde. C'est plus grave que le tabac. La sédentarité tue plus que le tabac. Et c'est notamment lié aux écrans, donc j'attends de fait qu'on mette des inscriptions sur les tablettes comme «c'est dangereux pour la santé» ou «la tablette tue», car c'est extrêmement dangereux.
Que s'est-il passé ces 30-40 dernières années pour en arriver à ce constat?
La population mondiale a été amenée à moins bouger. Auparavant, les enfants bougeaient plus ne serait-ce que pour aller à l'école. Aujourd'hui, ils y vont en car ou sont conduits par les parents, et les séances de sport ont été dévalorisées. Dès qu'un enfant a un problème, on lui fait une dispense d'éducation physique mais il participe malgré tout à toutes les autres matières. C'est un ensemble d'éléments, accentué par le temps passé devant les écrans, qui fait que les adultes et les enfants bougent beaucoup moins. Et c'est une évolution mondiale.
Avez-vous pu observer une augmentation des enfants/ados ayant perdu une partie de leurs capacités cardiovasculaires?
Ca a été constaté et publié, en 1971 les enfants mettaient trois minutes pour faire 600 mètres, aujourd'hui il leur faut plus de quatre minutes. Ils ont perdu 25% de leurs capacités cardiaques. Ce n'est pas juste un ressenti, ce sont des chiffres avérés. Le constat est le même pour le temps passé devant les écrans, qui a considérablement augmenté. Aujourd'hui, les jours sans école, les garçons âgés de 11 à 14 ans passent 5h48 par jour devant un écran, et les filles 6h13. Je ne sais pas si on mesure les conséquences pour le futur.
Est-ce que cette sédentarité, souvent causée par les écrans, peut être à l'origine de nouvelles maladies?
Non pas vraiment, il n'y a pas de preuve. La difficulté c'est que les maladies cardiovasculaires dont on parle surviennent à distance. Les enfants concernés savent que s'ils sont malades ça ne sera pas avant une quinzaine d'années, donc ça leur paraît très loin. La sanction de la sédentarité n'est pas immédiate, elle est trop loin pour leur conception d'avenir, donc ça n'est pas concret.
Est-ce que la crise sanitaire, et notamment le confinement, ont accentué ce phénomène?
Bien sûr, car il y a eu une augmentation du temps passé devant les écrans avec l'école à la maison. Pendant le confinement, ils sont beaucoup à avoir travaillé sur un ordinateur. Et puis, ils n'ont pas beaucoup bougé car on n'avait pas le droit de se réunir, ni d'aller au sport. Mais on ne peut pas connaître à ce jour l'évaluation des conséquences réelles sur des pathologies. Il n'y a pas assez de recul.
L'OMS a lancé l'alerte en 2019 sur le fait que 4 jeunes sur 5 n'effectuaient pas assez de sport. Est-ce qu'on peut parler d'un problème sanitaire mondial?
Oui, c'est un constat mondial. Il y a moins d'activité physique dans le monde, même si certains en font encore moins que d'autres. J'ai une étude sous les yeux qui dit que la Corée du Sud est à 94,2% d'enfants de 11 à 17 ans qui ne font pas assez d'activité physique, tandis qu'ils sont 73% en Inde. En Asie et en Afrique, ils bougent également beaucoup moins aujourd'hui qu'il y a plusieurs années.
Est-ce que ces 30 minutes de sport supplémentaires par jour à l'école peuvent inverser la tendance?
Il n'y a aucune raison qu'il n'y ait aucun d'effet. Mais ça reste difficile à savoir car, comme je le disais tout à l'heure, l'effet en question n'est pas immédiat. Le coeur n'est pas instantanément protégé. Il y 'a donc forcément un délai avant d'observer les résultats. Ce qui est très important, c'est qu'il a été démontré que plus on fait de l'activité physique jeune, plus on en fera à l'âge adulte. Il y a une relation directe entre la dose d'activité physique que l'on fait enfant et le plaisir qu'il y a à en faire plus tard. Il y aura donc forcément un effet si on arrive à faire en sorte que les enfants et adolescents prennent du plaisir à faire du sport.
L'école peut-elle remédier seule à ce problème?
Elle peut faciliter l'accès au sport, mais l'école ne fera pas tout. Si les parents et les communautés de parents ne s'investissent pas, ça ne pourra pas fonctionner. Personne ne pourra prendre les baskets à la place de l'enfant, et les parents sont là pour leur faire comprendre que c'est important. D'ailleurs, les enfants qui ont des parents qui font du sport en font plus facilement que les autres. Il y a une nécessité absolue de prise de conscience des parents sur ce problème.
Faut-il interdire les tablettes jusqu'à un certain âge?
Interdire ne fonctionne pas, ça donne même l'effet inverse. Ce qu'il faut c'est leur faire faire autre chose. C'est tout l'intérêt du sport, car c'est une incitation positive. Il faut qu'ils trouvent du plaisir à faire du skate, à faire de la randonnée ou du vélo, etc. Je ne suis pas pour interdire les tablettes car ça ne changera rien.
Quels sont vos conseils pour lutter contre la sédentarité?
Essayer de remplacer le virtuel par le réel, et valoriser le sport. Les enfants prennent conscience de l'écologie, et de l'importance de valoriser la planète, alors est-ce qu'il ne faut pas non plus les inciter à valoriser leur corps et à en prendre soin ? Il faut bien sûr également limiter les écrans, ou mettre en place des systèmes qui incitent les jeunes à faire des pauses.