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«Bötschi questionne» Fredy Meier: «J’ai vécu des choses terribles à cette période»
Bruno Bötschi
29.5.2020
Les mouvements de protestation de la jeunesse ont débuté il y a 40 ans à Zurich avec les émeutes de l’opéra. Fredy Meier y a participé et a acquis une notoriété nationale lors de son apparition à la télévision en tant que «Monsieur Müller». Un film-documentaire retrace cette période.
Au soir du 30 mai 1980, des centaines de jeunes se sont rassemblés devant l’Opéra de Zurich en guise de protestation contre la politique culturelle de la ville. Au cours de la manifestation, la protestation dégénère en de violents affrontements: les manifestants lancent des planches, des cartouches de peinture et des œufs tandis que la police répond en faisant usage de balles en caoutchouc ou de gaz lacrymogène. S’en suit un long été chaud après cette violente nuit de troubles.
Fredy Meier, âgé à présent de 64 ans, fait partie dès le début des militants du mouvement. Il organise en juin 1980 une manifestation de jeunes gens nus. Il fait son apparition un mois plus tard en tant que «Monsieur Müller» dans l’émission télévisée «CH-Magazin» .
L’émission en direct dégénère lorsque Meier se solidarise apparemment avec les représentants des autorités et qu’il exige des mesures de répression plus dures à l’encontre des manifestants. Il s’agit, selon les points de vue, d’une blague grandiose ou de l’un des plus grands scandales de l’histoire de la télévision suisse.
Le cinéaste Felice Zenoni est tombé dans les archives sur des documents inédits jusqu’ici utilisés pour son film-documentaire «Der Spitzel und die Chaoten – die Zürcher Jugendbewegung 1980», (l’informateur et les agitateurs – le mouvement de jeunesse zurichois en 1980) diffusé le 14 mai (sur SRF 1).
Monsieur Meier, vous avez été militant du mouvement de jeunesse de Zurich il y a 40 ans. Vous avez été décrit un jour dans un journal comme «enfant classique du mouvement des années 1980, soit spontané, chaotique et imaginatif».
Je ne m’oppose pas à cette description, mais il y aurait encore quelques autres attributs pour me qualifier.
Lesquels?
Combatif, sensuel et très persévérant. Mes amis et moi avons toujours bien aimé la citation de Che Guevara: «Il faut s'endurcir, sans jamais se départir de sa tendresse».
Le soir du 15 juillet 1980, vous devenez d’un seul coup célèbre en Suisse: votre apparition à la télévision en tant que Hans Müller dans l’émission «CH Magazin» est considérée, selon les points de vue, comme une blague grandiose ou comme le plus grand scandale de l’histoire de la télévision suisse.
Les responsables de la télévision nous ont demandé de désigner des personnes au sein de notre mouvement pour intervenir dans l’émission «CH Magazin». Le mouvement a généralement refusé de collaborer avec les médias. Nous avions nos propres journaux, tracts et actions. Dès lors qu’il est apparu que l’émission était en direct, cela nous a grandement motivés.
Pourquoi?
Parce que nous pouvions dire en direct dans l’émission ce que nous voulions.
Comment s’est déroulée la préparation?
Nous étions un groupe de 20 personnes à avoir préparé l’émission ensemble. La discussion portait sur la manière dont nous devrions nous produire. Quelqu’un a eu l’idée qu’il nous fallait faire une intervention absurde. Nous avons répété en variant les formations avec les partenaires. Voilà l’origine de «Monsieur et Madame Müller».
Vous vous êtes moqués entre autres, en compagnie de votre partenaire fictive Anna Müller, de la conseillère municipale zurichoise socialiste Emilie Lieberherr. Vous êtes apparus en tant que couple conservateur de droite relayant l’opinion des détracteurs de manière exagérée.
Nous avons présenté une sorte de spectacle de cabaret.
Quelle a été votre satisfaction par rapport à votre performance?
Je me suis déjà rendu compte au cours de l’émission que ce que nous avions l’intention de faire fonctionnait. Nous avons pu présenter les sujets prévus, alors que la partie adverse ne pouvait absolument pas rivaliser avec notre présentation.
Que s’est-il passé au studio de télévision immédiatement après la diffusion de l’émission?
Je me souviens que nous avons filé assez rapidement.
Où donc?
Nous nous sommes directement rendus au Centre autonome de jeunesse, où de nombreuses personnes nous attendaient. La majorité a trouvé que nous nous en étions bien sorti, que notre performance avait été cool.
Je m’en souviens comme si c’était hier: j’avais 13 ans en 1980 et nous étions assis avec mes parents, captivés par la télévision cette soirée-là. J’ai trouvé la prestation de Monsieur et Madame Müller super cool…
Vraiment?
Oui.
J’en suis très honoré. Alors on se tutoie dès à présent. J’en ai le droit car je suis le plus âgé.
D’accord, moi c’est Bruno.
Enchanté, et moi c’est Fredy.
Comme je l’ai dit, j’ai trouvé votre prestation super. Et qu’en a pensé le reste de la Suisse?
Cela s’est bien passé pour moi, mais pour ma partenaire, ce n’était pas du tout le cas malheureusement. Quelques jours après l’émission télévisée, la presse a dévoilé nos vrais noms, puis tout est devenu extrêmement «effrayant». Une jeune femme insolente à la télévision à l’époque, quel tollé cela a créé, une chose impossible à imaginer de nos jours. Ses parents venaient en outre d’Irak, elle est de la deuxième génération. C’en était trop pour de nombreuses personnes de l’establishment bourgeois.
Et que s’est-il passé ensuite?
Des politiciens bourgeois ont exigé que le passeport de «Madame Müller» soit saisi. Et la situation est même allée très loin, jusqu’à lui envoyer une balle.
Le film-documentaire «Der Spitzel und die Chaoten» du réalisateur Felice Zenoni, diffusé le 14 mai sur la SRF, retrace l’époque des mouvements de protestation de la jeunesse zurichoise. As-tu déjà vu le film?
Oui, et j’ai une bonne impression.
Tu rencontres dans le film l’ancien informateur de la police Willy Schaffner alias Willy Schaller.
Willy et moi nous affrontons en tant qu’anciens ennemis dans le film, mais c’était il y a déjà bien longtemps. Nous regardons ensemble ce qui et comment cela s’est passé autrefois.
Quelle sensation cela procure-t-il de serrer la main de son ennemi après 40 années?
(Il rit) Waouh… honnêtement, cela ne m’a posé aucun problème. J’ai trouvé passionnant de participer à ce film. En donnant mon accord, je savais déjà que j’allais croiser Willy.
As-tu sérieusement dit ce que tu penses à Monsieur Schaffner lors de la première rencontre?
Non.
Comment le mouvement procédait-il avec les informateurs il y a 40 ans lorsque ceux-ci étaient démasqués?
Les tracts étaient un canal de communication. Si nous démasquions un informateur, sa photo et souvent aussi son numéro de téléphone étaient imprimés sur un flyer puis distribué au Centre autonome de jeunesse. Le mouvement avait une haine totale des informateurs.
La jeunesse de Zurich s’est sentie opprimée et incomprise au niveau culturel il y a 40 ans, jusqu’à ce que la situation ne dégénère une première fois devant l’opéra. J’ai encore de bons souvenirs des images à la télévision montrant les manifestations durant le «Téléjournal» du dimanche. J’avais l’impression, en tant qu’adolescent, d’assister à une guerre à Zurich un week-end après l’autre. Était-ce légitime de lancer des pierres?
Que signifie déjà légitime? Il y avait des manifestations, c’est-à-dire tout un tas de gens engagés pour une cause et qui ont ensuite été poursuivis et matraqués par la police. Il était donc presque logique que cela dégénère en heurts violents. Nous, les membres du mouvement, n’avons jamais défilé avec des casques et des matraques.
Tu as organisé à la place une manifestation de personnes nues dans le centre-ville de Zurich en juin.
Josi et moi avons organisé cette manifestation. Nous avions déjà lancé des invitations à se rassembler entre personnes nues sur la Hirschenplatz l’année précédente, avec à l’arrivée seules dix participants. L’année d’après, nous étions simplement sur scène et avons déclaré: «Toutes celles et tous ceux qui souhaitent participer à une manifestation nue se rassemblent là-bas devant le grand arbre. Et s’il vous plaît, confiez vos vêtements à quelqu’un d’autre».
Pourquoi les personnes nues ne doivent pas transporter leurs vêtements sur elles?
Pour que la police ne puisse pas nous arrêter et nous ordonner de nous rhabiller, de les suivre. C’est aussi la raison pour laquelle la polie n’est pas intervenue lors de la manifestation et qu’elle n’a fait qu’observer. Sinon toutes les manifestations non-autorisées seraient toujours immédiatement réprimées, au sens littéral.
L’establishment s’est senti provoqué par le mouvement de jeunesse, de nombreuses personnes étaient aussi surmenées. C’est pourquoi beaucoup de contestataires ont payé un lourd tribut. Tu t’attendais à ça?
Non. Nous avions discuté de différentes actions durant la préparation. Certains étaient d’avis que nous devions nous allonger sur le sol devant l’entrée tels des cadavres de la culture. Cette proposition n’a pas obtenu la majorité. Il y avait peut-être 200 personnes qui se sont rendues le 30 mai 1980 devant l’opéra, mais ce qui s’est produit ensuite, c’est-à-dire de voir soudainement des policiers équipés de boucliers de combats entrecroisés surgir de l’opéra et se poster devant nous a été un événement inattendu.
La situation a dégénéré par la suite.
Le comportement de la police n’était absolument pas justifié. De plus, en cours de soirée, une nombreuse foule venue du concert de Bob Marley depuis le Hallenstadion nous a rejoints. Un défilé qui a submergé toujours davantage la police. Cette situation me rappelait parfois le jeu de «la police et le voleur». Nous n’étions pas prêts à affronter ce soir-là des événements de cette ampleur. J’ai vécu des choses terribles à cette période et j’ai pourtant toujours été étonné de revoir un grand nombre d’entre nous continuer à venir malgré la brutalité présente.
Beaucoup de contestataires ont été arrêtés au cours des mois suivants. Toi aussi, tu as passé 14 mois derrière les barreaux.
Après l’émission des «Müller», la situation était claire aux yeux des autorités: ceux qui vont à la télévision font partie des meneurs, c’était du moins la logique de la police, du procureur et du tribunal. Des charges ont été retenues contre moi par la suite, parmi lesquelles aussi de nombreuses sans fondement.
Quels étaient les chefs d’accusation?
Violence à l'encontre de fonctionnaires, utilisation de l’espace public à des fins politiques, diverses histoires. C’est allé en fin de compte si loin que même les avocats bourgeois ont trouvé que j’aurais dû seulement écoper d’une peine assortie d’un sursis. Mais les autorités ont voulu créer un précédent. Et c’était bien sûr idéal d’envoyer quelqu’un de connu dans toute la Suisse en cabane.
Comment était cette période en prison?
En prison, j’ai appris que même une personne mauvaise peut faire des choses bien et inversement. Lorsque j’ai été incarcéré, je m’imaginais que l’objecteur de conscience serait mon ami et le meurtrier mon ennemi. J’ai dû cependant apprendre par la suite qu’en prison, la tournure des événements peut aussi changer. Tandis que l’objecteur de conscience allait tout rapporter, le proxénète soutenait toujours les personnes en leur obtenant par exemple une chaîne stéréo.
Tes contacts du temps du mouvement se sont-ils rompus?
Non. On se voit toujours, mais nous sommes plus âgés, plus posés. L’expérience de pouvoir faire bouger quelque chose ensemble a été positive et importante.
En dépit ou justement à cause de tous les conflits, Zurich a commencé à se transformer grâce aux contestataires du mouvement à partir de 1980. Penses-tu la même chose?
Absolument. Ce qui est passionnant en outre, c’est de voir encore aujourd’hui des personnes du mouvement impliqués dans le domaine culturel, au théâtre, dans le domaine social ou également à la Rote Fabrik. Ces gens garantissent que quelque chose subsiste du combat mené à l’époque, que nos idées continuent ainsi à être transmises. Je trouve que cela est particulier et beau.
Tu vis toujours à Zurich: quel est ton degré de satisfaction aujourd’hui par rapport aux autorités et à la vie en ville?
(Il rit) Beaucoup d’éléments ont évolué au cours des dernières années et se sont aussi améliorés. Je préfère toutefois ne pas m’exprimer au sujet de la police, il se passe toujours des choses étranges là-bas. Ce qui me frappe: nous sommes de nos jours davantage disposés à s’écouter et se rapprocher les uns des autres. Si quelqu’un parle aujourd’hui d’autonomie, la partie adverse ne crie pas immédiatement: «À l’aide, à quoi cela sert-il»? Je trouve en même temps que la culture alternative pourrait bénéficier d’un soutien encore bien plus important. Zurich est devenue une ville de consommation effrénée ces dernières années, comme tant d’autres grandes villes, et je ne trouve pas cet aspect seulement positif.
De nombreuses personnes te considéraient autrefois comme un enfant terrible: qui es-tu aujourd’hui?
Je ne sais pas … ou disons-le comme ça: je suis un homme qui a vieilli de 40 ans et qui ne voit aucune raison de toujours se considérer comme un enfant terrible. C’est un passé lointain. Je participe tout de même toujours activement à la vie dans la cité. Je me suis aussi rendu à plusieurs manifestations pour le climat où j’y ai également rencontré d’autres contestataires. C'est extraordinaire qu’il y ait la jeunesse engagée pour le climat et je trouve fantastique la ténacité dont font preuve ces jeunes dans leur combat.
H.R. Giger en images