Santé «Il y a un risque de reprise de l'épidémie de sida» selon Florence Thune de Sidaction

Relax

26.3.2021 - 11:49

Annulé en raison de la pandémie l'an dernier, Sidaction se tiendra les 26, 27, et 28 mars. Florence Thune, directrice générale de l'association, revient sur l'impact de la Covid-19 sur la lutte contre le VIH/sida, et fait le point sur le dépistage, les traitements, et la piste d'un potentiel vaccin. 

La pandémie de Covid-19 a eu un fort impact sur la lutte contre le sida.
La pandémie de Covid-19 a eu un fort impact sur la lutte contre le sida.
taidundua / Getty Images

ETX Studio

Un an après le début de la pandémie, quel est son impact sur la lutte contre le VIH/sida?

La crise sanitaire a eu, et a toujours, un fort impact sur la lutte contre le sida, tant sur les activités qui y sont liées, que sur leur financement. Sidaction a dû annuler les 3 jours du Sidaction 2020 qui permettait de collecter plus de 4,5 millions d'euros pour la recherche, la prévention et l'aide aux personnes séropositives au VIH. Nous avons pu organiser une soirée spéciale le 25 juin sur France 2, mais seul 1,5 million a pu être collecté. Les donateurs nous ont soutenus tout au long de l'année mais le retard n'a pas pu être rattrapé. Et cette année, nous ne pouvons pas organiser d'animations régionales; ce qui viendra impacter le résultat de la collecte. L'impact sur les activités est large également: des projets de recherche ont été suspendus, et il y a eu une baisse des actions de prévention et de dépistage, ainsi qu'un impact psychologique, social et économique fort sur les personnes vivant avec le VIH, notamment celles qui étaient déjà en situation de précarité et d'isolement.

Y a-t-il eu des retards de prise en charge en lien avec la pandémie?

De manière globale, en France et dans le monde, des mesures efficaces ont été prises pour éviter des ruptures de traitement ARV (antirétroviral) pour les personnes qui étaient déjà sous traitement. Les ordonnances pouvaient être utilisées en pharmacie même si elles étaient expirées, des consultations ont pu être organisées en visio pour certaines situations urgentes par les médecins infectiologues, bien que ceux-ci étaient complètement débordés par la vague de patients liée à la Covid-19. Les associations de terrain ont également déployé une énergie incroyable pour informer sur ces différentes mesures et pour s'assurer que les personnes suivies continuent à prendre soin de leur santé physique et psychologique. Dans la plupart des pays en Afrique où Sidaction intervient, les associations ont fait de nombreuses visites à domicile, pendant les périodes de confinement, pour apporter les traitements aux personnes habitant loin des villes et qui n'étaient plus en mesure de se déplacer.

«En France, à fin octobre, près de 650.000 tests de dépistage n'avaient pas été réalisés par rapport à ce qui était prévu initialement sur cette même période.»

Qu'en est-il de l'accès au dépistage? 

Si la continuité des traitements a pu être assurée globalement, cela n'a pas été le cas pour les actions de prévention et d'accès au dépistage qui ont été fortement impactées par la crise. En France, au regard des dernières données disponibles, à fin octobre, près de 650.000 tests de dépistage n'avaient pas été réalisés par rapport à ce qui était prévu initialement sur cette même période. Les actions de prévention ont été suspendues, voire mises à l'arrêt pendant les différents confinements, les associations ayant mis l'accent sur le déploiement d'une aide sociale et psychologique auprès des personnes qu'elles suivent au regard de la dégradation de leurs conditions de vie, sociales et économiques. Les travailleuses du sexe et les personnes migrantes ont subi la crise de plein fouet. Il y a eu de nombreuses détresses psychologiques à gérer. On a également noté en France un recul des premières prescriptions de PrEP (traitement préventif) ou des premières prescriptions de traitements ARV. Cela veut dire moins de personnes protégées contre le VIH, que ce soit en prévention ou en prise en charge.

«On craint également une hausse du nombre d'enfants contaminés par le VIH lors de la grossesse ou de l'accouchement.»

Y a-t-il un risque de reprise de l'épidémie?

Oui. L'ONUSIDA estime au niveau mondial que l'on pourrait décompter jusqu'à 300.000 personnes supplémentaires contaminées par le VIH dans les deux prochaines années, et jusqu'à 145.000 décès. En 2019, on comptait 1,7 million de nouvelles contaminations et près de 700.000 décès. Ces chiffres étaient en baisse régulière depuis plusieurs années, mais déjà, avant même la crise, on ne pouvait que constater que la baisse était largement insuffisante. La crise sanitaire va venir aggraver cette situation. Le retard du dépistage est à la base de ces prévisions. Une personne qui n'a pas fait de dépistage et ne sait donc pas qu'elle est séropositive voit sa santé se dégrader et peut continuer de transmettre le VIH. D'où ce risque de reprise de l'épidémie, alors que le nombre de personnes ne connaissant pas leur séropositivité était déjà trop important avant la crise sanitaire. On craint également une hausse du nombre d'enfants contaminés par le VIH lors de la grossesse ou de l'accouchement, lorsque les femmes n'ont pas pu avoir accès au dépistage et n'ont donc pas pu bénéficier de traitements suffisamment tôt.

Le slogan de la campagne 2021 est «La lutte contre le sida ne peut pas attendre». Qu'attendez-vous des pouvoirs publics?

Nous attendons plusieurs choses. Tout d'abord, un financement consolidé, voire augmenté, auprès des associations qui font un travail remarquable sur le terrain pour lutter contre deux virus à la fois, notamment auprès des personnes les plus éloignées des soins, mais aussi des campagnes d'incitation au dépistage pour rattraper le retard et des campagnes de prévention et d'éducation à la sexualité auprès des jeunes. Il faut également rendre possible la prescription de la PrEP par les médecins généralistes comme s'y était engagé le ministre de la Santé Olivier Véran.

«Les chercheurs travaillent aujourd'hui sur des traitements de longue durée»

Où en est la recherche aujourd'hui en matière de traitements?

La recherche a permis de produire des traitements allégés, tant en nombre de comprimés à prendre par jour, que d'effets secondaires. Les chercheurs travaillent aujourd'hui sur des traitements de longue durée – prendre un traitement tous les 3 mois par exemple – et sont sur la piste de la rémission, c'est-à-dire pouvoir un jour prendre un seul traitement qui permettra de contrôler le virus sans avoir à prendre des traitements au quotidien, à défaut de pouvoir l'éradiquer.

Des scientifiques américains viennent de présenter des résultats concluants sur l'efficacité d'un vaccin contre le VIH tandis qu'un essai va prochainement être lancé en France. Peut-on espérer que ce vaccin, attendu depuis 40 ans, devienne enfin réalité?

Aux USA, il s'agit du vaccin du Scripps de San Diego. C'est pour le moment un essai en phase 1; ce n'est donc pas à ce niveau un essai d'efficacité. L'équipe a réussi à stimuler les cellules immunitaires B très rares capables de produire des anticorps. On espère que cette stratégie soit une de celles qui vont permettre de prévenir un jour l'infection à VIH, mais cela reste à ce stade une piste, comme d'autres aujourd'hui à l'essai, comme cela va bientôt être le cas pour l'essai de phase 1 qui est lancé en France par le Vaccine Research Institute, basé à l'hôpital Henri-Mondor à Créteil.