Comptes-rendus nocturnes (partie 1) «Je dégaine plus vite mon flingue que votre chien n’attaque»

Le soir venu, dans les années 1980, le gardien de nuit était chargé de faire régner la tranquillité et l’ordre dans le séduisant hôtel Nova Park à Zurich. Une rapide lecture de ses comptes-rendus livre un aperçu des nombreuses tâches qu’il accomplissait.

Quel spectacle que l’ouverture de l’hôtel Nova Park à Zurich-Altstetten le 14 juillet 1972. L’hôtelier René E. Hatt est arrivé à dos d’éléphant. Il aimait faire des entrées remarquées.

L’établissement cinq étoiles, comptant plus de 1000 lits, était à l’époque le plus grand hôtel de Zurich et le troisième de Suisse. René Hatt a été un visionnaire dans la branche hôtelière suisse. Il souhaitait proposer des «lieux de rencontre et un espace de bonheur». Sa devise: «L’hôte ne va pas en ville, la ville se déplace à l’hôtel. L’hôtel qui remplace la regrettée place du village et son bistrot».

René E. Hatt, fils de boulanger et économiste d'entreprise, est rapidement devenu roi des hôteliers après l’ouverture du Nova Park. Dix ans plus tard, son empire comptait sept lieux d’accueil de clients à travers le monde, avec entre autres l'Hôtel Elysées à Paris, qui, avec ses suites aménagées dans le style oriental mille et une nuits, figurait parmi les hôtels les plus chers de la planète. Hatt a bâti son empire de manière fulgurante, un peu trop même, comme cela s’est avéré. Le «cas Hatt» a mené à l’une des plus grandes faillites économiques des années 1980.

Les comptes-rendus rédigés à la main par le gardien de nuit entre 1981 et 1985 livrent un aperçu passionnant des événements se déroulant dans les coulisses de l’hôtel. Les cahiers de format A5 reliés en similicuir noir auraient dû passer à la déchiqueteuse depuis longtemps mais un ancien collaborateur les a conservés dans sa cave.

Le rédacteur de «Bluewin» Bruno Bötschi a pu prendre connaissance du contenu des cahiers du Nova Park. On croit lire un roman policier en parcourant plusieurs entrées du journal – assez de matière pour une série en trois volets.

Les écritures du gardien de nuit ont été soigneusement rédigées, le style d'écriture n'a cependant pas été modifié.

29 septembre 1981

(...) La «dame» de la chambre 1426 souhaitait prolonger son séjour dans notre établissement. Je l’ai déjà remarquée auparavant et lui ai dit que ce n’était pas possible. J’ai demandé en même temps à la standardiste d’écouter les appels téléphoniques. Cet appel a été passé cette nuit. Voix d’hommes: «Combien aujourd’hui?» Elle: «Sept». – «Tu l’as emmenée en haut avec toi?» – «Oui» – «Tu vois, tout se passe très bien». Second appel (la même voix): «J’essaie maintenant de monter mais ça va être difficile car tout le monde est à la réception et regarde» (...)

13 octobre

(...) Un homme a été abattu devant le garage Tip-Top peu après 23 heures. Un client nous en a informé et nous avons appelé la police. Nous avons également été interrogés sur l’affaire car le lien entre le client (1320) et la victime n’était pas clair au départ.

Il s’est avéré plus tard que le client n’était qu’un simple témoin. La police est revenue vers 5 heures et nous a posé des questions concernant une photo provenant de leur fichier. Nous n’avons toutefois pas pu être formels par rapport à celle-ci. La police criminelle va encore interroger le personnel du club de fitness aujourd’hui. (...)

31 octobre

Monsieur Sigrist (service de sécurité, note de la rédaction) a eu une altercation avec Monsieur Hofer, qui était accompagné d’un chien. Les paroles «Je dégaine plus vite mon flingue que votre chien n’attaque» ont été prononcées. Monsieur Hofer était très remonté et ne s’est pas calmé. Il m’a appelé à 3h15 pour me signaler qu’il allait adresser une plainte écrite. (...)

4 novembre

(...) Il y a quatre jours, Messieurs Sigrist et Iselin ont fait redescendre plusieurs fois une dame qui se trouvait à l’étage. Nous lui avons dit que ce n’était pas tolérable. Elle a refusé de donner son adresse. Nous l’avons verbalement informée qu’elle était interdite d’entrée.

Elle a encore rencontré Monsieur Iselin dans l’établissement aujourd’hui peu après 11h. Nous nous sommes rendus au bureau avec elle afin d’avoir une nouvelle conversation. Monsieur Iselin a reçu une gifle pour débuter l’entretien. Comme elle n’était pas disposée à indiquer son adresse, j’ai appelé la police afin de procéder à un contrôle d’identité. La dame s’est ensuite montrée encore très grossière et injurieuse. (...)

20 novembre

(...) Monsieur Yoon (1512) a ramené une «dame» dans sa chambre. Il s’est visiblement endormi et a été délesté de 6200 francs. Et au bar, personne ne connaît la «dame»!? Monsieur Yoon a déposé plainte contre inconnu à la police. (...)

28 novembre

La «dame» de la 1312 «travaille» trop. Elle a reçu au moins quatre personnes dans sa chambre. Je lui ai indiqué que nous allions avoir besoin de cette chambre et qu’elle était priée de quitter les lieux à 12 heures au plus tard. S’assurer que la note sera bien réglée. (...)

11 décembre

J’ai dû demander à un agent de sécurité d’escorter un homme âgé à l’extérieur car il hurlait dans le hall et avait un comportement très inconvenant. Il était, comme de très nombreuses personnes hier soir, ivre. (...)

17 janvier 1982

Dans la chambre 2117, une flamme a jailli de la TV. L’appareil est débranché, l’annonce de réparation rédigée. Les clients ont été relogés. (...) À cinq heures du matin, des occupants de deux chambres situées au 4e étage du bloc C se sont plaint d’aboiements de chiens. La dame de la 2416, Madame Ringer, les a laissés seuls et a écrit une note indiquant qu’elle s’était rendue à l’hôpital et serait de retour à midi. J’ai amené les chiens à la réception.

26 janvier

Le passeport de Monsieur Mabrouk (1409) a été dérobé par une femme qu’il ne souhaitait pas payer. La police cantonale n’a rien voulu savoir de cette affaire. Monsieur Mabrouk et la dame se sont ensuite rencontrés à l’International où elle lui a rendu son passeport. La police cantonale est revenue le voir ce matin dans sa chambre. Elle a indiqué que tout était en ordre.

28 janvier

Monsieur Mabrouk a fait monter une prostituée dans sa chambre sans que je ne m’en aperçoive. Vers 4h10, l’occupant de la chambre 1249 nous a appelé et indiqué qu’une bagarre avait lieu dans le couloir. Accompagné d’un collègue, nous nous sommes précipités en haut pour y trouver une femme ainsi que Monsieur Mabrouk complètement dévêtus en train de se pousser et se frapper. Nous les avons rapidement séparés. (...) Après 45 minutes pénibles, deux policiers sont finalement arrivés. Elle (la prostituée) a giflé l’un d’eux. Même après l’avoir menottée, les agents ont eu du mal à la maîtriser si bien qu’un véhicule de police a été dépêché sur les lieux. (...)

10 mai

(...) J’ai refusé l’entrée à une demoiselle car elle était habillée de manière trop «spectaculaire» (en tenue trop légère).

Comptes-rendus nocturnes (partie 1)

Que se passe-t-il dans un hôtel après la tombée de la nuit: «Bluewin» a pu consulter les procès-verbaux du gardien de nuit du Nova Park. Ils relatent des faits s’étant déroulés entre 1981 et 1985 dans le plus grand hôtel de Zurich. Ces cahiers auraient dû être déchiquetés depuis longtemps, mais un ancien collaborateur les a conservés chez lui. Quelle chance!

Cet hôtel avec vue sur la mer est en ruine depuis 20 ans