Le guide de haute montagne Gaston Rébuffat avait recensé au début des années 1970 les «cent plus belles courses» dans le massif du Mont Blanc. Moins d'un demi-siècle plus tard, un quart d'entre elles sont très affectées par le réchauffement climatique.
Une équipe de chercheurs en Savoie a passé au crible la quasi-totalité de ces itinéraires situés au coeur du lieu de naissance de l'alpinisme en analysant leurs conditions de neige, de glace, l'état des rochers, leur accessibilité et leur dangerosité.
Il en ressort que sur les 95 parcours étudiés, «93 sont affectés par les effets du changement climatique, dont 26 très affectés, et trois d'entre eux n'existent plus», résume l'étude publiée en juin par Jacques Mourey, géographe doctorant au laboratoire EDYTEM, sous la direction du géomorphologue Ludovic Ravanel, un enfant de Chamonix.
Les trois changements les plus communs, qui rendent ces courses «plus dangereuses et plus techniques», sont l'apparition de substrat rocheux (85 courses concernées), neige et glace cédant la place, des crevasses plus larges (78) et des glaciers aux pentes plus raides (73).
Et les fenêtres optimales pour les réaliser dans de bonnes conditions – traditionnellement c'était l'été – deviennent «plus rares» et «plus incertaines», se déplaçant davantage vers le printemps, l'automne et même l'hiver.
«La fonte des glaciers et le réchauffement du permafrost», qui engendrent des chutes de pierres mais aussi des écroulements, affectent «significativement» les itinéraires de haute montagne, constate cette étude, l'une des rares à envisager les conséquences du climat sur la pratique de l'alpinisme, réalisée à partir de nombreux entretiens et comparaisons avec d'anciens topoguides.
Hausse supérieure à la moyenne
Les Alpes ont connu une hausse des températures supérieure à la moyenne du globe, de 2°C entre la fin du XIXe siècle et le début du XXIe, avec une forte accélération depuis les années 1990, rappelle l'étude. La haute montagne, milieu particulièrement sensible, en est très affectée.
La fonte des glaciers et la neige plus rare en hiver font apparaître des crevasses plus tôt au printemps et davantage de glace vive en surface en été. Cela se traduit pour les montagnards par davantage de crevasses très ouvertes et des ponts de neige plus fragiles, puisque la neige tassée «ne regèle, ni ne se consolide assez, notamment pendant la nuit».
Le climat favorise aussi la chute de séracs, ces immenses blocs qui se détachent du glacier et tombent, balayant tout sur leur passage. Et si les chutes de pierres sont le résultat de l'érosion naturelle, le réchauffement du permafrost, qui cimente les blocs de granit entre eux, les rendent «plus fréquentes et plus volumineuses».
Vingt-cinq types de changements ont été identifiés et leur impact sur les paramètres du grimpeur analysé: augmentation du danger, difficulté technique et niveau d'engagement, itinéraire rallongé ou tout effort supplémentaire nécessaire pour la course.
Le réchauffement devrait encore s'accélérer dans les prochaines décennies, «affectant encore davantage» la haute montagne. «Cette perspective aurait des conséquences significatives pour la pratique de l'alpinisme et la capacité des professionnels», guides et gardiens de refuge en tête, «à s'adapter».
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