Isabelle Simon, auteure de l'ouvrage «Traité du trou du cul» aux Éditions de l'Opportun.
L'ouvrage «Traité du trou du cul» par Isabelle Simon, aux Editions de l'Opportun.
«Le trou du cul est une symbolique garante d'égalité, de non-agression et d'humour» (Isabelle Simon)
Isabelle Simon, auteure de l'ouvrage «Traité du trou du cul» aux Éditions de l'Opportun.
L'ouvrage «Traité du trou du cul» par Isabelle Simon, aux Editions de l'Opportun.
Si les discussions peuvent aller bon train autour de la sexualité, qu'en est-il du trou du cul ? Ne rougissez pas, respirez un bon coup, c'est un sujet plus vaste que vous ne le pensez. Spiritualité, histoire, anatomie, culture, et même art, Isabelle Simon, auteure de «Traité du trou du cul», a amplement fait le tour de la question, et nous confie ses impressions sur ce sujet épineux.
Comment en vient-on à écrire un livre sur le trou du cul ?En faisant des recherches pour différents articles sur des sujets très variés comme les rapports sociaux de domination/soumission, l'accouplement dans le monde animal, la symbolique du souffle dans la mystique orientale et occidentale, je me suis rendu compte que tout était lié, articulé autour d'un axe, le trou du cul. Il se révèle un sujet central autour duquel gravitent toutes les choses humaines : des plus hautes aux plus basses, des plus viles aux plus sacrées. Le trou du cul est une dialectique. Il constitue ce trognon commun de l'humanité, ce nœud intime impossible à défaire entre la honte et la fierté.
Comment expliquer le tabou autour de ce sujet ?Le tabou est double : il est lié aux excréments, tabou posé dès l'apprentissage de la propreté dans la petite enfance, et à l'homosexualité, passible d'exclusion sociale dans quasiment toutes les sociétés humaines. Dans la tête, la fonction d'excrétion n'est jamais dissociée de l'anus, même quand on le prend comme organe sexuel. Le trou du cul ramène du sale dans le lit conjugal, là où la sacralisation de la fonction maternelle parvenait peu ou prou à faire de la gymnastique génitale un devoir sacré. Tout le monde sait qu'on peut prendre du plaisir par 'là' mais tout le monde le nie. Rien ne justifie le plaisir anal. Improductif, sans utilité sociale, il est considéré comme un vice honteux. Ce qui rehausse son sulfureux attrait.
Justement, en matière de rapports sexuels, le plaisir anal reste peu démocratisé, est-ce une erreur ?Il jouit surtout d'une banalisation inégalement partagée. Poussée par le porno où l'anal est devenu incontournable, la sodomie fait une percée fulgurante dans la sexualité des couples hétéro – au moins en fantasme. Cependant, il n'est toujours question que de pénétration de la femme. Quant au plaisir… Que les couples osent se frotter à l'anal est une bonne chose. La sodomie est une saine activité sauf si le schéma récurrent sur lequel elle se banalise prive les trous du cul de plaisir. Celui de la femme qui se force à une pratique devenue injonction. Celui de l'homme qui se prive d'une pratique considérée comme avilissante.
En quoi notre appréciation du trou du cul est-elle différente de celle des animaux ?Les animaux n'ont pas d'appréciation du trou du cul. Ils en jouissent parce que c'est jouissif. Ils se le reniflent parce que c'est truffé d'odeurs significatives. Lorsqu'un chien flaire le trou du cul d'un autre chien, il recueille des informations utiles. Ils ne se dit pas 'ça sent bon' ou 'ça sent mauvais'. En dehors des périodes de reproduction où l'instinct les pousse à l'accouplement, les animaux peuvent se donner du plaisir autrement. Les mâles peuvent avoir une activité génitale récréative, sans se considérer pour autant 'homosexuels'. Seuls les humains posent un jugement, une morale sur leurs comportements. Les fantasmes, l'érotisme, l'orientation sexuelle, tout cela est spécifique à l'humain, à la culture. Rien de tout ça n'est naturel.
Le fait que ce sujet soit tabou peut-il avoir des conséquences graves, notamment en termes de santé ?Il est certain qu'évoluer avec un balai planté dans le fondement, ce n'est pas très prophylactique ! Si l'on est crispé au sujet de son trou du cul, on va avoir tendance à en faire trop ou pas assez : à se le décaper, à le frotter, le purger à outrance de peur de la moindre trace, ou au contraire, à l'ignorer, même quand il envoie des signaux de détresse pour rappeler qu'il existe. Tout ça n'est pas très bon pour la santé. De la douceur, un minimum de considération et des toilettes à l'eau claire suffisent au bien-être anal. Si l'on est détendu, on va bien.
Devenue célèbre, la fistule anale de Louis XIV a-t-elle été déterminante dans le traitement du «trou du cul» par la médecine ?A part stimuler la dextérité de son chirurgien, je ne vois pas trop… Il faut dire qu'on parle d'une époque d'avant la pudibonderie, où le trou du cul était constamment sollicité pour évacuer le mal. Quel qu'était celui dont on souffrait, le remède de première intention était au choix la saignée ou le lavement. Et l'on n'avait pas spécialement de pudeur à opérer en public.
Du «Bouquet of Tulips» de Jeff Koons au «Tree» de Paul McCarthy : le trou du cul est souvent utilisé dans l'art. Mais dans quel but… La provocation ?Que vous pensiez spontanément à ces deux œuvres le démontre : la fonction de l'art contemporain est de favoriser à coup de subventions un art 'provoc' qui prend toute la place. Dans quel but ? Etouffer toute expression réellement subversive. Aux époques où il était subversif d'évoquer le trou du cul, son apparition dans l'art vouait l'artiste à une exécution en place de Grève; pas à une érection en place publique. Des élus consacrent aujourd'hui une part substantielle du budget de leur commune à l'installation des plugs de McCarthy. Aussi rigolote soit-elle, la chose ne remet rien en question. Elle ne fait pas vaciller le pouvoir en place. Elle conforte plutôt le principe de domination car si l'on y réfléchit, ce n'est pas le trou du cul qu'elle exhibe mais l'instrument phallique pour le lui mettre profond. Si cette exhibition a quelque chose de choquant, c'est plutôt dans le message méprisant qu'adresse aux gens cet obélisque moderne, financé qu'ils le veuillent ou non avec leur argent. Le but de pure provocation se retrouve surtout dans les œuvres commerciales, tout simplement parce que ça fait vendre. L'art véritable n'a pas de but, c'est un jaillissement spontané.
Au regard de l'Histoire, voire de certains mythes, à quand remontent les premiers écrits sur le trou du cul ?A l'invention de l'écriture, je suppose. Les mythes transmis oralement et dans lesquels le trou du cul intervient dans la création du monde sont probablement bien antérieurs.
Explorez-vous également dans votre livre le sens figuré du terme ?Bien sûr ! Je le prends dans tous les sens.
Après avoir fait le tour de la question, que retenez-vous du trou du cul ?Universel, coquin, joueur, le trou du cul ne se prend pas au sérieux. Le phallus a trop servi de sceptre symbolique à la société humaine. Il est usé. Le trou du cul se présente comme une symbolique alternative garante d'égalité, de non-agression et d'humour. Un prisme à travers lequel considérer différemment les choses. Un vent d'espoir pour le monde.
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