Dans l'Antiquité, les Romains cultivaient un art de l'esprit qui résonne étrangement avec ce que nous vivons actuellement. En effet, alors que la crise sanitaire nous pousse un peu plus à hiberner que les autres hivers, les plus sages d'entre nous n'hésiteront pas à se tourner vers l'otium pour éviter de sombrer. Oti-quoi?
«Otium»... Voilà un terme un brin étrange, un «truc d'intello» oseront même affirmer certains à l'esprit plaisantin. Ils ne sont pas si loin de la réalité, puisque ce terme nous vient de l'Antiquité et était employé par les Romains pour désigner les «loisirs de l'esprit». Comme le souligne Gilles Sauron, professeur d'archéologie et d'histoire de l'art romain à la Sorbonne Université, en préface d'une note datée de 2012: "les Romains se sont fait une haute idée de leurs temps de loisir, au point qu'un Cicéron a forgé la fameuse formule de l'otium cum dignitate».
Le concept de l'otium s'inspire d'une pratique héritée de la Grèce antique, la skholè, comme l'explique l'historien Jean-Miguel Pire dans son livre «Otium. Art, éducation, démocratie» paru en février 2020 aux Éditions Actes Sud. L'auteur définit l'otium comme un «loisir studieux», qui peut se traduire par une quête de sens et de beauté. «D'origine latine, le mot 'négoce' vient de nec otium, c'est-à-dire la négation du loisir. Dans l'Antiquité, le loisir était pourtant considéré comme l'un des moments les plus désirables et les plus vertueux de la vie», explique-t-il.
La palette de l'otium est quasi infinie: lecture d'un traité de philosophie, apprentissage d'une langue, initiation au yoga, découverte des plaisirs du corps... Peu importe l'activité, pourvu que ce temps exclusivement consacré aux loisirs nourrissent les corps et cultivent nos esprits. Le plus important de ce loisir studieux étant de profiter du temps désintéressé qui s'offre à nous pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et façonner notre liberté d'esprit. Une démarche qui s'inscrit au-delà de celle du développement personnel, mais qui traduit plutôt un engagement vis-à-vis de la société.
À l'époque des Romains, l'otium était notamment perçu comme un puissant moyen d'échapper à «la marchandise du monde». «Converties en 'temps de cerveau disponible', la rêverie, l'étude, la contemplation gratuites n'ont plus guère de place dans un univers entièrement marchandisé. Nous comprenons que cette mutation altère une part précieuse de notre existence mais nous peinons à la nommer', écrit le critique d'art et commissaire d'exposition Jean Loisy en préface de l'ouvrage «Otium. Art, éducation, démocratie».
Un concept toujours aussi furieusement d'actualité des siècles plus tard, dans ce contexte de crise climatique et sanitaire qui appelle à des modes de consommation plus raisonnés. Et, dans l'esprit de toujours essayer de se focaliser sur le positif (y compris dans les pires situations), pourquoi pas profiter de ces interminables mesures de «stop and go» pour faire de l'otium notre nouvelle philosophie de vie?