Grande star des Jeux olympiques de Berlin de l'Allemagne nazie en 1936, le sprinteur afro-américain Jesse Owens laisse quarante ans après sa mort un héritage complexe, marqué par un itinéraire étrange et la recherche d'une rédemption, pour ce héros qu'il n'a pas su être.
«Dans l'imaginaire, c'est un mec qui a lutté contre le nazisme, mais ce n'est pas du tout le cas. Il n'a lutté contre rien du tout», recadre pour l'AFP l'ex-athlète française Maryse Ewanjé-Epée, auteure en 2016 de «Jesse: La fabuleuse histoire de Jesse Owens».
En août 1936 à Berlin, Jesse Owens, 22 ans, entre dans la légende olympique en remportant quatre médailles d'or (100, 200, 4x100 m et saut en longueur).
Un homme de couleur qui triomphe devant l'Allemagne nazie, sous les yeux d'Hitler, le symbole est fort. Mais jamais Jesse Owens n'osera s'en emparer.
«Il lui faudra toute une vie pour comprendre ce qu'il a représenté et ce rôle qu'il n'a pas su jouer. C'est ironique de le voir devenir ce symbole de l'anti-racisme alors que c'était un pauvre garçon noir, qui s'est forgé tout seul», note l'ex-sauteuse en hauteur, désormais consultante sur RMC.
Son heure de gloire rapidement passée, Jesse Owens enchaîne les boulots (gérant d'un pressing, création d'une ligue féminine de base-ball), les expériences (avec les Harlem Globetrotters par exemple) et monnaye ses jambes de feu dans de tristes exhibitions où il court contre un cheval, un chien, une voiture...
- «Un vrai modèle» -A l'heure du mouvement Black Power contre les discriminations raciales dans les années 1960 et 1970, il est critiqué pour son absence de prise de position. C'est même lui que l'équipe américaine envoie pour tenter de «calmer» les velléités contestataires des athlètes afro-américains avant les Jeux de Mexico en 1968, où Tommie Smith et John Carlos entrent eux aussi dans l'histoire, le poing levé sur le podium du 200 m.
«Il a été considéré comme un +Oncle Tom+, un type qui baissait la tête», ajoute Maryse Ewanjé-Epée, à propos de ce petit-fils d'esclave né «James Cleveland Owens» le 12 septembre 1913 à Danville, dans l'Alabama ségrégationniste.
«Toute sa vie, il a réalisé un énorme travail intellectuel, il a énormément lu, puis écrit, il avait une connaissance du jazz extraordinaire.»
«Son éducation évangéliste, c'était le travail et la réussite avant tout, il était obsédé par l'idée de renter à l'université, et il a réalisé très tôt qu'il avait cette chance en tant que sportif (il étudie à l'Université de l'Ohio)«, raconte-t-elle.
«Jesse Owens, c'est le symbole que l'on peut sortir de sa condition par le travail. C'est un vrai modèle».
«Il côtoyait d'autres afro-américains, disons mieux nés, qui étaient engagés politiquement et lui ont expliqué qu'il +n'était pas qu'une paire de jambes+. Après 1968, post-Black Power, il a compris que malgré tout ce qu'il avait traversé, on ne reconnaissait toujours pas (son héritage).»
En 1972, il publie une deuxième biographie «I have changed» (j'ai changé), une succession de lettres d'excuses aux afro-américains.
- «Ecouter ton cœur» -En août 2009, aux Mondiaux de Berlin, l'équipe américaine rend hommage à son ancien champion, décédé le 31 mars 1980 d'un cancer à 66 ans, en portant sur son maillot ses initiales «JO».
«A plus d'un titre, Jesse Owens est un héros pour moi. Cela sera très spécial de courir dans le stade où il a couru», avait assuré l'Américain Tyson Gay, futur vice-champion du monde.
Deux des trois filles d'Owens s'étaient rendues à Paris en septembre 2013 à l'occasion du centenaire de sa naissance. Beverley (alors 76 ans) et Gloria (alors 81 ans) avaient évoqué l'homme, «profondément simple et bon», et le père, «merveilleux».
Cette dernière avait révélé ce que lui avait dit son illustre géniteur «avant (son) premier jour d'école»: «J'espère que tu auras les dons de sentir le parfum des fleurs, d'écouter ton cœur, de voir le soleil dans le sourire des gens, de la gratitude et de l'amour».
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