Symbole de l'Albanie, l'aigle pourrait bientôt n'y être aperçu que sur le drapeau national, menacé d'extinction par un braconnage des rapaces illégal mais répandu.
En bord de route nationale, à 30 kilomètres au nord de Tirana, Asllan propose aux automobilistes une buse variable, moyennant 7 à 10.000 leks (55 à 85 euros). L'espèce est protégée au même titre que l'aigle royal ou les vautours.
Asllan ne s'en préoccupe guère, exhibant l'animal, blessé par balle à une aile et les serres entravées: "Ce n'est pas moi qui l'ai blessé. On me l'a donné à vendre. Des acheteurs voudront le garder dans une cage, dans un bar ou un restaurant". Que ce soit pour les empailler ou les garder captifs, la vente de rapaces a pignon sur rue.
Des quatre espèces de vautours autrefois présentes en Albanie, "il n'en reste qu'une, le vautour percnoptère, avec une population aujourd'hui extrêmement réduite", dit Mirjan Topi, auteur du premier guide des oiseaux d'Albanie.
La menace pèse aussi sur l'aigle royal, dont un spécimen bicéphale frappe le drapeau de ce pays montagneux. Selon les spécialistes, il y en avait entre 100 et 200 couples il y a un quart de siècle dans le pays. Ce chiffre a depuis été divisé par deux, "un déclin dramatique", estime Mirjan Topi.
- Empaillés dans les bars -
"Il y a 50 ans ou même au début des années 1990, on pouvait le voir à chaque sommet", mais aujourd'hui, "il est en voie d'extinction" en Albanie, renchérit le biologiste Taulant Bino, président de la société albanaise d'ornithologie.
A l'échelle du monde toutefois, l'aigle royal n'est pas considéré comme une espèce menacée de disparition, selon la classification de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Mais en Albanie, l'endroit le plus sûr pour trouver désormais des aigles royaux, ce sont... "les bars, les restaurants ou les hôtels, empaillés", résume Mirjan Topi. Le but est "de décorer les intérieurs pour attirer les clients, au prix d'un spectacle écoeurant, offert en violation de la loi, en défi à l'État et aux institutions", s'indigne le spécialiste.
A Orikum (sud), Petrit, la cinquantaine, qui ne veut pas donner son nom, est fier de son aigle acheté 400 euros pour l'exposer dans son bar à côté du drapeau national et d'autres oiseaux empaillés: "C'est de plus en plus rare de trouver un aigle". Les services de l'État ont menacé de fermer son établissement s'il continuait d'exposer son trophée, mais il n'en a cure: "Je suis prêt à payer une amende mais je veux le garder".
Quant à Edmond, 35 ans, il n'est guère gêné d'être surpris dans les montagnes de Prenisht, à la frontière avec la Macédoine, avec deux cadavres de buses qu'il vient d'abattre. Il refuse de donner son nom et demande à ne pas être dénoncé. Les oiseaux étaient destinées à "décorer (son) bar pour avoir plus de clients", explique-t-il.
- Vers une loi plus dure ? -
L'interdiction de la chasse depuis 2014 a dissuadé une grande partie des quelque 2 à 3.000 chasseurs italiens qui, selon les estimations, auraient tué plus de 150.000 oiseaux dont des centaines de prédateurs au cours de la dernière décennie.
Mais les autorités, sollicitées par l'AFP, reconnaissent l'insuffisance de la répression, la législation ne prévoyant que des sanctions administratives. Selon Ermal Halimi, spécialiste de la question au ministère du Tourisme et de l'Environnement, un durcissement est prévu avec des "peines de prison pour tout délit qui mène à la disparition d'animaux protégés".
Une autre menace, plus insidieuse, pèse sur les rapaces: les carcasses empoisonnées que les bergers déposent pour protéger leurs troupeaux des loups.
"Une seule carcasse suffit à tuer plusieurs rapaces prédateurs s'ils la trouvent avant le loup", explique Nexhip Hysolokaj, spécialiste de l'environnement dans la région d'Orikum. En mars, les cadavres de six aigles et vautours empoisonnés ont été retrouvés dans ce secteur.
Des amendes ne sont jamais délivrées pour cette technique à laquelle les bergers ne semblent pas prêts à renoncer. "Ce sont les brebis qui nous nourrissent, elles font notre fierté mais le loup les massacre! On n'a pas le choix", dit Sado Xhelili, 83 ans, en surveillant son troupeau.
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