Lutter contre le tourisme de masse L'Islande veut dompter les masses de touristes

dpa/gbi

18.10.2019

Nombre d'amoureux de la nature sont dithyrambiques envers l'Islande qui, selon eux, est le plus bel endroit au monde. Les chiffres du tourisme ont réellement explosé. Mais l'effondrement menace-t-il vraiment? Les Islandais n'ont pas l'intention d'être pris au dépourvu.

Le chanteur Justin Bieber a visité le pays, avant lui, la célébrité hollywoodienne Angelina Jolie s'y est rendue, et un film de James Bond y a été tourné. Mais pour l'instant, nous observons le couple chinois Zhongda He et Nannan Li, inspectant le lagon glaciaire Jökulsárlón. Les deux tourtereaux viennent de Pékin et de Shanghai. Ils naviguent sur l'eau glacée à bord d'un véhicule amphibie.

En compagnie d'autres touristes, ils dérivent devant des icebergs d'un mètre de haut qui se sont détachés il y a quelques jours de l'immense glacier qui se découpe à l'horizon, le Vatnajökull. Li regarde fixement les mastodontes de glace à travers ses jumelles. Il reste pour l'instant coi. Puis, dans un souffle, il murmure: «C'est génial.»

Ce couple chinois représente l'archétype du tourisme islandais. L'enthousiasme pour l'observation des geysers, des chutes d'eau et des glaciers, qui font office d'aimants à vacanciers, tous tournés vers le Grand Nord. L'Islande recèle la promesse d'une nature intouchée.

Éruption volcanique publicitaire

La popularité de l'Islande auprès des voyageurs a grimpé en flèche ces dernières années. Un événement particulier a joué un rôle majeur: l'éruption dramatique du volcan situé le glacier Eyjafjallajökull, en 2010, ainsi que l'émission de gigantesques nuages de cendres. Dans un premier temps, ce phénomène a généré de l'inquiétude. Des semaines durant, il a paralysé le trafic aérien international et étendu la notoriété de l'île, et ce bien au-delà des frontières de la Scandinavie.

Puis, le nombre de touristes a littéralement explosé: en 2010, près de 489 000 visiteurs atterrissaient Islande. En 2018, ce chiffre est passé à 2,34 millions, soit une augmentation de 500% en huit ans seulement.

2,34 millions de touristes représentent plus de six fois la population de l'Islande. Environ 350 000 personnes vivent sur l'île, soit moins que dans la ville de Zurich, qui compte 431 000 habitants.

Trop de tourisme tue le tourisme

Pourquoi ce petit peuple de Vikings attire-t-il tant les foules? Gudny Valberg a tiré profit de cette nouvelle vague. Une photo de la ferme, qu'elle exploite avec son mari Ólafur Eggertsson, a déjà fait la une des journaux internationaux lorsque le volcan Eyjafjallajökull a craché ses cendres directement derrière la ferme.

«Ce simple événement fait sans doute figure de plus grande campagne publicitaire pour l'Islande», se souvient Valberg. Les voyageurs sont arrivés par milliers et la famille a ouvert un centre d'information pour touristes au pied du glacier.

Puis ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Le couple a fermé le centre début 2018. Certains de leurs enfants qui leur prêtaient main forte avaient déménagé. Seuls, les parents ne pouvaient plus satisfaire la soif d'information des touristes, tout en accomplissant les travaux agricoles quotidiens.

Sur toutes les lèvres

Une éruption volcanique devenue aimant touristique: au sein de la capitale Reykjavik, à environ 140 kilomètres au nord-ouest d'Eyjafjallajökull, la directrice de l'autorité touristique Visit Iceland, Inga Hlín Pálsdóttir, est du même avis: «Soudainement, les voyageurs ont réalisé qu'une île trônait au milieu de l'Atlantique», confie-t-elle. Avant cela, la plupart des gens ne savaient même pas exactement où se trouvait l'Islande sur le planisphère.

Désormais, ils sont conscients du fait qu'un tel périple ne dure pas trop longtemps, le vol n'excède pas quatre heures depuis Zurich. En outre, la performance des Islandais au Championnat d'Europe de football de 2016 et à la Coupe du monde de football de 2018 a renforcé la popularité de l'île.

Sur les traces d'Angelina Jolie

Et ce n'est pas tout, il y un autre phénomène qui attire les touristes: les films, les séries et les clips vidéo. L'acteur Ben Stiller a parcouru Stykkishólmur et d'autres régions islandaises dans «La vie rêvée de Walter Mitty». Des scènes de «Game of Thrones» ont été tournées en Islande, ainsi que des séquences de «James Bond - Meurs un autre jour» et de «Star Wars: Rogue One». En un mot: l'Islande est photogénique, et cela compte pour Hollywood.

Toutefois on peut se demander si la popularité de l'Islande rejoindra celle de la place Saint-Marc à Venise, de la promenade des Ramblas à Barcelone et du Nyhavn à Copenhague, où les touristes débarquent en masse et poussent à bout certains locaux. Les habitants de Berlin et de Munich souffrent de la même affliction.

Pendant les mois d'été, certains Islandais témoignent d'une légère irritation. Dans un café de Reykjavik, l'un d'entre eux fait valoir que le tourisme a sauvé le pays de la récession après la crise financière de 2008. Toutefois, l'argent des touristes ne serait désormais plus requis. Il y en aurait suffisamment.

Les actions irréfléchies de nombreux voyageurs, sur les routes et à la campagne, posent parfois problème: certains s'enlisent dans les lits de rivières, d'autres enjambent des barrières et s'approchent des falaises ou des geysers pour prendre un selfie.

Vêtements d'extérieur bariolés

À neuf heures et demie du matin, le parking de Reynisfjara, la plage noire à proximité de Vik que l'on peut voir dans le film «Star Wars - Rogue One», est déjà pleine à craquer. Des badauds en vêtements colorés se pressent devant une formation rocheuse émergeant d'un sable, qui est réellement d'un noir profond. En photographiant la mer, une jeune Japonaise échappe de peu à une douche et parvient à se mettre à l'abri d'une grosse vague. Un Chinois avait été entraîné par la mer en 2018 et avait perdu la vie.

Les touristes s'aventurent dans les eaux glacées du lac Jokulsarlon.
Les touristes s'aventurent dans les eaux glacées du lac Jokulsarlon.
Keystone

Ce matin, à la cascade de Skogafoss, le parking est plein à craquer. Le même scénario se répète partout: vestes jaunes, rouges, bleues à la spectaculaire cascade de Gullfoss, vestes jaunes, rouges, bleues à côté du Grand Geyser, qui, par ailleurs, a donné son nom à tous les autres phénomènes de ce genre dans le monde.

Une jeune Polonaise observe le tumulte. Elle participe à une excursion d'une journée au Cercle d'or, circuit touristique qui comprend notamment les attractions Geysir et Gullfoss. «Eh bien, que peut-on bien y faire?», lance la jeune femme de 21 ans à la foule. «En Islande, on profite en groupe de tous ces phénomènes...» Elle réfléchit brièvement, puis ajoute: «Et peut-être que vous pourrez trouver un petit coin tranquille, avec moins de monde.»

En fait, c'est surtout le Sud qui souffre d'invasion touristique. D'ailleurs, le périphérique qui entoure le pays a particulièrement souffert de ce phénomène. L'asphalte a été réparé en de nombreux endroits. En outre, les Islandais doivent endurer ce qu'ils n'avaient jusqu'à présent jamais connu: «umferdarhnútur», c'est-à-dire les embouteillages.

Renforcer le hors-saison et les sites secondaires

Afin de contrer cette concentration, l'Islande veut mener une politique touristique durable et stable: l'objectif est de faire découvrir des régions jusqu'alors négligées et de rendre la basse saison plus attrayante, en comparaison avec l'été plutôt doux.

Alors que 90 000 touristes se sont rendus en Islande en juillet, seulement 30 000 sont arrivés en hiver, selon les calculs d'Inga Hlín Pálsdóttir, directrice de Visit Iceland. Le rapport entre la haute et la basse saison s'est déjà nettement amélioré. La plus forte croissance a été enregistrée en basse saison.

L'accent est désormais mis sur la promotion d'autres régions, car la majorité des visiteurs islandais se rendent à Reykjavik, au sud et au Cercle d'Or, «notre Tour Eiffel», comme le dit Inga Hlín Pálsdóttir. Elle insiste sur l'importance d'être une destination de voyage durable. «Nous veillons donc à ce que notre action satisfasse les Islandais également.»

La population locale soutient fortement le fonds de protection pour les attractions touristiques. Cette somme peut être dévolue à la construction de routes, de toilettes et d'autres infrastructures. L'objectif est de protéger la nature, nous confie Inga Hlín Pálsdóttir. Le gouvernement examine aussi l'incidence du tourisme sur l'économie, l'infrastructure et la société afin de mettre le doigt sur d'éventuels problèmes. «Les premiers résultats montrent que nous disposons encore d'une marge de manœuvre», ajoute Inga Hlín Pálsdóttir.

Reykjavik règlemente

Reykjavik, grâce à l'aéroport international Keflavik, reste la porte d'entrée principale de l'île. Presque tous les voyageurs, jusqu'à 96 %, visitent la capitale pendant leurs vacances. «C'est à la fois une bonne et une mauvaise chose», déclare Karen María Jónsdóttir, directrice de l'office de tourisme locale Visit Reykjavik.

Alors qu'elle mentionne l'incidence de l'explosion du tourisme sur sa ville, elle se remémore son enfance. «Je me souviens du chemin de l'école et des rues vides du centre Reykjavik», nous rappelle-t-elle. Entre-temps, non seulement la Laugavegur, la rue commerçante centrale, est pleine à craquer, mais les autres quartiers de la ville sont également surpeuplés.

La panacée de Reykjavik, c'est la réglementation: les grands bus ont été interdits dans le centre-ville à la demande des autochtones. De nombreux hôtels ont été construits en dernière minute et ceux qui louent des chambres via Airbnb sont autorisés à le faire au maximum 90 jours par an. La municipalité a veillé à ce qu'il n'y ait pas trop de restaurants et de pubs dans certaines rues et à ce que les résidents ne soient pas perturbés. Les musées, les galeries d'art et les bars occupent principalement le centre, mais aussi d'autres quartiers, comme le vieux port.

Aujourd'hui, la grande majorité de la ville estime que les touristes améliorent la qualité de vie, considère Karen María Jónsdóttir. «Les gens sont satisfaits de l'offre, qualitativement et quantitativement.»

En 2019, un phénomène jamais vu depuis une décennie se produira en Islande: les statistiques seront en berne. Selon Inga Hlín Pálsdóttir, on peut imputer cela à la faillite de la compagnie aérienne à bas prix Wow Air et aux problèmes de l'avion Boeing 737 Max. «Toutefois, nous ne sommes pas préoccupés pour l'instant», assure Inga Hlín Pálsdóttir.

Une question de perspective

L'Islande est encore loin de souffrir le même sort que Venise, nous confie la guide touristique. Et la perception du surpeuplement est de toute façon subjective: les Chinois He et Li apprécient la faible densité de la population islandaise. «C'est si différent de la Chine. Nous sommes tellement habitués aux zones urbaines à forte densité de population. C'est sauvage et vide ici. C'est le paradis pour nous», confesse Nannan Li.

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