Enquête Arbitrage vidéo: le football a besoin de temps et de clarté

Bugnon Michaël

14.5.2018

Le Mondial 2018 en Russie s'approche à grands pas. Et si les pronostics concernant le vainqueur vont bon train, un autre thème est sur toutes les lèvres des spécialistes comme des « footixs » : l'arbitrage par assistance vidéo, plus communément appelé « VAR », qui sera utilisé pour la première fois en Coupe du monde.

L'arbitre allemand Deniz Aytekin consulte la vidéo lors d'un match amical entre l'Angleterre et l'Italie.
L'arbitre allemand Deniz Aytekin consulte la vidéo lors d'un match amical entre l'Angleterre et l'Italie.
Keystone

Le système de « Video Assistant Referee » va faire son apparition le mois prochain en Coupe du monde en Russie. Toujours en phase de test, il est important de signaler que cette fameuse « VAR » ne fait toujours pas partie des règlements et des lois du jeu officiels au niveau mondial. Comme pour tout ou presque, il y a les personnes pour, et les personnes contre. Pendant que certains réclament la justice, d’autres y voient la perte de l’âme du football. Alors, la « VAR » va-t-elle enfin parvenir à se faire une place sur les pelouses du monde entier ?

« J’aime le football simple, efficace et j’ai toujours estimé que l’erreur restait humaine. Après, je pense qu’il faut aussi savoir vivre avec son temps… ». Sébastien Pache, ancien arbitre professionnel, fait partie des sceptiques. Cependant, le Vaudois se fait presque déjà une raison. « C’est vrai, pour avoir un football "parfait", la VAR devient quasiment indispensable, et cela peut devenir bénéfique, je l'avoue. »

Indispensable, comme l’est par exemple devenue la règle du hors-jeu. Car historiquement, ce n’est pas la première fois que le football fait face à une révolution de ce style, comme nous le détaille Nicolas Bancel, historien du sport : « À l’époque, la règle du hors-jeu a changé fondamentalement la configuration du jeu au niveau tactique. Désormais, ça fait partie intégrante du football et personne ne s’en plaint. »

Autre époque, et autre changement : cette fois-ci, c’est mentalement et psychologiquement que les différents acteurs du football devront s’adapter. « Les joueurs devront plus réfléchir à leurs actes, mais ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Et en plus, ça pourrait empêcher la triche. » estime celui qui est aussi professeur à l’Université de Lausanne.

En parlant de « triche », voici les plus grosses erreurs d’arbitrage de l’histoire du football. Là où l’assistance vidéo aurait probablement tout changé…

Le monde du ballon rond a besoin de temps

La « VAR » par-ci, la « VAR » par-là. Les médias, les joueurs, les dirigeants : tout le monde en parle, et ce, selon l’impression qui est donnée, depuis des lustres. Et pourtant, comme vous pouvez le constater avec le graphique ci-dessous, elle n’est réellement apparue sur les terrains qu’en 2016:

Teleclub MB / réalisé avec canva.com

En comparaison aux dates ci-dessus, il est intéressant de remarquer que d’autres sports n’ont pas attendu. « L’arbitrage vidéo ne remonte pas à hier. Il a été inauguré en 1986 dans le football américain. » relève Nicolas Bancel. « C’est ensuite devenu une sorte de mouvement de fond, qui concerne aujourd'hui toutes sortes de sports ». On peut en effet citer des sports collectifs (hockey sur glace, rugby), individuels (tennis, escrime) et même des sports de combats (judo, karaté). Et souvent, cela se passe bien.

Voici ci-dessous un exemple concret dans le rugby en 2014: l'arbitre pose une question, l'arbitre vidéo y répond et tout cela, en très peu de temps.

Vidéo Compte Ballboll81 sur Youtube

Images et commentaires Canal +.

Du coup, la question est de savoir pourquoi le football attend-il autant pour véritablement suivre le mouvement ? Robert Raia est bien placé pour en parler, lui qui a été secrétaire administratif de la FIFA pendant quatre ans, entre 1998 et 2002. « On en parlait déjà il y a 15-20 ans à la FIFA mais il fallait simplement réussir à convaincre les gens » raconte le désormais président de la commission des arbitres de l’association fribourgeoise de football.

« Le monde du football veut un pouvoir unique de l’arbitre sur le terrain et cela n’est pas simple de les convaincre qu’une personne en dehors du terrain puisse prendre des décisions à l’aide d’un ralenti. » rajoute-t-il. Et Nicolas Bancel le rejoint : « Le board de la FIFA est réputé pour son conservatisme, et il a toujours freiné les démarches afin de ne pas imposer cet arbitrage vidéo. »

Parole aux acteurs

Les avis de Benjamin Kololli et Ilija Borenovic du Lausanne-Sport:

Réaction d'après-match (contre le LS le 6 mai 2018) de Ludovic Magnin, entraîneur du FC Zurich:

Le football plus « dommage » que d’autres sports ?

Les fanatiques de la « VAR » sont donc obligés de s’armer de patience. De leur côté, les amoureux de la tradition devront certainement mettre un peu d’eau dans leur vin. « Le football va perdre un peu de cette spontanéité. D’un côté, on aura un peu plus de justice, et de l’autre, un peu moins d’émotion. C’est un peu un compromis… » explique l’ancien arbitre Sébastien Pache.

Comme d’ores et déjà expliqué, ce compromis, d’autres sports l’ont déjà approuvé. Et Nicolas Bancel ne voit pas pourquoi le football serait différent des autres sports : « On disait la même chose finalement pour les autres sports, que ça allait tuer cette spontanéité. Et ils s’y sont faits. »

En effet, en prenant l’exemple d’un autre sport, on remarque que tout, ou presque, va dans le bon sens. « Dans notre sport, l’assistance vidéo a été très bien accueillie et elle fait désormais partie du jeu ». Ces paroles sont celles de Dany Gelinas, entraîneur et spécialiste de hockey sur glace qui est extrêmement satisfait de l’apport de la vidéo. « Je dirais même que c’est devenu essentiel avec tout ce qu’il y a en jeu dans notre sport. Cela enlève de nombreuses ambiguïtés sur des actions difficiles à voir et à gérer par un seul homme sous pression. Après, il y a toujours moyen d'améliorer le système… » estime le Canadien naturalisé Français.

Une place pour la vidéo, mais de quelle manière ?

Si le commun des footballeurs est d’avis que l’assistance vidéo fait partie du futur du football, il semblerait cependant que le système actuel ne soit pas encore totalement adéquat. Comme le démontre la galerie photos ci-dessous.

Les plus grosses polémiques autour de la "VAR":

« Le système n’est de loin pas parfait », « la bonne formule n’a pas encore été trouvée » : Sébastien Pache et Robert Raia sont du même avis. Et au vu des soucis occasionnés jusqu’à maintenant, la FIFA et les autres haut-dirigeants du football doivent encore se creuser les méninges afin de trouver le concept idéal.

D’ailleurs, Robert Raia ne comprend pas forcément encore le système utilisé actuellement : « Jusqu’à maintenant, qui est l’autorité suprême ? L’arbitre principal ou l’assistant vidéo ? Où se trouve la limite ? Des fois l’arbitre va voir lui-même la vidéo, des fois il fait confiance à l’arbitre vidéo. Il faut fixer des règles plus précises. » Sébastien Pache rentre encore plus dans les détails : « En ce moment, la VAR est sensée être utilisée uniquement pour corriger une erreur flagrante. Ce n’est pas pour aller voir une interprétation d’une scène. Sauf que certains le font… C’est hyper ambigu à la pratique. »

Sans vraiment trop se mouiller, le Prilléran propose quelque chose de légèrement différent pour la suite : « Certaines personnes parlent d’une notion de challenges, comme dans le tennis par exemple. Ça peut être intéressant, pourquoi pas. » explique-t-il.

Mais qu’est-ce que cette notion de challenge ? C’est en fait une demande de visionnage d’images afin de contester une décision arbitrale jugée erronée par un joueur (tennis) ou un entraîneur (hockey sur glace). « Le coach challenge est un bon outil de management que le coach peut utiliser selon ces informations » argumente Dany Gelinas. Une solution pour le football ? « Oh oui ! Un seul par match et dans le même esprit que le hockey. Ensuite, il suffira de définir pour quel type d'actions le système est mis en place » ajoute l’ex-entraîneur du HC Ajoie et du Lausanne Hockey Club notamment.

Le système idéal a de la peine à se mettre en place et doit être adapté, certes. Le "board" de la FIFA reste extrêmement conservateur, assurément. Et tout le monde est d’avis que "l’erreur reste humaine". Mais peu importe: le football ne pourra pas échapper à la progression fulgurante de la technologie. Les fans et les sceptiques vont dans le même sens: un jour ou l'autre, l'assistance vidéo à l'arbitrage va faire partie intégrante du football futur. L’arbitrage vidéo est pour le moment accepté, sans pour autant être tout à fait adopté. Patience…

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