Un «luxe» certes mais qui pourrait s'avérer coûteux: le Grand Prix de F1 de Russie a achevé de démontrer que Ferrari a en Sebastian Vettel et Charles Leclerc deux pilotes no 1 dont aucun n'entend modérer ses ambitions.
«C'est un luxe de disposer de deux pilotes fantastiques», voulait croire dimanche soir le «team principal» de la Scuderia, Mattia Binotto. Mais si le cas Ferrari est un souci de riche, il n'en reste pas moins un problème avec lequel il va falloir apprendre à composer.
Retours aux essais de pré-saison à Barcelone en février. Interrogé sur la hiérarchie entre ses pilotes, Binotto répondait que ceux-ci étaient «libres de se battre», mais qu'en cas de «situation ambiguë», Vettel était le «champion», celui qui a «le plus d'expérience».
Choix logique entre un quadruple champion du monde âgé de 32 ans et un jeune homme de 21 ans entamant sa deuxième saison en Formule 1.
Sauf que lors du GP d'ouverture en Australie, Leclerc s'est avéré plus rapide et qu'il a fallu lui demander de ne pas attaquer Vettel. Le Monégasque a obtempéré mais cette obéissance a fait long feu.
Dès la course suivante à Bahreïn, le jeune loup a ignoré les consignes pour dépasser son équipier et seule une panne l'a empêché de s'offrir sa première victoire en F1.
«Tu es pardonné»
La suite fut un peu moins favorable à Leclerc mais surtout à la Scuderia, incapable de bousculer des Mercedes archi-dominantes, sauf au Canada où Vettel a perdu sur tapis vert face au Britannique Lewis Hamilton.
Une tendance de fond s'amorçait néanmoins: lors des neuf dernières manches, le cadet a systématiquement battu son aîné en qualifications. Et c'est lui qui a ouvert le compteur de victoires de Ferrari au GP de Belgique, avant d'offrir à la Scuderia son premier succès en Italie depuis 2010 sur un nouvel acte de rébellion.
Le Monégasque s'est en effet offert la pole en ne donnant pas l'aspiration, comme c'était prévu, à son équipier en qualifications. «Tu es pardonné», lui a finalement glissé Binotto le dimanche.
Et les observateurs de se demander – alors que Vettel, engagé en 2015, n'est toujours pas parvenu à ramener aux rouges un titre mondial qui les fuit depuis 2007 chez les pilotes et 2008 chez les constructeurs – si Leclerc ne serait pas plutôt l'homme de la situation.
Tous les ingrédients étaient là, la rivalité pouvait désormais éclater, en deux temps, au grand jour.
D'abord à Singapour où, pour s'assurer un doublé, la Scuderia a dû privilégier l'Allemand à Leclerc, pourtant poleman et leader de la course, offrant à Vettel son premier succès depuis plus d'un an et laissant son second pilote, frustré et déçu, fulminer à la radio.
«Opinions différentes»
En Russie, le jeune homme, qui aura 22 ans le 16 octobre, avait promis qu'on ne l'entendrait plus exprimer son mécontentement au volant. C'est raté !
Comme prévu, le poleman a offert une aspiration à Vettel, troisième sur la grille, pour lui permettre de dépasser Hamilton, intercalé entre eux. Ce faisant, l'Allemand a également doublé son équipier, puis rechigné à lui remettre les rênes de la course, comme il était pourtant convenu, occasionnant une joute par radios interposées.
La situation est finalement revenue à la normale suite aux arrêts aux stands, Vettel a abandonné à cause d'un problème moteur et Leclerc terminé troisième derrière les Mercedes d'Hamilton et du Finlandais Valtteri Bottas.
Quand il a fallu se présenter ensuite face à la presse, il n'était pas question de ce résultat décevant, seulement de l'imbroglio entre un Monégasque livide et quasi-mutique et un Allemand bravache mais cachant difficilement son embarras.
A peine plus à son aise, Binotto se tenait entre ses deux poulains pour rappeler qu'«accord» il y avait bien, même si «au volant les pilotes peuvent avoir des opinions différentes et en discuter» avec l'équipe, et qu'au final la situation s'est réglée d'elle-même en piste.
Éteindre l'incendie qui couve en coulisses ne sera probablement pas aussi simple. Pas plus qu'établir une ligne de conduite pour le futur.