24 Heures du Mans Une course centenaire, théâtre de frayeurs et d’exploits

AFP

24.5.2023

«Le Mans, ça ne s'oublie pas !» A l'occasion du centenaire des 24 Heures du Mans vendredi, six personnalités qui ont marqué l'histoire de la mythique course d'endurance, ont raconté à l'AFP leur souvenir le plus marquant de l'épreuve.

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Henri Pescarolo : «Le seul endroit où j'ai eu peur au volant»

Quadruple vainqueur de l'épreuve, Henri Pescarolo détient toujours le record de participations (33), dont la première, il y a près de 60 ans, a «vraiment terrorisé» le Français:

«C'est peut-être le seul endroit de ma vie où j'ai eu peur au volant. C'était en 1966, lors du fameux duel Ford-Ferrari. Je suis alors le petit jeune de chez Matra, et il n'est pas du tout prévu que je fasse les 24 Heures du Mans. Je n'ai participé à rien du tout, ni au développement de la voiture, ni aux essais préliminaires. Jean-Pierre Jaussaud devait être associé à un autre pilote qui n'est pas venu. On m'a donc dit que j'allais conduire à sa place. Comme la voiture n'était pas tellement au point, c'est Jean-Pierre Jaussaud qui a fait tous les premiers essais de jour. Ensuite arrivent les essais de nuit et on me dit +Vas-y Henri, tu conduis+.»

«Je me retrouve au volant d'une voiture que je ne connais pas, sur un circuit que je ne connais pas avec une ligne droite qui va tout de même assez vite - et en plein milieu de la bagarre Ford-Ferrari pour la pole position. De nuit, avec des phares qui n'éclairent pas beaucoup, des virages qui n'étaient pas éclairés, au volant d'une voiture pas facile à conduire et entouré des Ferrari et des Ford bien plus rapides et en pleine bagarre... j'étais vraiment terrorisé ! Il y avait des voitures dans tous les coins qui allaient à des vitesses effroyables. Même quand j'ai eu des accidents par la suite - plutôt graves -, je ne peux pas dire que j'ai eu aussi peur que cette fois-là.»

Josh Pierson : «On n'oublie jamais sa première fois au Mans»

Plus jeune pilote à avoir pris le départ de la course, à 16 ans, le pilote américain revient sur sa première participation, en 2022:

«On m'a dit qu'on n'oublie jamais sa première fois au Mans et c'est bien vrai. Quand j'ai emprunté pour la première fois la voie des stands avant de me lancer pour mon premier tour, j'étais très nerveux. Ce n'est pas un circuit facile à appréhender car il est très long. Et c'est un sacré défi aussi de passer de la route au circuit, c'est absolument unique, chaque virage est différent. La nuit représente encore un nouveau défi dans la mesure où la piste est super sombre. L'épreuve ne ressemble à aucune autre. Par moments, on a l'impression d'être complètement seul. Sans phares devant ni derrière soi, c'est le noir quasi-complet, il y a quelque chose de très paisible. C'est difficile à décrire, tellement c'est unique et incroyable à la fois».

Jacky Ickx : «Ce n'est plus rouler, c'est voler»

La légende belge, que l'on surnomme toujours «Monsieur Le Mans» grâce à ses six victoires remportées sur l'épreuve, se souvient de l'édition 1977 et de l'incroyable remontée de la Porsche 936 N.4, qui lui a permis de remporté son troisième trophée «Le Mans»:

«En 1977, je suis avec Henri Pescarolo quand notre Porsche tombe en panne après trois heures de course, le moteur est cassé. Cette année-là, j'étais aussi pilote de réserve sur l'autre voiture alignée par Porsche, qui est quasiment dernière alors. En face de nous, il y a l'armada Alpine-Renault avec trois, quatre voitures supposées être les plus rapides, les plus performantes... Elles sont devant nous avec un paquet de tours d'avance. Mais ce qui est merveilleux quand on est quasiment dernier, c'est la remontée. On n'a rien à perdre, on peut donc aller à fond. Et toutes les heures, on voit que l'on gagne cinq places, puis trois, puis huit...»

«Ce n'est plus rouler, c'est voler. Chaque heure est du bonus et cela fait partie des courses où l'on se sublime et tout vous réussit. On est passé de la 41e place, à la troisième, puis à la deuxième quand une Alpine tombe en panne... puis à la première quand une autre Alpine tombe aussi en panne. Sauf qu'à une heure de l'arrivée, on se retrouve aussi en difficultés puisqu'on ne roule plus que sur cinq cylindres, ça fait désordre. Après l'euphorie de 20 heures de course, la dernière heure, c'est la trouille totale. Heureusement que je n'étais plus derrière le volant, j'étais tellement crevé de mon exercice de la nuit et du petit matin, j'étais au bout du rouleau.»

Peter Dumbreck : «J'ai eu beaucoup de chance ce jour-là»

Victime d'un spectaculaire accident en 1999, quand sa Mercedes s'est envolée à hauteur de la cime des arbres pour terminer dans la forêt, le pilote écossais revient sur cet épisode considéré comme l'un des accidents les plus spectaculaires de l'épreuve:

«Je me souviens d'avoir vu le ciel, c'était une belle soirée. J'étais trop près de la voiture que je suivais quand c'est arrivé, la mienne s'est alors soulevée. Je ne me suis pas dit que j'allais mourir, mais juste que j'allais me crasher. Tout s'est passé si vite, je n'avais aucune chance de faire quoi que ce soit. Je roulais à plus de 300 km/h. Je n'ai qu'un vague souvenir de ce qu'il s'était alors passé, un peu comme un lendemain de soirée. Mon premier vrai souvenir, c'était lorsque j'étais sur la civière. J'avais peur d'être paralysé. Mais j'ai rapidement pu bouger, j'allais bien. Je me souviens aussi avoir dû souffler dans le ballon, soit quand j'étais dans l'ambulance, soit au centre médical, je ne sais plus. J'étais comme hébété, je n'avais pas tous mes sens et je ne savais pas ce qui se passait. Ils m'ont dit de souffler, j'ai soufflé mais je pouvais à peine respirer. J'avais l'impression qu'on m'avait coupé le souffle.»

«Après des examens, on m'a ramené à l'hôtel et je suis revenu sur la piste le lendemain, comme si de rien n'était. J'ai eu de la chance que dans un périmètre de quelques centaines de mètres, là où j'ai atterri, ils avaient défriché la forêt. La façon dont la voiture a également atterri, pas en avant, pas sur le toit (elle a fait plusieurs rotations dans les airs avant d'atterrir sur les roues, NDLR)... J'ai eu beaucoup de chance ce jour-là.»

Jean Todt : «La première et seule fois que j'ai demandé un autographe»

Avant de diriger l'écurie Ferrari en Formule 1 puis de présider la Fédération internationale de l'automobile (FIA), Jean Todt était à la tête de Peugeot-Talbot quand l'équipe a remporté l'épreuve en 1992 et 1993. Plus que les victoires, le Français se souvient de son premier passage au Mans:

«L'un de mes premiers rêves, c'était d'aller voir le spectacle des 24 Heures du Mans, je rêvais des pilotes qui y couraient comme Jean Guichet et Nino Vaccarella - lorsqu'ils ont gagné en 1964 sur une Ferrari LM -, des frères Rodriguez aussi qui n'avaient pas 20 ans et qui étaient en tête au volant d'une Ferrari, les bagarres mythiques entre Ferrari, Ford, Jaguar, Mercedes... La première fois que je suis donc allé au Mans, je devais avoir 18-19 ans, c'est aussi la première - et seule fois de ma vie - que j'ai demandé un autographe. C'était à l'Américain Dan Gurney, l'un des deux pilotes que je préférais avec Jim Clark. Il se trouve qu'au fil des années, j'ai eu des contacts avec lui, et quelques jours avant sa mort, il m'a écrit une lettre dans laquelle il me félicitait pour ma carrière. J'ai toujours cette lettre et l'autographe aussi, qui est quelque part bien gardé.»

Alexander Wurz : «Je dois remercier Le Mans pour mes 12 années en Formule 1»

Le pilote autrichien, plus jeune vainqueur de l'épreuve à seulement 22 ans, en 1996, assure que les 24 Heures du Mans ont été un tremplin pour la suite de sa carrière:

«Ma carrière s'est dessinée grâce à cette victoire. En 1996, je courais mais je n'avais plus d'argent. Reinhold Joest (patron de Joest Racing, l'équipe avec laquelle il gagnera, NDLR) m'appelle un jour car l'un de ses pilotes était malade et il me demande de faire un essai. J'ai été le plus rapide. J'ai ensuite fait un autre essai concluant et il m'a alors demandé si je voulais courir au Mans. Dans le même temps, j'essayais toujours de revenir en monoplace et de poursuivre mes rêves de Formule 1.»

«J'ai donc rencontré Flavio Briatore (patron de l'écurie Benetton à l'époque), qui m'a donné rendez-vous mais je ne sais pas pourquoi en réalité parce que je voyais bien qu'il n'était pas très intéressé. Il m'a donc dit : +Alex, j'ai cinq minutes maximum, j'ai vu tes résultats. Tu pilotes des voitures de tourisme, tu n'évolues pas en monoplace+. Je lui ai répondu que je voulais faire de la Formule 1. En partant, il m'a demandé ce que j'avais de prévu pour la suite de la saison. J'ai répondu +Dans quelques semaines, je participe aux 24 Heures du Mans+. Et il m'a défié: +Si tu gagnes au Mans, je te propose un essai F1+. Le lundi suivant la victoire au Mans, il m'a envoyé un fax avec une invitation à un essai de deux jours et c'est à partir de ce moment que ma carrière a démarré. Je dois remercier les 24 Heures pour mes 12 années passées en Formule 1.»