Trente-sept matches à huis clos depuis la reprise de la Bundesliga, et seulement huit victoires à domicile. Le coronavirus a fait un dommage collatéral: l'avantage du terrain n'existe plus.
«C'est fou, et on ne s'y attendait pas à ce point», s'étonne Sebastian Kehl, le manager de Dortmund, orphelin du célèbre «Mur jaune» et des 82'000 abonnés du Signal Iduna Park.
Sur les deux dernières saisons complètes de Bundesliga, 45% des matches se sont conclus par la victoire de l'équipe locale. Dans le football «post-coronavirus», ce chiffre est tombé à 21%.
«Je ne crois pas que ce soit un hasard, analyse le coach de Leverkusen Peter Bosz. Le public aide toujours son équipe, et quand on joue à l'extérieur sans spectateurs, c'est évidemment plus facile.»
Habitué comme tous les acteurs du championnat d'Allemagne aux stades pleins et aux ambiances de feu, Bosz sait de quoi il parle: depuis la reprise, ses hommes ont gagné trois fois à l'extérieur, et perdu leur seul match à domicile (4-1 contre Wolfsburg)!
«Emotion, passion, enthousiasme»
«Ça joue, surtout pour les équipes qui puisent leur force dans l'euphorie, les fans et l'ambiance du stade, nuance Markus Krösche, le directeur sportif du RB Leipzig. Désormais, on a l'impression que les équipes qui ont la meilleure qualité individuelle s'imposent plus souvent.»
Exemple significatif: le petit Union Berlin, privé de son chaudron de la «Alte Försterei», n'a pris qu'un point en deux rencontres à domicile en mai, et trois à l'extérieur.
«Il ne faut pas s'en servir d'alibi, mais je ne peux pas dire toute l'année que l'ambiance de la Alte Försterei est fantastique, et dire d'un seul coup maintenant: elle ne joue aucun rôle», reconnaît Oliver Ruhnert, directeur sportif de l'Union Berlin.
Le Bayern et ses stars, qui jouent sur leur talent intrinsèque, ne semblent en revanche pas affectés par l'absence des fans: quatre matches, quatre victoires.
Impression confirmée par l'ex-international Stefan Reuter, manager du FC Augsbourg: «Ce sont surtout les petits clubs comme nous qui vivent d'émotion, de passion et d'enthousiasme.»
Les footballeurs comme les enfants
Une étude d'un groupe de chercheurs autour du professeur James Reade de l'université anglaise de Reading a confirmé les effets du huis clos. L'équipe a compilé les résultats de 192 matches sans public depuis 2002: les locaux n'ont gagné que dans 36% des cas, alors que la moyenne européenne sur la période est de 46%.
Mais d'autres statisticiens du football appellent à ne pas tirer de conclusions trop hâtives.
Des résultats sur quatre journées seulement ne sont pas significatifs, parce que le hasard du calendrier joue un trop grand rôle, estime le directeur de l'Institut pour la science de l'entraînement et l'informatique du sport de Cologne Daniel Memmert: «C'est un instantané à un moment T, mais il y a trop de facteurs de perturbation.»
Selon lui, l'importance du public est même souvent exagérée. Un stade enflammé peut tout aussi bien stimuler une équipe que lui occasionner plus de stress, selon que l'équipe gagne ou est en mauvaise posture.
L'avantage de jouer chez soi tient plus aux habitudes et à la maîtrise de l'environnement, ajoute ce chercheur, qui compare: «Les enfants chez eux sont plus agressifs, plus dominants. Il n'en va pas autrement chez les footballeurs.»
Et la Bundesliga est de toute façon un championnat qui aime défier la logique: lors de la 6e journée disputée fin septembre, elle avait enregistré... huit victoires à l'extérieur et un nul en neuf matches! Un record historique, malgré des tribunes pleines.