Le «hacker» portugais Rui Pinto est jugé à partir de vendredi à Lisbonne pour divers délits informatiques et tentative d'extorsion. Il est à l'origine des «Football Leaks», ces fuites d'informations qui ont jeté une lumière crue sur les dérives du foot-business.
Traqué par la justice portugaise jusqu'en Hongrie, où il vivait dans l'anonymat avant d'être extradé vers son pays en mars 2019, le pirate informatique de 31 ans a passé près d'un an en détention provisoire. Assigné ensuite à résidence, il a coopéré avec la justice portugaise en lui donnant les clés d'une masse de données chiffrées contenant des documents inédits en sa possession lors de son arrestation à Budapest.
Remis en liberté le mois dernier, il prendra place sur le banc des accusés alors qu'il bénéficie par ailleurs d'un programme de protection de témoin en échange de sa collaboration avec la justice dans d'autres affaires. «J'espère être acquitté car je suis un lanceur d'alerte et j'ai agi de bonne foi», a affirmé Rui Pinto lors d'un entretien accordé au magazine allemand Der Spiegel, premier média auquel il a livré des documents des «Football Leaks», en 2016.
Il aurait obtenu ces informations en accédant illégalement aux systèmes informatiques d'une kyrielle de clubs de foot et d'intermédiaires: agents, avocats et fonds d'investissement.
Snowden parmi les témoins
Ces révélations, qui ont mis en lumière des mécanismes d'évasion fiscale, des soupçons de fraude et de corruption mettant en cause plusieurs joueurs vedettes et dirigeants de clubs, ont conduit à l'ouverture de procédures judiciaires en France, en Espagne, en Belgique, et en Suisse.
Parmi les nombreux dossiers qui lui sont imputables: les ennuis fiscaux de Cristiano Ronaldo liés à son passage au Real Madrid, l'affaire du fichage ethnique du Paris St-Germain ou encore la tolérance accordée par l'UEFA aux entorses présumées au fair-play financier du PSG et de Manchester City.
Les représentants du «hacker», qui le décrivent dès la première heure comme «un très important lanceur d'alerte européen», feront appel à 45 témoins parmi lesquels figure Edward Snowden, ancien employé du renseignement américain inculpé pour espionnage, ou l'ancienne juge financière française Eva Joly.
«David contre Goliath»
Au rythme de trois séances par semaine au long des prochains mois, le tribunal de Lisbonne se penchera sur les 90 chefs d'accusation retenus par le parquet, qui vont de la tentative d'extorsion au piratage informatique, de la violation de correspondance au vol de données.
Rui Pinto est notamment accusé d'avoir tenté en 2015 de faire chanter le patron du fonds d'investissement Doyen Sports, le Portugais Nélio Lucas, en lui réclamant entre 500'000 et un million d'euros pour cesser de publier des documents compromettants sur un site qu'il avait créé avant de remettre ses découvertes au consortium de journalistes d'investigation. Nélio Lucas dirigeait Doyen Sports pour le compte d'une fratrie d'oligarques kazakho-turcs, dont les méthodes douteuses ont été mises au jour par les «Football Leaks».
Le procès qui s'ouvre vendredi «sera quelque chose du genre David contre Goliath, parce que ce sera moi et mes avocats contre les intérêts puissants et obscurs de la société portugaise», a-t-il dit dans l'entretien accordé à Der Spiegel. Au Portugal, le crime de tentative d'extorsion, le plus grave des chefs d'accusation retenus contre Pinto, est passible d'une peine comprise entre 2 ans et 5 mois, et 10 ans de prison.