L'enquête sur les conditions d'attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, jusqu'à présent conduite sous l'égide du parquet national financier français, a été récemment confiée à un juge d'instruction, a indiqué lundi le parquet.
Un coup d'accélérateur, pour une affaire politiquement sensible: après trois ans d'investigations, l'enquête sur les conditions d'attribution de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar a changé de dimension. Un juge d'instruction a en effet été saisi.
Le parquet national financier (PNF), jusqu'à présent chargé de l'enquête, lancée en 2016, a indiqué lundi à l'AFP avoir ouvert «récemment» une information judiciaire pour des faits de «corruption active et passive», «recel» et «blanchiment». L'ouverture de cette information judiciaire, révélée par Mediapart, vise à faire la lumière sur les conditions dans lesquelles la FIFA a confié au Qatar l'organisation de la Coupe du monde 2022 le 2 décembre 2010.
Elle survient près de six mois après l'audition de Michel Platini, placé en garde à vue dans les locaux de l'office anti-corruption (OCLCIFF), mais aussi de l'ancienne conseillère sport de Nicolas Sarkozy, Sophie Dion, et de l'ex-secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, entendu lors d'une audition libre. L'ancienne star du football français, vice-président de la FIFA et président de l'UEFA lors de l'attribution du Mondial 2022, avait notamment été interrogé sur les raisons de son vote en faveur du Qatar.
Au coeur des soupçons: une réunion organisée au Palais de l'Elysée le 23 novembre 2010, à laquelle ont participé le président Nicolas Sarkozy, mais aussi Tamim ben Hamad al-Thani – alors prince héritier du Qatar devenu émir en 2013 – et Michel Platini. Les enquêteurs se demandent si l'objet de ce déjeuner, organisé neuf jours seulement avant le scrutin, n'était pas de faire basculer le vote de Platini, longtemps acquis à la candidature américaine, et si des contreparties ont eu lieu en échange de ce vote.
«Message subliminal»
Le choix du Qatar pour l'organisation du Mondial 2022 avait créé la polémique, les températures caniculaires dans le richissime émirat gazier rendant en été la pratique du football difficile voire impossible. Comment expliquer le vote en faveur du Qatar? En octobre 2015, l'ancien président de la FIFA Sepp Blatter, mis en cause dans le vaste scandale de corruption du FIFAgate, avait fait état d'une «interférence gouvernementale» du président Nicolas Sarkozy.
Selon sa version, «un arrangement diplomatique» existait pour que la Coupe du monde se déroule en Russie en 2018, et en 2022 aux Etats-Unis. Mais ce plan aurait échoué après l'intervention du président français, à l'origine selon lui d'une volte-face de Platini. L'ancien numéro 10 de l'équipe de France, qui a reconnu avoir voté pour le Qatar, a toujours assuré de son côté avoir changé d'avis avant le déjeuner du 23 novembre 2010, en précisant qu'il ignorait la présence des Qataris avant de se rendre à l'Elysée.
«Personne ne m'a dit pour qui je devais voter. Jamais le Qatar ne m'a demandé de voter pour lui. Ni (Nicolas) Sarkozy ni personne», avait-il assuré en 2014 au journal l'Equipe, tout en reconnaissant avoir ressenti «un message subliminal» lors du déjeuner.
Y a-t-il eu des contre-parties en échange du vote de Michel Platini? Selon France Football, «il a tour à tour été question» lors du déjeuner de l'Elysée «du rachat du PSG par les Qataris, d'une montée de leur actionnariat au sein du groupe Lagardère» et «de la création d"une chaîne de sport (BeIN Sports) pour concurrencer Canal+».
Lors de son interrogatoire, l'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy Claude Guéant a assuré qu'il n'y avait pas «à sa connaissance des éléments qu'on puisse qualifier susceptibles de corruption», selon son avocat, Me Philippe Bouchez el Ghozi. L'entourage de Michel Platini affirme de son côté qu'aucune contrepartie personnelle n'a été versée à l'ancien joueur: c'est seul qu'il aurait décidé de privilégier le Qatar, car aucun pays arabe n'avait jamais obtenu cette compétition.