Le ballon rond n'appartient pas qu'aux joueurs. Les arbitres aussi en sont dépossédés et font en sorte de garder une activité physique et cognitive.
«L'environnement de travail des arbitres est le terrain. Et comme pour les joueurs, la période de confinement les en prive.» Christophe Girard est le chef de la Commission des arbitres de l'Association suisse de football (ASF). Autrement dit, le Vaudois est le patron de ceux qui sifflent week-end après week-end sur tous les terrains du pays. Et par conséquent, également des meilleurs d'entre eux qui arbitrent les rencontres de Super League. Pendant cette période particulière, en collaboration avec Dani Wermilinger, chef du service élites, il fait en sorte de maintenir le contact social avec les meilleurs sifflets de Suisse.
Parmi ceux-ci, sept sont estampillés FIFA et considérés comme professionnels. Ils disposent d'un contrat à temps partiel, avec les devoirs que cela induit. «Mais ils subissent le même manque que les joueurs, notamment en termes d'atmosphère autour des matchs, souligne celui qui est en poste depuis un peu plus d'un an. Il y a certaines choses qu'ils ne peuvent pas reproduire.» Ce qui n'empêche pas de continuer à exercer le métier, du moins pour sa partie hors-terrain.
Entretien physique et technique
«Il est attendu des arbitres qu'ils soient au top physiquement dès lors que les compétitions reprendront», lance Girard. Ainsi, à l'instar des joueurs qu'ils côtoient semaine après semaine, un programme physique personnalisé leur est concocté en partenariat avec la SUVA, afin de garder la forme. Dans la mesure du possible et dans le respect des mesures de précaution. «Je me limite à quelques séances spécifiques, notamment de stabilité et de renforcement musculaire, de façon à réduire au maximum mes déplacements», témoigne Lionel Tschudi, arbitre FIFA depuis 2018.
Ce n'est pas tout. Plus intéressant encore, leurs capacités d'appréciation des situations sont tenues en alerte, à travers des questionnaires sous forme de tests. «Nous avons chaque semaine des analyses vidéo à effectuer, poursuit le Neuchâtelois. Il s'agit de préciser et argumenter quelle est la décision technique à prendre sur une situation donnée. Puis, de se mettre à la place de l'arbitre VAR et d'exprimer s'il avait fallu intervenir. Nous pouvons donc profiter de cette pause pour continuer notre apprentissage avec cet outil.»
Une approche qui se veut habituelle: «En temps normal, les arbitres sont convoqués plusieurs fois par mois et les séances se font en présentiel. Mais le message et le contenu diffusé restent les mêmes», note Christophe Girard. Ce qui a le mérite d'élargir la question: comment un arbitre appréhende-t-il sa fonction lorsqu'il n'est pas sur le terrain?
Si la situation actuelle diffère, puisque la période sans match se prolonge indéfiniment, l'approche reste la même: «Il s'agit toujours d'entraîner les fondamentaux, analyser différentes scènes pour développer les automatismes en matière de prise de décision, précise celui qui est en poste depuis plus d'une année. Le travail vidéo est hyper important.» Comme pour les joueurs.
Préparation minutieuse
Et ce, avant et après les rencontres. «Nous préparons les matchs, affirme Lionel Tschudi. En Super League, nous connaissons les équipes et nous savons donc comment elles défendent et attaquent, si elles se basent sur des transitions rapides, si elles utilisent un marquage individuel. Nous nous nourrissons des éléments principaux, au niveau tactique, sur les coups de pied arrêtés et les joueurs-clés, de façon à ne pas être surpris.» A l'instar d'un staff technique d'un club.
Sauf que, pour les officiels, les coachs changent toutes les semaines. Plus communément, on les appelle «inspecteurs». Des anciens arbitres de Swiss Football League qui supervisent ceux en activité, en se rendant au stade. «Devant la télévision, on peut bien sûr voir certaines choses, mais être dans les tribunes permet d'apporter un élément de l'instant, en ressentant les réactions sur le moment», relève Girard, qui fait partie de ce collège de coaches.
Ils parlent aux quatuors avant les matchs et analysent les performances après ceux-ci, en mobilisant une dizaine de scènes-clés qui auront pu marquer la rencontre, qu'elles aient été positives ou négatives. A posteriori, les arbitres revoient eux aussi leurs propres prestations. Et échangent ensuite avec un «mentor», qui les suit à la saison, dans une démarche plus accompagnatrice. Comme quoi, les arbitres n'ont peut-être pas le même maillot que les joueurs, mais ils ont le même sérieux.
Cinq à la suite
Si l'Euro 2020 avait eu lieu cet été, il aurait signé la cinquième compétition internationale consécutive sans arbitre suisse. Le temps des Urs Meier et Massimo Busacca semble bien lointain.
Mais Christophe Girard ne se veut pas alarmiste sur le niveau de l'arbitrage suisse. Au contraire même. «Au niveau professionnel, il est bon, voire très bon, soutient le Chef de la Commission des arbitres de l'ASF. Et il n'a pas diminué. Les décisions prises en Swiss Football League sont justes en très large majorité. Il faut maintenant continuer à travailler pour donner aux arbitres les moyens d'évoluer et d'aller dans la performance.»
Le constat des observateurs est généralement moins emballé. Question de perception peut-être, estime le patron de l'arbitrage. «Le niveau global de l'arbitrage d'une nation ne se voit pas forcément qu'à travers la présence d'arbitres parmi les meilleurs mondiaux. Les gens doivent comprendre cela.» En clair, ce n'est pas parce qu'un pays dispose d'un arbitre reconnu que l'ensemble est homogène.
Mais comment expliquer une telle absence suisse dans les grands rendez-vous? «Déjà, nous n'étions pas prêts au départ si rapide de Busacca (réd: il s'arrêta en 2011, à 42 ans), répond Girard. Cela a surpris beaucoup de monde. Et puis, nous sortons d'une période où mes prédécesseurs avaient moins le focus sur l'international, avec moins de lobbying pour continuer à alimenter la FIFA d'au moins un arbitre suisse.»
L'erreur se veut réparée, même si cela demandera du temps. Sandro Schärer a intégré le Groupe 1 de l'UEFA, ce qui le situe parmi les trente meilleurs arbitres européens. «Il doit maintenant faire ses preuves dans cette nouvelle catégorie et j'ai bon espoir», lance son chef.