Fléau du Football «T'en sortiras pas vivant» - Menacés de mort, ils lâchent le sifflet

Gregoire Galley

4.4.2025

«T'en sortiras pas vivant», «on sait où t'habites»: pris pour cible lors d'un match amateur à Strasbourg fin mars, Anthony, arbitre bénévole depuis 10 ans, a décidé de raccrocher le sifflet. Solidaires et en colère, aucun arbitre n'officiera lors des 800 matches programmés en Alsace ce week-end.

Etre arbitre n’est pas toujours facile (image d’illustration).
Etre arbitre n’est pas toujours facile (image d’illustration).
IMAGO/Sportimage

Agence France-Presse

«Après avoir entendu ça, c'est inimaginable pour moi de revenir sur un terrain. Je n'arbitre pas pour me faire menacer de mort et pour le lundi matin, en sortant de chez moi, regarder à droite et à gauche dans la rue si quelqu'un m'attend», explique à l'AFP ce chef d'entreprise de 35 ans, père de famille, qui préfère ne pas donner son nom. Il a porté plainte et le parquet de Strasbourg confirme l'ouverture d'une enquête, des enregistrements vidéos sont en cours d'analyse.

Si de telles menaces sont une première le concernant, Anthony déplore les insultes chaque week-end sur et au bord des terrains, par les joueurs, les entraîneurs et le public. «Chez les plus jeunes et jusqu'aux vétérans, il y a toujours des insultes qui fusent. Enculé. Fils de pute. Alcoolique. C'est plutôt standard.»

Face aux menaces de mort, la commission d'arbitrage du district d'Alsace, le plus important de France avec 85.000 licenciés et 537 clubs, a décidé de marquer le coup: aucun arbitre n'officiera pour les rencontres prévues de vendredi à dimanche, soit 800 matches qui devront être reprogrammés.

«C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Nous sommes face à une recrudescence des incivilités. C'est inacceptable ce type d'attitude. Je soutiens pleinement les arbitre», assure Marc Hoog, président du district. La Ligue Grand Est s'est dite «solidaire», mais a maintenu les matches régionaux. La Fédération française (FFF) n'a pas souhaité s'exprimer.

Carton violet, carton blanc

Face au fléau, le district autorise le recours au «carton violet», qui offre aux arbitres la possibilités de suspendre temporairement ou définitivement une rencontre en cas de débordements, comme l'a fait Anthony le 23 mars, ainsi qu'au carton blanc, pour exclure 10 minutes un joueur contestataire.

Cela n'empêche pas les clubs et les instances d'être dépassés par l'ampleur des dérives. «Malgré les avertissements, ça continue», admet Marc Hoog. «Nous avons 60 faits disciplinaires par week-end et un ou deux incidents graves. Il y a aussi des arbitres qui, par peur, ne relatent pas totalement les faits» dans leurs rapports.

Les incidents «sont plus le fait des mains courantes (les spectateurs autour des terrains), que du terrain», analyse-t-il. Il y a «des personnes qui viennent simplement pour chambrer, provoquer, insulter l'arbitre et les adversaires. C'est le rôle des clubs de faire la police autour de leurs terrains».

Mais, face à des clubs ne maîtrisant plus la situation, c'est désormais la police nationale qui est sollicitée. «Nous recensons chaque semaine 35 à 40 rencontres difficiles, explique M. Hoog, et nous envoyons la liste aux forces de l'ordre».

«L'exemple» Paulo Fonseca

Pour les responsables amateurs, les difficultés sont accentuées par les dérives du football professionnel et sa vitrine en France, la Ligue 1. «Championnat de merde», s'était emporté en février le président de Marseille, Pablo Longoria, contestant des décisions arbitrales et hurlant à la «corruption». En mars, l'entraîneur de Lyon, Paulo Fonseca, a menacé un arbitre, tête contre tête. Ils ont conservé le soutien de leurs clubs malgré les sanctions de la Ligue. «L'exemple vient d'en haut», insiste Philippe Durr, président de la commission d'arbitrage du district d'Alsace.

Après les comportements très médiatisés de Pablo Longoria et Paulo Fonseca, «j'avais prévenu ma commission: je leur avais dit qu'il fallait s'attendre à des débordements sous peu. Il n'a même pas fallu attendre trois semaines...»

Face à une situation «qui dégénère», il appelle à «une prise de conscience de tout le monde». «Il y a de plus en plus de haine sur les terrains», témoigne Anthony Hohmann, arbitre amateur qui a reçu un coup de tête d'un joueur en début de saison. «Pour tenir et continuer à venir, il faut mettre des oeillères.»