Slava Bykov et Andreï Khomutov ont disputé l'une des plus grandes finales de l'histoire du hockey avant de débarquer à Fribourg.
Le 15 septembre 1987 à Hamilton, la sélection soviétique, alors encore emmenée par la «KLM», avait cependant laissé filer la Canada Cup. Le Canada s'imposait 6-5, avec un dernier but signé Lemieux sur une passe de Gretzky, pour enlever cette officieuse Coupe du monde.
«Même Wayne Gretzky et Glenn Anderson ont dit que c'était le meilleur hockey auquel ils ont pris part.» La phrase vient de Slava Bykov. «Je le pense aussi», rapporte l'ancien numéro 90 de Gottéron. Analyste à MySports et ancien arbitre de National League, Stéphane Rochette se souvient de ce match comme s'il avait eu lieu hier: «J'avais 19 ans et j'étais à l'Uni. On avait fait une fête entre étudiants pour regarder le match. Je me rappelle où j'étais assis et ce que je buvais.»
3-0 après 8'
Imaginez un peu. Une série en «best of 3» qui voit la Sbornaïa enlever le premier match 6-5 à Montréal, et les Canadiens égaliser à 1-1 en s'imposant également 6-5, en deuxième prolongation. Avec une «belle» que l'URSS entame ventre à terre pour mener 3-0 après huit minutes.
Mais les Soviétiques s'inclinaient finalement à 1'26 de la fin du temps réglementaire, sur une réussite concoctée par les deux meilleurs joueurs de l'Histoire. L'Histoire, justement, voyait s'affronter deux idées du même sport sur fond de Guerre froide. Le Rideau de fer allait tomber deux ans plus tard, et les Soviétiques allaient partir coloniser la NHL. Mais pas Bykov et Khomutov.
Lemieux et Gretzky sur la même ligne
Pour se rendre compte de la qualité du hockey proposé, il suffit de jeter un oeil aux effectifs. Au sein du roster canadien, on retrouve 12 hockeyeurs élus au Hall of Fame, dont Wayne Gretzky et Mario Lemieux. Gretzky a fini meilleur compteur avec 21 points devant Lemieux et ses 18 unités (dont 11 buts), en neuf rencontres. La seule et unique fois où les deux hommes ont joué ensemble. Dans le camp russe, l'avalanche de noms de légende donne le tournis. Les plus célèbres sont les trois membres de la KLM, Vladimir Krutov, Igor Larionov et Sergei Makarov, et bien sûr Valeri Kamensky, Andreï Khomutov et Slava Bykov.
De cette opposition Est-Ouest, le plus fribourgeois des Russes en parle comme d'une oeuvre d'art: «Tellement beau. Imprévisible. Dramatique.» Mais même si sa mémoire tend à conserver les aspects positifs, Slava Bykov ne peut effacer l'action qui a mené au but victorieux de Mario Lemieux, puisque c'est lui qui a pris l'engagement face à Dale Hawerchuk: «On engage à droite, et Hawerchuk commet une première faute alors que je veux faire mon 'backcheck'. Et quand je me dis que je reviens sur Lemieux, il m'accroche et je me retrouve au sol. Sinon je coupais l'attaque.»
Le Tsar voit alors son coéquipier Igor Stelnov mis à terre par une passe parfaite du numéro 99 pour le 66, qui expédie le puck dans la lucarne droite du gardien russe. 6-5 pour le Canada, la patinoire de Hamilton chavire de bonheur, alors que les spectateurs assistent à l'un des plus grands matches de hockey.
«L'image que je garde en tête, c'est Gretzky qui saute dans les bras de Lemieux, l'anglophone dans les bras du francophone, revit Stéphane Rochette. Comme un rêve. Le Championnat du monde ne signifiait rien pour les Canadiens, et les joueurs de NHL ne participeront aux JO qu'à partir de 1998 à Nagano. Là, on avait les meilleurs du monde.»
Tikhonov positif, chose rarissime
Dans ses souvenirs, Slava Bykov évoque l'échauffement des Canadiens: «Je revois Mario Lemieux trouver inlassablement la lucarne droite. Alors quand il est dans cette position, je sais où le puck va aller et je sais qu'il va marquer. C'est clair que lui et Gretzky étaient les meilleurs.» Malgré la présence de ces deux légendes, les Canadiens ont tenté de mettre la pression sur les Russes. «Après le 2e match, quand Krutov est revenu du contrôle antidopage, il a entendu les Canadiens lui dire qu'on n'avait aucune chance de gagner cette Coupe», glisse Bykov.
Quant aux fautes non sanctionnées d'Hawerchuk, Slava dira encore que «c'était injuste». «Nous avons la conscience tranquille, précise-t-il. Cela ne sert à rien de crier sur les arbitres, mais c'est dommage d'avoir gâché ce moment de hockey. Tikhonov a pourtant été positif pour la seule fois de sa carrière après une défaite. Il nous a dit qu'on n'avait pas perdu et que c'est le hockey qui avait gagné.»
Dans un article sur sportsnet.ca, Hawerchuk revient sur la scène: «Bien sûr, tout le monde a parlé de cette scène où Bykov aurait pu revenir et que je l'ai accroché. Pour moi, il a plongé (rires). De mon point de vue c'était complètement légal. Ce genre de choses est arrivé un nombre incalculable de fois, il y a eu bien pire. Et puis il existait une règle non écrite. Tu pouvais accrocher, mais tu devais rapidement retirer ta crosse. Souvent quand tu accrochais un adversaire et que le gars tombait, les arbitres savaient que c'était un plongeon. Ils n'allaient pas mordre à l'hameçon.»
Alors que les Canadiens avaient plus facilement tendance à la provocation sur la glace, les Russes, eux, maîtrisaient leurs émotions. «Notre éducation nous poussait à ne pas répondre physiquement», raconte l'ancien numéro 90 de Fribourg.
Quand le coach Mike Keenan changeait ses trios et se permettait des ajustements, le légendaire Viktor Tikhonov se bornait à envoyer ses lignes de façon militaire et dans un ordre immuable de 1-2-3-4. «Tikhonov ne faisait pas trop de stratégie, rappelle Bykov. Il mettait l'accent sur les joueurs vifs et mobiles. Il aimait la rapidité, la créativité et l'improvisation.»
Slava Bykov garde une nostalgie éternelle de ces affrontements mémorables: «C'est le clasico, si j'ose utiliser cette analogie avec le football. Quand j'étais coach de la Sbornaïa, je disais toujours à mes joueurs que les duels contre le Canada, c'était la fête du hockey.»