par Julien Pralong
Il n'a pas été le premier à forcer les portes du sanctuaire, ni même à avoir eu l'honneur de poser ses mains sur l'illustre Coupe Stanley. Mais les promesses d'un Nico Hischier pas plus que la stature d'un Roman Josi ne parviendront à faire de l'ombre à la carrière en NHL de Mark Streit, qui a annoncé sa retraite sportive lundi.
Un pionnier. Voilà le rôle qu'a joué à la perfection le Bernois en faveur du hockey suisse. D'autres avant lui avaient eu leurs chances dans le championnat le plus relevé au monde, parvenant à les saisir avec plus ou moins de bonheur. Mais des sept joueurs qui l'ont précédé en Amérique du Nord, un seul s'y était vraiment imposé: Ken Baumgartner (Los Angeles, NY Islanders, Toronto, Anaheim et Boston de 1988 à 1999), qui n'avait toutefois de suisse que le passeport (il était binational canadien).
Les deux prodiges de Davos Reto von Arx et Michel Riesen? Respectivement 19 matches avec Chicago et 12 avec Edmonton en 2000/01. Thomas Ziegler? 5 apparitions avec Tampa Bay (2001). Julien Vauclair (Ottawa), Goran Bezina (Phoenix), Timo Helbling (Tampa Bay et Washington)? 1, 3 et 11 rencontres entre 2003 et 2005.
Et Mark Streit alors? La bagatelle de 820 parties (play-off compris), un record national, pour 449 points totalisés dont 100 buts. Là aussi, le Bernois mène la danse.
D'autres Suisses avaient déjà réussi à faire leur trou en NHL, mais la différence avec Streit est immense: il s'agissait de gardiens. Deux d'entre eux ont même remporté la Coupe Stanley, David Aebischer en 2001 avec l'Avalanche du Colorado et Martin Gerber en 2006 avec les Carolina Hurricanes.
S'imposer en Amérique du Nord en tant que joueur, personne n'avait su le faire avant le défenseur, également premier Helvète nommé capitaine d'une franchise (les NY Islanders en 2011) et retenu pour le All-Star Game de 2009. Le décor de la National Hockey League, quand Streit y a fait ses débuts avec Montréal le 8 octobre 2005, suffit à mesurer l'exploit: pas un seul autre Suisse dans les contingents!
L'ancien capitaine de l'équipe nationale aurait pourtant pu, comme tant d'autres avant et après lui, n'effectuer qu'un passage éphémère outre-Atlantique. Arrivé comme une bombe en LNA (Fribourg puis Davos), le défenseur s'est heurté à un mur à sa première tentative de percée, l'interminable mur des ligues mineures.
"J'ai travaillé et le chemin a été long, caillouteux parfois. Mais ce que je vis est beau", résumait-il dernièrement. Et Streit le doit, avant tout, à son intelligence. Et pas qu'à son intelligence de jeu, bien au-dessus de la moyenne.
De retour en Suisse après son échec, le Bernois identifie rapidement les causes de la deuxième grande désillusion de sa carrière, la première ayant été de n'avoir pas été jugé assez bon par son club formateur Berne alors qu'il était junior et d'avoir dû "s'exiler" à Fribourg. Streit redouble d'efforts et de travail, conscient que le talent pur n'a jamais suffi dans le sport professionnel.
Il engage notamment Harry Andereggen, aujourd'hui décédé, un coach personnel qui le fait suer sang et eau mais qui bâtit, aussi, une mécanique impressionnante. Posant ainsi les jalons d'une longévité admirable de douze saisons de NHL. "Je lui dois énormément", reconnaissait-il cet été, lors de son passage en Suisse avec la Coupe Stanley. "Sa philosophie d’entraînement était unique. J’ai également beaucoup appris sur le plan mental.
Un talent naturel, une abnégation nouvelle et, plus que tout, l'âme d'un leader. Mark Streit n'est pas un exubérant, il parle peu mais bien. Et, surtout, il est écouté. En 2001, il cueille avec Zurich son seul titre de champion de Suisse et ne tarde pas à hériter du capitanat chez les Lions. La bête était créée!
Et elle va se faire une place au Canadien de Montréal, le club le plus titré de NHL, scruté par le public le plus exigeant de la planète. Trois saisons et nouvel envol, vers la Grosse Pomme et les Islanders. Là encore, le Bernois s'impose en patron sur et en dehors de la glace, dans cet aquarium infesté de requins qu'est le roster d'une équipe professionnelle US.
Toujours bien placé dans la hiérarchie du vestiaire à Philadelphie, il obtient après quatre saisons le droit de patiner au côté de LA star de la NHL, Sidney Crosby himself, qu'il rejoint à Pittsburgh au terme d'un rocambolesque transfert qui le verra être échangé deux fois en quelques minutes, d'abord à Tampa Bay puis chez les Penguins.
Bien sûr, malgré la conquête de la Coupe Stanley, Streit n'a été en Pennsylvanie qu'un joueur de passage comme le sont bien d'autres. Mais peut-être pas tant que cela non plus.
N'ayant joué aucun des six matches de la finale et n'affichant pas le nombre de rencontres de saison régulière exigé par le règlement (19 au lieu de 41), le Bernois n'aurait pas dû avoir son nom gravé sur le trophée. Mais Pittsburgh a demandé à la NHL qu'elle fasse une exception pour honorer le vétéran de 39 ans à l'attitude toujours impeccable. D'ailleurs, les Penguins n'ont semble-t-il pas dû se battre pour obtenir gain de cause et permettre à Mark Streit de matérialiser son rêve de toujours...
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