Alan Roura «A un moment donné, il faut aussi se prendre des baffes»

Nicolas Larchevêque

29.4.2022

Alan Roura a les yeux rivés sur 2024 et la 10e édition du Vendée Globe, où il tentera de devenir le premier navigateur non-français à s’imposer. Pour «blue Sports», le Genevois a évoqué ses débuts et ses projets futurs, ainsi que son nouveau partenariat avec Hublot avec qui il vient de dévoiler son bateau pour ces prochaines années. Interview.

Nicolas Larchevêque

Alan Roura, à seulement 29 ans, vous présentez déjà un palmarès impressionnant. Vous êtes notamment le plus jeune navigateur (à 23 ans) à avoir terminé le mythique Vendée Globe (en 2016). Qu’est-ce que tout cela représente pour vous ?

«Premièrement, ça représente la ténacité et l’envie d’aller toujours plus loin. J’ai un joli palmarès qui n’a pas forcément de victoire, mais il y a en tout cas beaucoup de réussite dans le sens où les courses ont été finies et les projets sont allés au bout. Et ça, pour moi, c’est ce qu’il y a de plus important dans la carrière d’un marin. Et puis, il y a aussi à regarder d’où j’ai commencé jusqu’à où l’on est avec l’équipe aujourd’hui. Je trouve vraiment que c’est une belle histoire. Je suis fier de ce parcours même s’il y a eu des hauts et des bas, comme dans tout projet sportif.»

A vos débuts, vous abordiez la compétition avec plus le côté «aventure». Désormais, vous cherchez davantage le résultat. Qu’est-ce qui a changé ? Comment l’expliquez-vous ?

«Je pense qu’on a toujours envie de faire de la performance, même dans un projet d’aventure. On ne ferait pas sinon de la course au large, on ferait du bateau sans se confronter aux autres. Ce qui a changé, c’est l’envie de bien faire, de bien naviguer et de faire les choses proprement. Il ne fallait pas précipiter les choses avant. Je pense qu’il faut attendre une certaine maturité pour pouvoir prétendre à des performances sur ce genre de bateau. Et aujourd’hui, avec deux tours du monde derrière, je pense que je peux commencer à prétendre à cela. Mais avant, c’était trop tôt. C’est délicat d’arriver dans le milieu directement et de dire : «je viens pour de la performance». Ce n’est pas faisable. Il faut faire ses preuves avant, apprendre à connaître ses bateaux, et ça prend du temps.»

Depuis votre première participation au Vendée Globe en 2016, votre statut, notamment médiatique, a logiquement changé. Comment avez-vous géré cela ?

«Cela s’est fait assez naturellement avec des projets changeants d’un Vendée Globe à l’autre. La communication aussi. Je trouve que le fait de ne pas avoir brûlé les étapes, les gens ont très bien compris l’esprit des projets. Il n’y a pas eu besoin d’expliquer le pourquoi du comment au fur et à mesure des années. Le skipper et la communication changent, et ça s’est fait un peu tout seul.»

Votre grand projet pour ces prochaines années, c’est justement le Vendée Globe 2024. Cela sera votre troisième départ consécutif (après 2016 et 2020). Cette fois-ci, avec la victoire en ligne de mire ?

«C’est l’idée. On met tout en place aujourd’hui pour y arriver. Ça reste un sport mécanique, donc il peut se passer énormément de choses. Il y a de très bons bateaux qui se construisent aujourd’hui et il y a de très bons skippers à la barre de ceux-ci. C’est un énorme défi, mais il est possible et est clairement relevable. C’est notre objectif, mais maintenant, tout peut arriver. C’est ça aussi la magie de la course au large. On peut très bien finir cinquième en réussissant une très belle performance et être content. Ou finir premier et être déçu.»

«C’est un peu trop facile pour les Français j’ai l’impression»

Alan Roura

Devenir le premier navigateur étranger (non-français) à remporter le Vendée Globe, qu’est-ce que cela vous évoque ?

«Pour moi, c’est un peu comme Alinghi. Quand ils sont allés chercher la Coupe de l’America (ndlr : en 2003 et 2007), nous, les Suisses, étions très fiers. Et l’Europe entière aussi parce que le titre était revenu en Europe. Pour moi, c’est presque l’inverse aujourd’hui : ce côté du Vendée Globe avec toujours des Français vainqueurs et là d’avoir un étranger, hors France, qui gagne ce fameux tour du monde. On a failli avoir un Allemand (ndlr : Boris Herrmann, 5e) lors de la dernière édition. Je trouve que c’est la magie, ça relancerait un peu les dés. Parce que là, c’est un peu trop facile pour les Français j’ai l’impression ! (rires)»

Vous le dites vous-même sur votre site, votre première participation à l’«Everest des mers» s’est faite «dans la joie (12e), la seconde dans la douleur (17e)». Qu’est que ces deux expériences peuvent justement vous apporter pour la suivante ?

«Je pense tout parce que, dans la vie, il ne faut pas vivre que des bons moments. Il faut aussi en vivre des mauvais pour grandir. Ces deux Vendée Globe m’ont permis d’apprendre plein de choses et de ne pas rester que sur des notes positives. Vivre dans le monde des Bisounours, c’est bien. Mais à un moment donné, il faut aussi se prendre des baffes. Le dernier Vendée Globe a été difficile, mais je n’ai pas baissé les bras, J’ai ramené mon bateau et je suis allé au bout. Cela m’a fait beaucoup grandir. Il faut passer par là : casser des bateaux, abandonner des courses, etc. Ça fait partie du jeu pour être un marin performant.»

Jusqu’au Vendée Globe 2024, votre route est toute tracée. Votre programme débute ainsi le 8 mai prochain à Brest avec la Guyader Bermudes 1000 Race. Qu’attendez-vous de cette première épreuve ?

«En performance, pas grand-chose. C’est vraiment l’apprentissage du bateau où il y aura beaucoup de marins, qui ont des bateaux depuis un certain nombre d’années et qu’ils connaissent par cœur, qui seront présents. Pour moi, c’est vraiment la phase de se qualifier pour la course suivante, prendre mes marques et du plaisir et on verra à l’arrivée. Être dans les dix premiers serait déjà génial pour une première course. On va y aller crescendo pour monter en puissance. Il y a des attentes sportives, mais je ne me mets pas la barre très haute. J’ai envie d’être libre en mer, de ne pas me mettre trop de pression.»

Vous participerez, entre autres, à la Route du Rhum cette année et à la Transat Jacques Vabre l’an prochain. Au-delà de la préparation au Vendée Globe, quels objectifs vous êtes-vous fixé pour ces divers rendez-vous en 2022 et 2023 ?

«Ces deux épreuves sont aussi importantes que le Vendée Globe. Pour moi, la Route du Rhum reste une course majeure dans le calendrier, qui est très dure. Gagner la Route du Rhum, c’est aussi beau que gagner le Vendée Globe. Je vais tout faire en fin d’année pour être prêt et performant sur cette course. Mais là, c’est un sprint. C’est encore différent. Il faut se mettre dans la peau d’un sprinter pendant douze à quinze jours. C’est l’inverse d’un Vendée Globe. On change un peu de mode de fonctionnement, c’est assez rigolo. Toutes ces courses-là sont assez importantes pour l’entraînement, mais, en performance et en communication, aussi. Il faut donc y participer et jouer le jeu ! (rires)»

«Hublot, l’image d’une marque qui me correspond énormément»

Alan Roura

Pour atteindre vos objectifs, vous venez notamment de signer sur le long terme avec la marque horlogère suisse Hublot. Comment ce partenariat est-il né ?

«Il est né avec le temps. (rires) Tout se fait avec du temps ! Il est né fin de l’année derrière, mais ça faisait cinq ans qu’on était en discussion. Il est vrai que, dans le projet «course au large», des fois c’est difficile : il faut avoir le bateau pour trouver des partenaires, mais il faut avoir le partenaire pour avoir le bateau. C’est toujours un peu le serpent qui se mord la queue. Et là, on a réussi à aligner toutes les planètes dans notre dernière ligne droite, qui était au mois d’octobre l’année dernière. On s’était fixé une date, et si à celle-ci ce n’était pas finalisé, on arrêtait tout. Et ça s’est fait à deux jours de la date butoir. Comme quoi, il ne fallait pas baisser les bras. C’était très important pour nous, on s’était vraiment fixé l’objectif d’avoir Hublot parce que la démarche et l’image faisaient sens par rapport à notre projet. On s’était énormément concentré sur Hublot, et tout dépendait d’eux. C’était le sponsor et le bateau qu’on voulait. C’est une belle histoire, mais ça a été long comme dans tout partenariat.»

Un autre partenaire majeur suisse (la Banque neuchâteloise Bonhôte) vient de s’engager auprès de vous. Est-ce une volonté de votre part d’avoir des sponsors principalement helvétiques ?

«Déjà, ça facilite beaucoup les choses. Vu que je fais pas mal d’aller-retour en Suisse, ça m’aide à pouvoir regrouper l’ensemble des partenaires. C’est très bien pour la communication, pour l’image du projet et j’ai envie de naviguer sur un bateau suisse, qui représente les couleurs et les valeurs du pays. C’est vrai qu’on s’est focalisé sur la recherche en Suisse, et ce n’est d’ailleurs pas facile de convaincre des sponsors suisses. Mais on y arrive. Tous mes projets ont été représentés par des entreprises suisses et j’ai envie de continuer là-dedans. Je trouve que c’est une belle image et un bel état d’esprit.»

Au-delà de l’aspect financier, quel soutien vous apporte Hublot ?

«Hublot, c’est l’image d’une marque qui me correspond énormément, qui n’est pas rentrée dans les codes de l’horlogerie suisse, qui – à son origine – a essayé d’être différente en créant son propre style. Elle a cassé les codes. Quand je suis arrivé dans le milieu de la voile, c’était un peu pareil. Évoluer au fil des années pour devenir une marque internationalement reconnue par la qualité, la finesse ou encore le mode de fonctionnement, toute l’histoire de la marque, qui est très jeune finalement (ndlr : Hublot a été fondé en 1980), correspondaient à un projet voile. Parce qu’il y a forcément tout le mécanisme de précision que l’on trouve sur un bateau, il y a l’engagement humain, la recherche et le développement qu’on y met dans ces montres. On a exactement la même chose dans nos bateaux. Il y a vraiment eu quelque chose de très similaire. Après, je passais devant chez Hublot à Nyon tous les jours lorsque j’étais à Versoix. Et chaque fois que je passais devant, je me disais : «un jour peut-être». Et je ne sais pas pourquoi, c’est resté. Il fallait que Hublot soit le partenaire de notre bateau.»

Avec Hublot, vous avez ainsi dévoilé votre nouveau bateau, l’IMOCA Hublot, au début du mois d’avril. Quelles sont vos premières impressions sur votre monture flambant neuf ?

«Il a trois ans ce bateau, c’était l’ancien Hugo Boss. On l’a récupéré au mois de novembre. On a pas mal navigué avec et on a fait un chantier de décoration avec. Du coup, il a été remis à l’eau avec ses nouvelles couleurs. C’est une machine, un bateau fabuleux qui n’a plus de limite de vitesse. Mais il demande à être compris. Il faut un peu entrer dans son mode d’emploi, car ça reste des bateaux assez compliqués. Mais dans l’ensemble, c’est top ! On a beaucoup navigué ces derniers jours sans rien casser, ce qui est plutôt rare. Sur ces bateaux, on casse généralement assez souvent, et là ça tient pour le moment. C’est très bien. Le bateau va vite, comparé aux autres. On commence à se confronter un peu à l’approche de la course. Pour le moment, ce bateau est une merveille !»

Mais avez-vous apporté des modifications techniques sur ce bateau depuis que vous l’avez ?

«Sur celui-ci, absolument pas. L’idée, c’était d’acheter un bateau clé en main. On tourne la clé et on part avec. On n’a pas justement toutes ces modifications à faire dès la première année. Le bateau est sorti de l’eau pour changer les couleurs. Et depuis qu’on l’a remis à l’eau, rien n’a été changé. C’est cool, car on gagne du temps. On ne fait que naviguer, c’est un énorme plus. Peut-être qu’il y aura des modifications l’an prochain, et encore. On n’en est même pas sûr, c’est beaucoup d’argent à chaque fois et du temps où le bateau ne navigue pas. Actuellement, on est en train d’étudier ce qu’on va faire dessus l’année prochaine, mais c’est trop tôt. On ne l’a pas encore en main. C’est difficile à dire, car on ne sait pas encore ce qu’il vaut. Cela va se faire dans le temps.»

Il n’y a donc, dans l’immédiat, pas de changement pour vous au niveau de la navigation ? C’est du connu ?

«Exactement. Sur ce bateau-là, c’est nouveau, car ça ne fait pas longtemps. Mais ça reste un bateau avec des grands «foils» (ndlr : les ailes permettant à l’embarcation de «voler » sur l’eau). Ce qu’il y a de nouveau, c’est ça : le côté grands «foils» et la puissance du bateau. Il n’y a plus vraiment de limite de vitesse, donc il faut apprendre à ralentir. Avant c’était l’inverse.»

Pour finir, avez-vous déjà pensé à d’autres projets après 2024 ? Naviguer, par exemple, dans une autre catégorie que les IMOCA vous intéresserait-il ?

«Pourquoi pas. C’est très dur aujourd’hui de se projeter dans trois ou quatre ans. Il y a des choses qui m’intéressent, comme des records. J’aime ça. Le record autour du monde, le trophée Jules-Verne, c’est quelque chose qui m’intéresse. Mais c’est d’autres bateaux, d’autres dimensions. Pour le moment, je me concentre sur le Vendée Globe et on pensera à la suite après !»