Alan Roura est prêt. Ou presque. «Partir aujourd'hui, cela m'arrangerait», ose le Genevois. Il devra prendre son mal en patience: le tour du monde, c'est pour dans un peu moins de trois mois. Le 8 novembre, à seulement 27 ans, Roura sera au départ de son deuxième Vendée Globe. L'aboutissement d'un projet quadriennal.
Il a bien grandi, Alan Roura. Et pourtant, il sera probablement à nouveau le benjamin de l'épreuve mythique, qui consiste à partir des Sables-d'Olonne pour un tour du globe à la voile sans escale et sans assistance. Sauf que cette fois, il est entré dans une autre dimension, celle où l'on ne découvre plus, mais où l'on concourt.
Le saut dans l'inconnu est relatif: d'une, il connaît la route, qu'il avait parcourue en 105 jours en 2016-2017, terminant à une très honorable douzième place. De deux, on le lancerait aujourd'hui à l'assaut des océans qu'il ne se froisserait pas et s'en accommoderait aisément.
«La première fois, on n'était tellement pas prêt, se marre-t-il. Dans le même timing, le bateau était au sec, sans sponsor et avec 20'000 francs de dettes. Ce n'est pas la même histoire.» Aujourd'hui, La Fabrique est un voilier plus récent, a été complètement retapé et conçu pour performer et a enchaîné les journées au large de Lorient, où Roura est établi, à l'instar de plusieurs marins et adversaires.
Pour une heure, comme pour 130 jours
Skipper et bateau, qui a délaissé son rouge très helvétique pour un orange plus percutant, sont donc prêts à relever le défi. Désormais, tout n'est plus qu'ajustements. «Le but est d'avoir le bateau encore plus en mains, souligne Alan Roura. Comme je n'ai pas une grosse équipe derrière moi, j'ai besoin d'être en mer. Certains skippers, on leur met un peu le bateau dans les mains et ils sont surtout des pilotes. Moi, je ne suis pas de cette génération, ça ne me donne pas envie.» Alors, il prend l'océan jour après jour. Accompagné de son équipe, à se confronter aux vents qui se proposent à lui et à guetter les réactions de ce monstre de 60 pieds (18,29 m de long).
La préparation physique l'occupant désormais un peu moins, il s'agit d'aller dans le concret. Et le mental n'est même pas une préoccupation. «Sur le premier Vendée Globe, j'y allais pour voir si je tiendrais le coup. J'ai pu le constater. Maintenant, ma préparation, c'est plutôt la pression que je me mets. Ce n'est pas forcément quelque chose dont j'ai besoin, je suis assez serein.»
Le navigateur aura une dernière fois l'occasion de se mesurer à d'autres lors du Défi Azimut, petite course de préparation cumulant différentes épreuves du 9 au 13 septembre. Et puis, il s'agira d'entrer dans sa bulle. Avec un peu de repos avant et la descente vers les Sables d'Olonne, où un possible confinement pré-départ risque d'être imposé à tous les concurrents.
«Il me tarde d'y arriver, s'impatiente Roura. C'est un projet qui dure depuis quatre ans et on touche enfin au but. J'arrive à bien tirer dans le bateau. Tout ce qu'on a fait jusque-là, c'était pour le Vendée Globe, pour être à 100% au départ de la course. Et on est dans ce qu'on avait imaginé. Maintenant, on ne sait jamais ce que ça veut donner.» La glorieuse incertitude du sport n'a jamais épargné la voile. Elle aime s'y acharner, jouer avec les nerfs des skippers et rebattre les cartes autant que possible. «On peut aussi bien partir pour une heure que pour 130 jours», accepte le Genevois.
Un objectif de temps, pas de classement
Même si aucune des deux options n'est de nature à l'intéresser. L'homme est devenu ambitieux. Ce qui ne signifie pas naïf. «On sait très bien qu'on ne pourra pas gagner le Vendée Globe, mais sur un malentendu, on peut faire une très jolie place.» La Fabrique n'est en effet pas un bateau réputé capable d'aller chasser le record du parcours. Ce n'est pas l'objectif. La pression n'est pas celle-là. «Je ne m'intéresse pas au classement, mais aux jours passés en mer.» Alors, combien de temps pour faire le tour du monde? «J'aimerais bien le faire en 80 jours.»
En améliorant sa marque de vingt-cinq jours, cela ferait une jolie histoire à raconter. Celle d'un marin moderne, mais qui s'épanouit surtout sur l'eau et qui ne néglige pas son instinct même quand les ordinateurs lui dictent l'inverse. «La voile, c'est surtout un jeu de stratégie, lance-t-il. Sur le bateau, on a tout, notre ordinateur a calculé la route. Mais parfois, on a le sentiment qu'on pourrait faire autre chose. Il s'agit alors de se demander si le jeu en vaut la chandelle. Ça ne paye pas tout le temps.»
Avec les années, Alan Roura a dessiné son style, jaugé ce qui lui convenait le mieux et modelé La Fabrique à son image: «C'est un bateau de gros temps, sourit-il. Plus ça va vite, plus c'est cool. Sur l'eau, je suis un bourrin, mais j'ai un petit côté philosophe aussi, comme les marins qui parlent à leur bateau.» En 80 jours, Alan Roura et La Fabrique auront un peu de temps pour échanger. Et se faire leurs adieux.