Egan Bernal, premier Colombien et plus jeune lauréat de l'après-guerre, pour vainqueur, le Français Julian Alaphilippe pour héros: le Tour de France, qui s'est conclu dimanche soir par le succès au sprint de l'Australien Caleb Ewan, a vécu une édition renversante qui a bousculé les codes.
Chris Froome a salué la victoire de son cadet: «La question n'était pas de savoir s'il allait porter le maillot jaune mais quand il le ferait.» Tant le destin d'Egan Bernal, surdoué venu des hauteurs des Andes, était tracé depuis le Tour de l'Avenir 2017 et son transfert, après un passage par l'Italie, dans l'équipe la mieux armée.
A 22 ans et six mois, il est le premier Colombien (et aussi Sud-Américain) à gagner le Tour. Il donne un coup d'accélérateur phénoménal pour le cyclisme dans le pays d'Amérique du Sud qui vibre pour les siens, au rythme échevelé des radio-reporters, depuis trente-six ans et leur première apparition dans le Tour. Il est aussi et surtout le plus jeune vainqueur de l'après-guerre.
Est-ce pour autant le début d'une nouvelle ère ? «On n'en sait rien. Ce qui est sûr, c'est qu'il est surdoué et qu'il est très jeune», répond le directeur du Tour Christian Prudhomme. A raison: depuis quarante ans, les plus jeunes lauréats ont gagné l'épreuve une autre fois (Laurent Fignon, Alberto Contador)... ou pas (Jan Ullrich, Andy Schleck).
«C'est comme une drogue. Une fois que tu gagnes le Tour, tu penses au suivant», a dit Bernal. Mais le Colombien est conscient d'avoir été avantagé par le parcours 2019 en raison de sa facilité en très haute altitude. C'est dans les deux cols les plus hauts (Galibier, Iseran) qu'il a fait la différence.
Même dans sa propre équipe Ineos (anciennement Sky), dont l'effectif comptera probablement l'an prochain une pléthore de leaders potentiels (Bernal, Froome, Thomas, Carapaz), le lauréat des Champs-Elysées n'est pas assuré d'être le numéro un. Car, c'est une certitude, le Tour 2020 ira moins haut. Mais, pour connaître le parcours, il faudra attendre jusqu'au 15 octobre.
La même équipe victorieuse
Depuis 2012, la plus riche et la plus puissante équipe du peloton n'a laissé échapper qu'une seule fois la victoire (en 2014). Elle a poursuivi sa série, même sans aligner son «number one», Chris Froome, quatre fois sur la plus haute marche du podium des Champs-Elysées, mais victime cette année d'une grave chute à la mi-juin.
«On ne peut pas faire mieux que premier et deuxième», note le patron de l'équipe, Dave Brailsford, à propos du doublé réalisé par Egan Bernal et le Gallois Geraint Thomas, le vainqueur 2018. Mais, à l'évidence, la concurrence s'est rapprochée. Pour gagner, l'équipe britannique a dû changer de stratégie. Et tenir compte du rendement moindre qu'à l'accoutumée de plusieurs de ses cadres (Kwiatkowski, Moscon).
Concentrée sur le seul maillot jaune (aucun succès d'étape), elle évite la dispersion qui guette ses rivales. Notamment, Jumbo, qui place sur le podium, pour la première fois, le Néerlandais Steven Kruijswijk (3e) et se félicite de ses quatre succès d'étape.
Même si son compatriote Dylan Groenewegen a échoué de peu pour la victoire face à Ewan -trois étapes pour l'Australien- sur les Champs-Elysées, où Peter Sagan a ramené son septième maillot vert du classement par points (un record que le Slovaque détient seul désormais) et Romain Bardet son premier maillot à pois de meilleur grimpeur. Un lot de consolation pour le Français, désormais à un tournant de sa carrière.
Alaphilippe pour symbole
Flamberge au vent, tel un moderne Mousquetaire au bouc finement taillé, Julian Alaphilippe symbolise ce Tour dont il a porté quatorze jours durant le maillot jaune. «C'est lui qui a allumé la mèche», relève Christian Prudhomme, séduit par l'audace et la simplicité du numéro un mondial. «C'est lui qui changé la course», affirmait avant les Alpes Dave Brailsford.
Le Français, vainqueur de deux étapes (dont un contre-la-montre) et cinquième au classement final après avoir flanché dans les deux dernières étapes de montagne, avoue finir «au bout du rouleau». Qu'importe, il a «vécu une expérience inoubliable» durant trois semaines dingues qui vont marquer sa carrière et le public.
La marque de cette 106e édition ? L'imprévu, les rebondissements mais surtout la ferveur et l'enthousiasme partagés au bord des routes, l'espérance du public français de voir l'un des siens gagner jusqu'à l'abandon-surprise de Thibaut Pinot à trois jours de la fin.
C'était «le Tour le plus beau» de ces dernières années pour Christian Prudhomme, «le plus excitant» pour Dave Brailsford, qui vient donc d'ajouter une nouvelle victoire au palmarès de sa formation.