Véritable star du sport handicap suisse depuis ses trois sacres aux Jeux paralympiques de Pyeongchang, Théo Gmür (23 ans) a connu sa première grosse désillusion sportive en novembre dernier. Blessé, le Valaisan a dû faire l'impasse sur l'entier de la saison qui s'est achevée il y a peu. Le Nendard en a profité pour faire le point. Interview.
Théo Gmür, vous sortez d'une saison blanche. Quelle était la nature de votre blessure?
"Je suis entré en collision avec un autre skieur à l'entraînement à Zinal mi-novembre. J'ai souffert d'une entorse du ligament externe de la cheville et d'une lésion du tendon du péroné. Le but était d'effectuer mon retour à la compétition début mars en Suède et en Norvège pour les courses de fin de saison. Ces épreuves ont finalement dû être annulées en raison de la situation sanitaire actuelle. Je n'ai donc effectivement pas pu skier cet hiver, comme lors de la saison 2014/15 lorsque je m'étais fait opéré à deux reprises."
Cette première expérience vous a-t-elle servi cet hiver?
"Il s'agit de deux situations différentes. Je n'avais pas d'emploi lors de ma première pause forcée, alors que j'ai pu passablement m'occuper cette année puisque je suis en quatrième année de Bachelor en sciences du sport à Macolin. J'ai eu l'occasion de rattraper le retard accumulé en cours et passer mes examens en février. J'ai également eu l'occasion d'acquérir de l'expérience professionnelle en travaillant dans un cycle d'orientation en Valais. Quant à ma rééducation, elle s'est bien passée car j'ai pu bénéficier d'un contact direct avec mes physios et avec mon préparateur physique."
Quid de votre parcours de vie? Vous a-t-il été utile pour vous remettre de ce coup du sort?
"Ce dernier m'aide dans mes expériences sportives, professionnelles et scolaires. Les moments très difficiles que j'ai vécus me permettent de prendre du recul sur les choses et de relativiser. Mon passé me fait donc aborder les choses différemment et mon état d'esprit est d'aller toujours de l'avant."
Avant cette blessure, vous restiez sur deux folles saisons: champion paralympique en descente, Super-G et géant, vainqueur des globes du général et du géant en 2018, champion du monde en descente et Super-G, vainqueur des globes de la descente et du géant en 2019. Etait-ce dès lors encore plus dur à accepter?
"Je sais que ce sont des choses qui font parties du sport. Dans mon malheur, j'ai eu de la chance de ne pas être touché à un genou. Des solutions ont ensuite rapidement été trouvées et j'ai pu m'entraîner avec de grosses charges un mois et demi seulement après ma blessure. Ce n'était donc pas forcément compliqué à accepter, surtout qu'il s'agissait d'une saison sans événement majeur. L'objectif était simplement de remettre certaines choses en place, d'en tester d'autres aussi, afin d'arriver prêt aux Championnats du monde 2021 et aux Jeux paralympiques 2022."
Vous auriez tout de même abordé cette saison avec de grosses ambitions, non?
"Il est clair que j'avais des attentes élevées en descente et en géant. Depuis deux hivers, les écarts se sont resserrés et la concurrence s'est renforcée dans ces disciplines. J'aurais donc voulu pouvoir mettre de la pression sur mes concurrents avant deux saisons marquées par de gros événements."
Craignez-vous que cette saison blanche soit un coup d'arrêt dans votre progression?
"Oui et non. J'ai effectivement pris passablement de retard au niveau du ski et du nombre de jours passer sur les lattes. Lorsque je regarde ma préparation des dernières saisons, je constate toutefois que je n'avais pas besoin de beaucoup de jours de ski pour être rapidement compétitif. J'ai désormais aussi du temps pour continuer à bien m'entraîner, étape par étape."
Etes-vous désormais totalement rétabli?
"J'ai évidemment perdu de la musculature sur le côté droit de mon corps. J'ai toutefois pu bien travailler et remettre une couche physique après ma rééducation. J'ai également pu remettre les skis pour faire quelques sessions techniques et m'entraîner entre les piquets en fin de saison."
Avez-vous déjà le regard tourné sur les deux prochaines saisons? Quelles seront vos ambitions?
"C'est encore très loin, mais elles sont quand même déjà dans un coin de ma tête. Les souvenirs que je garde de Pyeongchang sont tellement mémorables que j'y repense souvent, même si deux ans ont déjà passé. Mon rêve est évidemment de reconquérir l'or aux Jeux de Pékin. Quant aux Mondiaux, l'objectif sera de défendre mes titres conquis en vitesse. J'avais dû beaucoup cravacher pour aller chercher l'or en descente et en Super-G l'hiver dernier. La valeur d'un titre mondial est donc également particulière à mes yeux."
Vous avez évoqué vos titres paralympiques de 2018. Concrètement, qu'est-ce qui a changé dans votre vie depuis la Corée du Sud?
"Ces trois titres ont changé ma vie. Il y a eu un avant et un après Corée du Sud: c'était vraiment le jour et la nuit. Il y a eu beaucoup de changements, comme par exemple l'intérêt des médias à mon égard. Il y a trois ou quatre ans, aucun article n'était écrit sur le sport handicap dans les journaux. Depuis mes succès de Pyeongchang, j'ai pu constater un changement positif dans le traitement médiatique et une certaine reconnaissance témoignée aux athlètes. Ça me fait quand même chaud au coeur que le sport handicap soit désormais mis en lumière. J'espère évidemment que ça va continuer ainsi."
Y a-t-il eu uniquement du positif lié à ces trois breloques?
"Non, bien-sûr que non! Il y a également eu le revers de la médaille. C'est d'ailleurs ce que les gens ne voient pas. Avant Pyeongchang, je ne me rendais pas vraiment compte du côté extra-sportif, du côté business car je n'en avais pas eu accès. En rentrant de Corée du Sud, j'ai dû faire attention de ne pas entrer dans un cercle vicieux car le sport business est un monde de requins. Plus globalement, j'étais heureux de la reconnaissance témoignée au sport handicap, mais j'étais affiché dans les médias suisses comme une nouvelle star. Je suis passé de ma petite vie tranquille d'étudiant à Macolin à cette starification. Je ne l'ai pas mal vécu, mais je l'aurais certainement vu et fait autrement."
Finalement, nous vivons actuellement une situation sanitaire critique. En tant qu'athlète de haut niveau, comment faites-vous face à la pandémie de coronavirus et aux mesures de confinement?
"J'ai la chance d'habiter à Nendaz et d'avoir de l'espace autour de la maison pour pouvoir m'entraîner sans être en contact direct avec d'autres personnes. Je fais un peu avec les moyens du bord: j'ai installé une petite salle de sport dans ma cave. Ce n'est toutefois pas la même chose que d'aller au fitness, où les charges d'entraînement sont plus élevées. Actuellement, il s'agit donc surtout d'un maintien physique."
Ce virus vous impacte-t-il personnellement?
"Oui, car ma maman est une personne à risque. Je fais donc très attention et j'y pense beaucoup. C'est important que les gens prennent conscience de cette réalité. Il faut rester à la maison pour sauver des vies. La situation qui touche actuellement l'Italie pourrait très vite arriver en Suisse. Les personnes qui n'ont pas encore été frappées par ce virus semblent avoir de la peine à se rendre compte de la gravité de la situation. Il faut vraiment appliquer les mesures émises par la Confédération afin que cette période morose prenne fin le plus vite possible."