«Ça en devient presque fatigant» L'Agence mondiale antidopage, ou le malaise permanent

ATS

17.3.2025 - 15:24

Depuis sa décision controversée au sujet des nageurs chinois révélée il y a près d'un an et la gestion alambiquée du cas du tennisman Jannik Sinner, l'Agence mondiale antidopage (AMA) traverse une crise de confiance inédite. Celle-ci est exacerbée par son affrontement sans fin avec les Américains.

Jannik Sinner a vu sa suspension réduite de deux ans à trois mois après un accord avec l’AMA.
Jannik Sinner a vu sa suspension réduite de deux ans à trois mois après un accord avec l’AMA.
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Aucune table ronde n'est consacrée au dossier chinois lors du rassemblement annuel de l'AMA qui débute mardi à Lausanne. Mais il suintera inévitablement dans les discussions de couloirs, tant ses répliques se font encore sentir.

L'affaire remonte au printemps 2024, lorsque le New York Times et la chaine allemande ARD avaient révèle l'affaire de ces 23 nageurs chinois contrôlés positifs à la trimétazidine (TMZ), une substance interdite, en 2021. A trois mois des JO de Paris, le fait que l'AMA ait validé la thèse de l'antidopage chinois expliquant ces contrôles par une contamination collective via le restaurant où avaient séjourné les athlètes, avait fait l'effet d'une bombe.

«Personne n'a vraiment compris pourquoi l'AMA, d'ordinaire si pointilleuse, avait avalé le scénario des autorités chinoises», rappelle une source proche du monde olympique.

«Crise de confiance»

Déjà tendues notamment depuis les affaires de dopage russes en 2015-2016, les relations avec les Américains se sont alors franchement envenimées. Et le patron de l'antidopage américain (USADA), Travys Tygart, n'a de cesse depuis d'accuser l'AMA d'avoir «permis à la Chine de glisser des cas positifs sous le tapis». La décision des Etats-Unis début janvier de ne plus verser sa contribution à l'AMA n'a fait qu'approfondir cette crise.

Si l'AMA a décidé de retirer la plainte en diffamation qu'elle avait portée à l'encontre de Travys Tygart pour tenter d'apaiser la situation, le FBI, en vertu du Rodchenkov Act qui permet aux Etats-Unis d'enquêter sur des affaires de dopage, continue lui ses investigations sur cette histoire, et aucun signe récent de plaide pour une normalisation en vue.

«Cette guéguerre envenime vraiment trop les relations au sein de l'antidopage mondial, cela en devient presque fatigant», estime une source au sein de l'antidopage.

«L'AMA traverse sa plus grosse crise de confiance qu'elle ait jamais connue», assure à l'AFP David Pavot, professeur de droit international, titulaire de la chaire du sport responsable à l'Université de Sherbrooke au Canada. «Pour avoir parlé à d'autres agences antidopage, il y en a pas mal qui pensent comme l'agence antidopage américaine mais ils n'ont pas le culot de le faire», abonde le chercheur, qui écarte tout lien entre la crise et les attaques de l'administration Trump contre le multilatéralisme.

Les critiques publiques sont effectivement rares dans un monde plutôt feutré. «L'histoire de l'AMA et la nature de son activité fait qu'elle traverse des crises et qu'elle en traversera encore», répond lui à l'AFP Olivier Niggli, le directeur de l'agence basée à Montréal. «Quand on a eu la crise russe, c'était aussi la plus grave de son histoire. Et à chaque fois qu'il y a une nouvelle crise, on la voit comme étant la plus importante.»

«Fin de la récréation»

Toujours est-il que certains s'inquiètent de la situation. «Le prochain patron du CIO va devoir siffler la fin de la récréation. L'AMA ne va pas pouvoir continuer comme ça, il va falloir réintégrer les Américains et calmer tout le monde», assure un membre du CIO sous couvert d'anonymat alors que le prochain président de l'instance doit être élu le jeudi 20 mars.

Pour ne rien arranger à la compréhension de l'antidopage, la gestion du cas du no 1 mondial de tennis Jannik Sinner (blanchi par l'Agence pour l'intégrité du tennis après avoir été contrôlé à un anabolisant) a semé là encore la confusion. L'AMA avait décidé de contester cette décision devant le TAS pour demander un à deux ans de suspension avant de finalement conclure un accord avec le joueur pour une suspension de trois mois.

Une décision incomprise par de nombreux sportifs. «Sur la forme, l'AMA ne pouvait pas faire pire», estime une source au sein de l'antidopage.

«Des transactions comme ça s'est passé dans le cas Sinner, on en a fait plus que 70 au cours des dernières années, et dans des circonstances totalement similaires. Jamais ça n'a soulevé ce genre de questions», s'étonne lui Olivier Niggli.

Un sentiment que ne partage pas l'un des cadres de l'antidopage mondial sous couvert d'anonymat: «Ça ne va plus. On perd tout le monde, c'est devenu bien trop byzantin. L'AMA est trop cloisonnée, vit un peu dans son monde».