Samedi encore, Tadej Pogacar sera le grandissime favori pour remporter son cinquième Tour de Lombardie consécutif, un exploit inédit. Le cyclisme devient-il ennuyeux ?
Au matin du dernier Monument de la saison, qui cheminera de Côme à Bergame dans le cadre enchanteur des lacs et monts lombards, l'excitation est toujours grande pour ce qui sera la dernière sortie de l'année des principaux cadors du peloton.
Mais le suspense n'est pas vraiment au rendez-vous, tellement un Slovène de 27 ans a fait de la «classique des feuilles mortes» son terrain de chasse préféré. En quatre participations, Pogacar a gagné quatre fois, et samedi, il pourra égaler Fausto Coppi, le «Campionissimo», vainqueur en 1946, 1947, 1948, 1949 et 1954, en devenant au passage le premier à remporter un même Monument cinq années de suite.
Isaac Del Toro, son possible héritier mexicain, Remco Evenepoel, qui disputera sa dernière course sous les couleurs de Soudal Quick-Step avant de rejoindre Red Bull-Bora, Tom Pidcock ou le jeune prodige français Paul Seixas, qui disputera son premier Monument, ont bien envie de lui barrer la route.
Mais les espoirs sont maigres face au dictateur d'UAE qui a gagné ses trois dernières courses – Championnats du monde, d'Europe et les Trois Vallées varésines – sur des chevauchées solitaires de respectivement 66, 75 et 22 km.
En Lombardie, sur un parcours aux faux-airs d'étape de montagne du Tour de France, on devine déjà où il va attaquer: dans les dernières rampes très raides du Passo di Ganda dont le sommet est situé à 31 km de l'arrivée à Bergame. Pour un nouveau solo en perspective ?
«La tactique ? Jouer la deuxième place»
«Je suis super motivé, la forme est là, les jambes sont bonnes et l'équipe est forte», prévient le Slovène à la tête d'une armada qui compte déjà 92 victoires cette saison, un record.
Le peloton, lui, encaisse. «La tactique ? Ca va être de jouer la deuxième place», plaisantait à moitié Victor Lafay au départ des Trois Vallées varésines où le Français a un temps accompagné Pogacar dans une offensive avant de plier les ailes.
«Il est tellement au-dessus», constate Romain Grégoire en insistant sur le rouleau-compresseur de l'équipe UAE qui «asphyxie tout le monde avant même qu'il n'attaque». L'ultra-domination du Slovène et la répétition de ses exploits solitaires, qui transforment la dernière heure de course en contre-la-montre, peuvent susciter un certain ennui.
«Pogacar est à la fois le beau et la brute du cyclisme moderne, résumait dès le printemps l'Italien Alberto Bettiol auprès du site cyclingnews. Il rend le cyclisme beau à regarder parce qu'il est aussi fort qu'Eddy Merckx et qu'il pulvérise tous les records. Le côté moche c'est que vous prenez le départ d'une course en sachant qu'il est quasiment impossible de le battre.»
Le coup de poing contre Merckx
La question se posait déjà la saison dernière où il avait décroché 25 victoires, contre 19 cette année et 17 en 2023. Luke Rowe, directeur sportif chez Décathlon-AG2R, disait alors à l'AFP: «jusque-là, on pouvait se dire: wow, personne n'avait jamais fait ça. La course en soi n'était pas excitante mais on se consolait en disant qu'on assistait à quelque chose d'historique. Mais si ça se reproduit, d'un point de vue de spectateur, ça devient un peu ‘chiant’.»
Ce sentiment de lassitude qui s'installe n'est pas nouveau dans le cyclisme et un Eddy Merckx par exemple est passé par là. Au sommet de sa gloire, le Belge était aussi devenu un objet de détestation, au point de recevoir un coup de poing dans le ventre de la part d'un spectateur dans le Puy de Dôme lors du Tour de France 1975.
Pogacar s'est, lui, fait houspiller dans le Val d'Enfer aux Championnats d'Europe où certains lui ont collé des autocollants dans le dos. Le Slovène lui-même semblé lassé par ses propres succès qu'il célèbre avec moins d'entrain.
L'émergence de son coéquipier Isaac del Toro, impressionnant cette saison, et d'un Paul Seixas prometteur pourraient venir offrir une concurrence nouvelle dans les années qui viennent. Mais en attendant, c'est Pogacar qui domine et personne ne s'attend à ce que le Tour de Lombardie lui échappe samedi.