Crevasse fatale1949: la tragédie qui a failli coûter la vie à la Patrouille
Valérie Passello
24.4.2022
Le 10 avril 1949, la patrouille n°7, composée de trois excellents montagnards, manque à l'appel à l'arrivée de la Patrouille des Glaciers à Verbier. Si personne ne croit à un drame dans un premier temps, le pire scénario devient crédible au fil des heures... et des jours. Retour sur un événement qui a donné un coup d'arrêt à la course mythique jusqu'en 1984.
Valérie Passello
24.04.2022, 13:28
19.03.2024, 08:45
Valérie Passello
Impensable, inimaginable: ces trois-là ne pouvaient pas avoir d'accident.
Trois experts de la montagne
KEYSTONE
Le chef de cordée, Maurice Crettex, 33 ans, était le fils d'un guide de montagne réputé. Skieur de talent, les cimes n'avaient aucun secret pour lui. Il était d'ailleurs formé en tant que guide militaire de haute montagne. Le plus jeune de la patrouille n°7, Robert Droz, du haut de ses 25 ans, avait remporté de nombreuses compétitions de ski, y compris au niveau national. D'un séjour dans les pays nordiques en 1947, il avait ramené de solides connaissances de ce sport. Louis Theytaz, 26 ans, n'était pas en reste. Porteur de montagne en été, il était un grand espoir du ski-club Champex-Ferret, dont les trois Valaisans étaient membres.
Et pourtant, l'implacable loi de la montagne a frappé de son sceau les jeunes soldats Maurice Crettex, Robert Droz et Louis Theytaz, membres de la patrouille n°7, dans la nuit claire du 9 au 10 avril 1949, quelque part entre Zermatt et Verbier.
Cette année-là, la Patrouille des Glaciers (PdG) vit sa 3ème édition. La compétition, alors réservée aux militaires, s'est déjà tenue en 1943 et en 1944. Pour les participants, le but est, à l'époque, de prouver leur capacité à évoluer dans un secteur stratégique en cas de guerre, de démontrer leur aptitude à réagir en fonction des conditions du moment et de mener à bien une mission complexe, tant au niveau tactique que logistique.
Il est à souligner que, contrairement à aujourd'hui, les patrouilles avaient alors le choix de leur itinéraire, en-dehors de certains passages obligés.
Silence et incrédulité
Tout commence bien ce jour-là. Selon le document «La Patrouille des Glaciers se souvient - 1949-1999», édité avec l'appui de l'Armée Suisse pour commémorer les 50 ans du drame, les conditions sont «excellentes». Le départ de la PdG peut être donné.
Dans son mémoire sur la tragédie, le capitaine EMG Maurice Zermatten relate: «Un télégramme du poste de contrôle de Bertol arrive à Verbier vers 5h30. Il annonce le passage de plusieurs patrouilles, dont la patrouille n°7». Mais un correctif arrivera cinq heures plus tard: on n'est plus si sûr d'avoir repéré à Bertol les trois hommes, dont le passage à Arolla n'a pas été signalé non plus.
Le silence de l'équipe menée par Maurice Crettex n'inquiète cependant personne. «Fort probablement, la patrouille aura souffert du froid. Elle sera donc redescendue sur Schönbühl et Zermatt», ajoute Maurice Zermatten. N'ayant pas de nouvelles des trois hommes à Zermatt en soirée, on estime que la patrouille est peut-être descendue sur l'Italie.
Les heures passant néanmoins, l'inquiétude commence à poindre. Des recherches seront entreprises dès le matin du 11 avril.
L'écharde, un indice minuscule
Ainsi débute un feuilleton qui va tenir en haleine la Suisse entière des jours durant. La Gazette de Lausanne du mercredi 13 avril 1949 indique à ses lecteurs: «La patrouille disparue a été aperçue pour la dernière fois dimanche matin entre 3h et 4h au haut du glacier Stöckje. Il faisait beau temps, mais le froid était tombé à 35° sous zéro. La patrouille a été vue à cet endroit par une autre patrouille qu'elle a devancée alors».
À la recherche des leurs, les militaires «retournent» la montagne, tentant de retracer le parcours de l'équipe Crettex. On survole la zone, on cherche le moindre indice, la moindre trace. En vain. Jusqu'à l'abandon officiel des recherches le 16 avril.
Toutefois, une nouvelle équipe composée de guides et de militaires, menée par le major Rodolphe Tissières, décide d'explorer une dernière fois les crevasses qui se trouvent entre le Stökje et Tête-Blanche. Pour la petite histoire, relate Maurice Zermatten, «les indications données par un radiesthésiste paraissent plausibles».
Et c'est un bout de bois dépassant d'une crevasse, une écharde de ski, qui va attirer l'attention de l'un des sauveteurs. La patrouille n°7 a sombré dans une toute petite fissure d'une largeur d'environ un mètre et demi. Mais la crevasse, elle, est profonde. À quelque trente mètre en contrebas, le premier cadavre est découvert...
C'est ainsi sur un passage pourtant réputé facile que ces skieurs expérimentés ont péri. Parmi les sauveteurs, le guide Georges Crettex ne ménage pas sa peine: il veut dégager son frère lui-même.
Funérailles solennelles
Le drame a ému le pays entier. Suscité des polémiques sur l'utilité, ou non, de mener une compétition telle que la PdG. Mais lors des obsèques à Orsières, point de débat, c'est la solennité qui s'impose.
Le 22 avril, L'Illustré relate: «Jamais funérailles ne suscitèrent un tel concours de population à Orsières...»
Vidéo tirée des archives de la RTS: «Nous avons retrouvé ce reportage sur l'enterrement de trois soldats du ski-club Champex-Ferret. L'hommage militaire qui leur est rendu nous fait penser à l'accident survenu le 10 avril 1949 à trois soldats de la patrouille des glaciers. Malheureusement nous n'avons aucun renseignement sur cet enterrement, ni sur le lieu, ni sur la date. Nous pensons que ces images sont tirées du Ciné journal et qu'elles ont été diffusées sur la TSR en 1959 pour commémorer les dix ans de ce drame», indique la RTS. Un internaute a confirmé qu'il s'agissait bien de l'église d'Orsières.
Le drame a entraîné l'interdiction de la tenue de la PdG dès 1950. Mais l'attrait de la course, mythique dès ses débuts, a finalement été le plus fort.
La PdG a pu reprendre en 1984, grâce à l'insistance des organisateurs Camille Bournissen, René Martin et Adrien Tschumy, à qui il aura fallu dix ans pour convaincre les autorités compétentes. La sécurité devait être maximale, afin d'éviter qu'une nouvelle tragédie ne survienne.