Techno En Californie, l'école à distance s'enlise parfois dans le fossé numérique

AFP

18.4.2020 - 14:47

En temps normal, Kenia Molina n'aurait eu besoin que de papier et de stylos pour terminer son année de lycée. Mais, comme des dizaines de milliers d'autres élèves défavorisés de Californie appartenant à la «promotion coronavirus», il lui aura d'abord fallu se procurer un ordinateur.

La quasi-totalité des écoles et universités américaines ont fermé leurs portes jusqu'à la fin de l'année scolaire pour endiguer l'épidémie de coronavirus, basculant vers un système d'enseignement à distance.

Heureusement pour Kenia, son district scolaire, le deuxième plus grand du pays, a commencé à fournir de l'équipement informatique aux élèves démunis dès le 13 mars, jour de la fermeture des établissements.

«C'est vraiment important pour les élèves qui n'ont aucun accès à internet ou qui ne peuvent même pas se payer un ordinateur», explique cette fille de 18 ans à l'AFP.

Ses premières impressions sur l'école à domicile? «Très difficile». «J'ai travaillé sur papier toute ma vie et d'un seul coup, nous devons faire nos devoirs et prendre nos cours sur internet», explique-t-elle.

Sans les ordinateurs portables distribués gratuitement, 400 élèves du lycée de Bell, banlieue pauvre de Los Angeles où Kenia est scolarisée en terminale, n'auraient pas pu suivre l'école à distance.

Le département de l'Education de Californie estime que 230.000 élèves au total ne disposent pas des moyens technologiques nécessaires. Un paradoxe dans cet Etat progressiste, qui serait la cinquième puissance économique mondiale s'il était indépendant, et berceau de toutes les innovations numériques de la Silicon Valley. Mais où les inégalités sociales sont importantes.

La mise à disposition d'équipement informatique a permis de nettement diminuer l'absentéisme en ligne. Même si tous ne sont pas nécessairement assidus, seuls 7.400 des 120.000 lycéens du district de Los Angeles sont encore portés manquants depuis le début du confinement, selon les dernières données officielles.

- «Sacrifices» -

«Nous aurions dû nous y préparer depuis des années», affirme à l'AFP Rafael Balderas, principal du lycée de Bell où Kenia Molina est inscrite. «On ne peut pas se passer du face-à-face avec les élèves, c'est la meilleure forme d'instruction qui soit pour les enfants, mais les choses ont changé et la technologie aussi”, poursuit-il.

La pandémie «nous donne l'occasion de préparer nos enfants au XXIe siècle», estime le principal.

La fossé numérique est particulièrement difficile à surmonter dans certains quartiers pauvres, où jusqu'à 20% des élèves peuvent être sans domicile fixe, vivant dans des chambres d'hôtel ou partageant un même appartement avec plusieurs familles.

«L'enfant peut ne pas avoir d'endroit où s'asseoir et étudier», relève Andres Chait, responsable d'une zone scolaire défavorisée du nord-est de Los Angeles.

Les parents font de «gros sacrifices pour s'assurer que leur enfant puissent se connecter sur Zoom ou participer à une leçon en ligne», explique-t-il.

Parfois, les parents sont contraints d'aller travailler et c'est alors à un frère ou une soeur, également scolarisé à distance, d'encadrer les plus petits.

Dans ces quartiers, les enseignants eux aussi ont dû s'adapter à ces nouvelles contraintes, un défi pour certains qui n'avaient pas d'ordinateur personnel ou d'accès fiable à internet.

Quatre semaines plus tard, la plupart parviennent à s'y retrouver entre applications éducatives et plateformes de visioconférence comme Zoom.

«Ils préservent un environnement éducatif de manière à ce que cette génération ne perde pas six mois d'enseignements», souligne Andres Chait, qui les qualifie de «héros».

Mais avoir un ordinateur et une liaison internet n'est pas toujours suffisant pour pouvoir étudier.

Des dizaines de milliers de familles pauvres dépendent des repas gratuits que leurs enfants, et parfois tous les membres du foyer, reçoivent à l'école. Le district scolaire s'est organisé depuis le début de la crise sanitaire pour distribuer chaque jour un demi-million de repas dans 63 sites.

A la rentrée prochaine, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a prévenu que les emplois du temps, et même la disposition des salles de classes, devraient être profondément modifiés pour prendre en compte les exigences de distanciation sociale.

Kenia Molina ne sera plus là pour le voir. Elle s’apprête à dire adieu à son lycée et ses amis comme elle a terminé les cours: par écran interposé et sans le bal de promotion tant attendu.

«Des souvenirs que je n'aurai jamais», regrette-t-elle.

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