Techno Intelligence artificielle: Microsoft a travaillé avec une université militaire chinoise

AFP

12.4.2019 - 17:33

Le géant informatique Microsoft a mené des recherches liées à l'intelligence artificielle, notamment sur l'analyse d'expressions faciales, avec des universitaires chinois affiliés à un établissement militaire -- des travaux susceptibles d'être utilisés à des fins de surveillance et de censure.

Il n'est pas inhabituel pour des universitaires américains et chinois d'effectuer des recherches conjointes mais les collaborations font l'objet d'un examen de plus en plus minutieux par Washington, dans un contexte de tensions commerciales et de rivalité technologique avec Pékin.

L'an dernier, au moins trois articles de recherche ont été co-écrits par des ingénieurs d'une antenne de recherche de Microsoft basée à Pékin et des chercheurs de l'Université nationale des technologies de Défense (NUDT), contrôlée par la Commission militaire centrale, la plus haute instance militaire du pays.

Ces travaux couvraient un large éventail de sujets liés à l'intelligence artificielle, comme l'interprétation des expressions faciales d'un individu et la compréhension automatique de textes écrits en ligne, qui permet à une machine de comprendre le sens et le contexte à partir de quelques mots.

«Bon nombre de ces technologies de pointe sont à double usage (civil et militaire) et pourraient très bien contribuer à la modernisation de l'Armée populaire de libération (APL) et à l'aider dans son ambition de devenir une armée de classe mondiale d'ici 2049», souligne Helena Legarda, chercheuse au Mercator Institute for China Studies (MERICS).

De plus, ces technologies «pourraient très bien servir à la répression contre les minorités ethniques du Xinjiang», le vaste territoire instable du nord-ouest du pays abritant une importante communauté musulmane, prévient Mme Legarda.

- Vaste réseau de surveillance -

Ces dernières années, le Xinjiang a régulièrement été frappé par des attentats meurtriers attribués par Pékin à des séparatistes ou des islamistes de la minorité musulmane des Ouïghours.

Il est désormais sous haute surveillance policière, avec l'installation de très nombreuses caméras de vidéosurveillance, y compris dans les mosquées et les restaurants, permettant une application extensive de la reconnaissance faciale.

La Chine est également quadrillée par un vaste réseau de plusieurs centaines de millions de caméras déjà capables, par exemple, de repérer un piéton qui traverse une rue au feu rouge ou d'identifier un passant en particulier.

Interrogé par l'AFP, un porte-parole de Microsoft a indiqué que la firme effectuait de «la recherche fondamentale avec les meilleurs experts du monde entier dans le seul but d'améliorer notre compréhension des technologies».

Dans chaque cas, les travaux de recherche «se conforment entièrement aux lois américaines et locales» et sont publiés «dans un souci de transparence» pour que chacun puisse en bénéficier, assure-t-il dans un courriel.

- Problèmes d'éthique -

Il n'empêche que l'application de technologies de pointe à des programmes de surveillance en Chine pose des problèmes éthiques croissants aux entreprises étrangères.

En février, le fabricant américain d'équipements scientifiques Thermo Fisher avait annoncé renoncer à vendre à l'Etat chinois du matériel qui aurait servi à créer un immense fichier génétique de la minorité ouïghoure.

Le même mois, un expert informatique révélait une fuite de données concernant 2,6 millions d'habitants du Xinjiang et un fichage massif par la firme chinoise SenseNets (conversations en ligne entre particuliers, numéros d'identité, adresse IP personnelle, coordonnées GPS des déplacements).

Sur son site internet, l'entreprise assurait avoir établi des partenariats avec la police chinoise, ainsi qu'avec des entreprises américaines... dont Microsoft. Le groupe s'était alors refusé à tout commentaire.

Cependant, certains experts préfèrent insister sur la dimension scientifique des publications académiques réalisées avec la NUDT.

En rendant ces travaux publics et disponibles à tous, «les auteurs partagent avec le reste du monde leurs approches, leurs modèles et leurs résultats», ce qui permet à d'autres «de poursuivre et d'améliorer ces recherches», observe Andy Chun, professeur d'informatique à l'Université de Hong Kong.

L'antenne «Microsoft Research Asia» tend à se concentrer sur des recherches à long terme ou à des projets qui ne sont pas nécessairement destinés à des applications immédiates pour surveiller la population, abonde Yu Zhou, professeur du Vassar College à New York et experte de la high-tech chinoise.

L'intelligence artificielle «est un domaine dans lequel les chercheurs chinois ont fait beaucoup de progrès, et ils produisent des données qui sont la matière première de ce secteur», insiste-t-elle. De quoi rendre très difficile pour les firmes étrangères de se passer de la Chine.

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