L'Australie a adopté une législation controversée instaurant des peines de prison pour les cadres dirigeants des réseaux sociaux qui ne retireraient pas promptement les contenus extrémistes
A Christchurch lors d'un hommage aux victimes du carnage des mosquées le 29 mars 2019
Médias en Australie: les patrons de réseaux sociaux menacés de prison
L'Australie a adopté une législation controversée instaurant des peines de prison pour les cadres dirigeants des réseaux sociaux qui ne retireraient pas promptement les contenus extrémistes
A Christchurch lors d'un hommage aux victimes du carnage des mosquées le 29 mars 2019
L'Australie a adopté jeudi une législation controversée instaurant des peines de prison pour les cadres dirigeants des réseaux sociaux qui ne retireraient pas promptement les contenus extrémistes, une «première mondiale» dans la foulée du carnage des mosquées de Christchurch.
Les parlementaires se sont prononcés à une très grande majorité en faveur de cette réforme qui attribue aux entreprises comme Facebook et YouTube et à leurs dirigeants la responsabilité du retrait de «matériaux détestables».
Le 15 mars, un suprémaciste blanc australien a tué 50 fidèles dans deux mosquées de Christchurch, grande ville de l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande, et diffusé en direct les images sur Facebook de ce massacre qui a ébranlé le monde entier.
Le texte rend illégal le fait de ne pas retirer les images «d'actes terroristes», de meurtres, de viols, de tortures et d'enlèvements. Les plateformes encourent des milliards de dollars d'amende, soit 10% de leur chiffre d'affaires annuel, si elles ne procèdent pas «au retrait rapide» des contenus en question. Leurs cadres risquent jusqu'à trois ans de prison.
Les entreprises technologiques, les experts et les avocats sont vent debout contre le texte, qui a passé la rampe du Parlement en un temps record mais dont le devenir après les législatives attendues en mai est incertain.
Le Premier ministre conservateur Scott Morrison, en position délicate pour ce scrutin, a évoqué les devoirs des géants de l'internet.
- «Lois réflexe» -
«Les grands groupes de réseaux sociaux ont la responsabilité de prendre toutes les mesures possibles pour s'assurer que leurs produits technologiques ne sont pas exploités par des terroristes meurtriers».
L'Attorney General Christian Porter, l'équivalent du ministre de la Justice, a expliqué que la nouvelle législation était «très vraisemblablement une première mondiale».
L'opposition travailliste a fait part de ses réserves mais a voté en faveur du texte, en écho à l'adoption bipartisane d'une loi également controversée destinée à contraindre les géants technologiques à affaiblir leurs systèmes de cryptage.
Avec ces deux réformes, l'Australie a pris la tête des efforts mondiaux pour réguler davantage les géants des réseaux sociaux mais elles sont accusées par leurs détracteurs d'être des «lois réflexe» mal conçues.
Elles interviennent quelques jours après une tribune du patron de Facebook Mark Zuckerberg appelant les pouvoirs publics dans le monde à jouer un «rôle plus actif» pour réguler Internet.
Dans le cadre de la réforme australienne, c'est un jury qui sera chargé d'établir sur plainte du ministère public si les réseaux sociaux ont retiré les contenus avec suffisamment de célérité, ce qui pose des questions quant à son application.
«Personne ne veut de contenus abominables sur son site, et les membres du DIGI s'efforcent de les retirer le plus vite possible», a déclaré Sunita Bose, directrice générale du Digital Industry Group Inc (DIGI) représentant les grands acteurs du secteur comme Facebook, Twitter, Google ou Amazon.
«Mais avec les énormes volumes de contenus publiés chaque seconde sur internet, c'est un problème hautement complexe qui demande une discussion avec l'industrie de la technologie, les experts juridiques, les médias et la société civile pour trouver la bonne solution».
- Censure? -
Elle a également estimé que les entreprises se sentiraient obligées de «surveiller préventivement» les usagers, dénonçant la précipitation des parlementaires. «Ce n'est pas comme ça qu'on doit écrire les lois dans une démocratie comme l'Australie».
Les entreprises du secteur sont confrontées au défi de mettre au point des outils de modération capables de détecter rapidement les matériaux violents au milieu des centaines de millions de mises en ligne sur leurs plateformes.
Quelques heures après le carnage, Facebook avait assuré avoir retiré à lui tout seul 1,5 million de copies de la vidéo.
Les outils actuels tels que le Content moderator API de Microsoft ne peuvent «pas classifier une image de manière automatique, sans parler d'une vidéo», relève Robert Merkel, de l'Université Monash. «Il ne peut pas non plus identifier automatiquement les vidéos similaires à d'autres vidéos».
La législation pourrait être particulièrement problématique pour les plateformes plus petites utilisées par l'extrême droite comme 4Chan et 8Chan.
Le Law Council, l'association des barreaux australiens, a mis en garde contre un texte qui pourrait servir à faire taire les lanceurs d'alerte et «déboucher sur la censure des médias, ce qui serait inacceptable».
Le cabinet d'études Institut des affaires publiques l'a qualifié «d'attaque flagrante contre la liberté de la presse».
L'Australie devrait désormais prendre des mesures visant à traiter les réseaux sociaux plus comme des éditeurs, ce qui les rendrait responsables juridiquement de tous leurs contenus.
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