Téléphone interdit Ces salles de spectacle qui confisquent les portables

AFP

12.12.2019 - 10:59

Quand Adam Weiss a présenté sa place dans un théâtre du célèbre quartier de Broadway à New York, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu'il devait en échange se séparer de son téléphone.

«C'est un peu comme si j'avais une partie de moi en moins», confie l'homme de 39 ans à qui l'on a demandé de glisser son portable dans une pochette fermée avant d'entrer dans la salle.

Mais une fois le spectacle commencé, ses anxiétés se dissipent et il relâche la pression numérique.

«Je n'y ai en réalité même pas pensé», raconte-t-il à l'AFP.

Cette expérience est en passe de devenir une tendance dans les concerts ou autres représentations théâtrales.

Le comédien Dave Chappelle ou l'icône pop Madonna ont adopté le système «Yondr», du nom de cet étui à fermeture magnétique qui accueille les téléphones des spectateurs pendant un spectacle. Pas d'inquiétude, il reste possible de se faufiler hors de la salle et d'utiliser son mobile dans des zones dédiées.

L'objectif est de réduire les distractions des artistes et des spectateurs, d'impliquer le public et d'empêcher les représentations de fuiter sur le web.

A New York, Andrew Bancroft était sur scène ce soir-là, dans «Freestyle Love Supreme», un spectacle d'improvisation. La disparition éphémère des téléphones est pain bénit, selon ce comédien: moins de flashs équivaut à un public plus attentif et crée, in fine, un meilleur show.

«Il y a ce sentiment de nos jours -- est-ce qu'il y a quelque chose de mieux que je suis en train de manquer?«, commente M. Bancroft à propos de l'addiction au smartphone.

«Vous n'êtes ni ici, ni là-bas, vous ne pouvez pas être complètement dans un seul endroit», regrette-t-il.

«Trop de signaux sensoriels»

Derrière ce projet de confiner les téléphones portables, il y a Graham Dugoni, 33 ans.

Quand il a essayé de vendre son idée à San Francisco, le temple de la technologie, le jeune homme a rencontré des résistances. Le concept n'a pas «fondamentalement la cote auprès de nombreuses sociétés technologiques», dit-il.

Mais il n'a pas renoncé, persuadé qu'une telle startup – finalement créée en 2014 – était indispensable pour aider «à basculer dans l'ère numérique d'une manière qui n'altère pas le sens de la vie des gens».

«Il est très important que l'artiste ait un endroit sûr où jouer; que les fans puissent apprécier d'être happés par quelque chose», justifie-t-il.

Aujourd'hui, M. Dugoni en a fait une philosophie de vie et a renoncé au smartphone pour revenir au vieux téléphone à clapet, car il était simplement exposé à «trop de signaux sensoriels».

«Véritable addiction»

L'Orchestre Philarmonique de New York teste le programme Yondr et une installation auditive au Brooklyn Museum exige aussi d'enfermer les téléphones.

Au-delà des spectacles, M. Dugoni assure que Yondr a commencé à séduire dans les écoles pour aider les élèves à se concentrer et dans les mariages, où des couples ont banni les cellulaires pour encourager leurs invités à «être simplement là et à ne pas sortir brusquement leur téléphone toutes les deux secondes».

«Ce qu'on entend le plus c'est que cela crée une énergie différente dans la salle», affirme-t-il.

Meredith Weiss, qui a assisté au show «Freestyle Love Supreme» avec son mari Adam, a vu dans cette pause de téléphone un répit bienvenu.

Sa seule inquiétude, un coup de fil de la baby-sitter: «Nous avons des enfants à la maison», confie-t-elle, «et je n'ai pas eu le temps de la prévenir que nous n'allions pas avoir nos téléphones.»

Acteur ou spectateur, Andrew Bancroft est convaincu par le concept.

«De temps en temps des personnes vont dire que leur téléphone leur a manqué -- (...) cela prouve aussi que nous avons une véritable addiction dans notre société», assène-t-il.

M. Bancroft rit du besoin qu'ont beaucoup de gens de «prouver qu'(ils) étaient là; de prendre une photo de Miranda», dit-il en référence à Lin-Manuel Miranda, co-créateur de son spectacle et qui est aussi l'auteur de la comédie musicale «Hamilton».

«J'en suis aussi coupable», lance M. Bancroft. «Je dis +cool, je la publierai plus tard+ et je ne le fais généralement même pas».

«Alors pourquoi ai-je perdu 15 secondes de ce moment magnifique pour prendre une vidéo que je ne vais jamais regarder?»

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