Economie Ce qu’il faut savoir sur le nouveau scandale de blanchiment d’argent

tafu

23.9.2020

Les FinCEN Files ont révélé de graves lacunes dans la lutte internationale contre le blanchiment d’argent.
Les FinCEN Files ont révélé de graves lacunes dans la lutte internationale contre le blanchiment d’argent.
Keystone

D’où proviennent les données issues des FinCEN Files et de quoi est-il question? Qu’est-ce que le blanchiment d’argent et quelles sont les mesures prises pour le combattre en Suisse? Nous répondons ci-dessous aux questions centrales au sujet de ces révélations.

400 journalistes de 90 pays ont publié dimanche leurs recherches sur une nouvelle fuite de données du département du Trésor américain. Les données et les documents révèlent de graves problèmes dans la lutte contre le blanchiment d’argent.

Il est question de grandes banques renommées des quatre coins du monde, d’un contournement des mesures de précaution contre le blanchiment d’argent, de faits de corruption et d’activités criminelles. Nous répondons ci-dessous aux questions les plus importantes concernant les FinCEN Files.

Que sont les FinCEN Files?

Le nom du projet de recherche – «FinCEN Files» – vient du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), une autorité relevant du bureau du département du Trésor des États-Unis. Ses employés surveillent les transferts de fonds afin de détecter et de combattre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et autres crimes.

Les banques siégeant aux Etats-Unis doivent immédiatement signaler les transferts suspects à cette autorité en constituant un «rapport d’activité suspecte». Le «Süddeutsche Zeitung» précise cependant que souvent, ces communications sont purement effectuées «pour la forme», ce qui s’expliquerait par un manque chronique de personnel au sein des autorités chargées du contrôle.

Sur quoi portent les FinCEN Files?

En résumé, les révélations montrent que de nombreuses banques du monde entier procèdent à des transferts de fonds de clients douteux qui s’élèvent à plusieurs centaines de milliards de dollars par an. Et ce, malgré le fait que les banques elles-mêmes soupçonnent que c’est ainsi que l’argent des groupes terroristes, des oligarques corrompus et autres criminels est mis en circulation.

Les données concernent des transferts de fonds effectués entre 1999 et 2017 ainsi que les envois de fonds s’élevant à 2000 milliards de dollars (environ 1830 milliards de francs). Les recherches menées ont permis de révéler que des banques – dont la grande banque américaine JP Morgan Chase et la banque HSBC – ainsi que des agences gouvernementales restent souvent sans rien faire alors que des criminels font circuler de l’argent dans le monde entier.

D’où proviennent les informations?

Les informations divulguées se composent de plus de 2100 rapports d’activité suspecte et de rapports internes du département du Trésor américain. Ils ont été transmis au média en ligne américain «Buzzfeed News», qui les a partagés avec le Consortium international des journalistes d’investigation et plus de 400 journalistes. Les informations sur l’origine exacte des documents ne sont pas données pour des raisons de protection des sources.

Quel est le lien entre Donald Trump et les fuites?

Selon les informations relayées par le «Süddeutsche Zeitung», la plupart des rapports d’activité suspecte mentionnés dans les FinCEN Files font partie des documents compilés par Robert Mueller, alors procureur spécial américain. De 2017 à 2019, il a dirigé une enquête sur d’éventuelles relations illégales entre l’équipe de campagne de Trump et le gouvernement russe.

Les données montreraient notamment que l’ancien directeur de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, avait reçu des fonds de l’étranger via des sociétés écrans secrètes et les avait cachés aux autorités fiscales américaines.

Qu’est-ce que le blanchiment d’argent, au juste?

Les Nations Unies estiment qu’en moyenne, jusqu’à 5,5 milliards de dollars (environ 5 milliards de francs) sont blanchis chaque jour par le biais d’entreprises douteuses, écrit le «Süddeutsche Zeitung».



Le blanchiment d’argent désigne le fait de réinvestir des fonds obtenus illégalement dans le circuit financier légal. De grosses sommes d’argent issues du crime organisé, obtenues par le biais d’un trafic de drogue ou d’armes, d’activités de prostitution, de pratiques de corruption ou de jeux de hasard illégaux seraient ainsi «blanchies». Une fois que cet argent passe par divers comptes et diverses sociétés, il devient finalement impossible de savoir d’où il vient et à qui il appartient.

Quelle est la situation actuelle en Suisse?

Selon l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), la place financière suisse est particulièrement exposée aux risques de blanchiment d’argent car elle représente l’un des principaux sites mondiaux de gestion de fortune transfrontalière pour les clients privés. Bien que de nombreuses banques aient amélioré leur prévention en matière de blanchiment d’argent et identifient davantage de valeurs patrimoniales suspectes qu’ils signalent ensuite au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS), les risques restent élevés selon la FINMA.

Ainsi, d’après son rapport annuel pour 2019, le MROS a présenté l’an dernier plus de 2000 rapports aux autorités répressives sur la base de 7705 communications. Cela correspond à des actifs s’élevant à 12,9 milliards de francs. La majeure partie de cet argent provient d’activités présumées de fraude et de corruption.

Les FinCEN Files touchent-ils également la Suisse?

Comme le signale le «Tages-Anzeiger», plusieurs rapports d’activité suspecte ont un lien avec la Suisse. Les détails des transactions suspectes mentionnent de nombreuses banques suisses telles que le Crédit Suisse, UBS, Vontobel, Raiffeisen, Pictet, Julius Baer, J. Safra Sarasin et la Zürcher Kantonalbank. De nombreuses banques étrangères domiciliées en Suisse sont en outre mentionnées dans les FinCEN Files.

Toutefois, il ne s’agit que de cas suspects et pas nécessairement de fonds d’origine criminelle. Les banques américaines signalent souvent des cas suspects lorsqu’elles ne reçoivent pas d’informations de la Suisse ou d’autres pays tiers en raison du secret bancaire.

Comment s’organise la prévention du blanchiment d’argent en Suisse?

En Suisse, la lutte contre le blanchiment d’argent repose sur «la loi sur le blanchiment d’argent, le code pénal ainsi que les dispositions complémentaires des autres lois dans lesquelles les normes internationales trouvent leur application», selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Les communications de soupçons de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme sont reçues par le MROS, qui relève de l’Office fédéral de la police, et transmises éventuellement aux autorités judiciaires. Par ailleurs, la FINMA et la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ) contrôlent le respect des obligations de diligence par les intermédiaires financiers soumis à leur surveillance.



Au niveau international, la Suisse est avant tout impliquée au sein du Groupe d’action financière (GAFI). La Suisse a contribué à l’élaboration des 40 recommandations du GAFI, qui constituent les normes internationalement reconnues en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent fonctionnent-t-elles en Suisse?

Daniel Thelesklaf, qui a dirigé le MROS jusqu’en juin, explique toutefois au «Tages-Anzeiger» que le mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent ne fonctionne pas du tout efficacement en Suisse. «Le résultat est que nous ne refoulons qu’une fraction de l’argent qui est blanchi en Suisse.» Ce qui s’explique par le caractère abstrait de la menace, précise-t-il.

D’autre part, cependant, les banques sont devenues plus prudentes en raison de la pression politique croissante et signalent plus rapidement les cas suspects, ajoute-t-il. «Mais maintenant, cela a créé un goulot d’étranglement du côté du MROS. Fin 2019, plus de 6000 communications n’avaient pas encore été traitées», poursuit Daniel Thelesklaf. Ceci correspondrait à plusieurs milliards de francs d’actifs potentiellement illégaux.

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