Marabout accusé de viols «Il avait l’âge de mon fils» - L’accablante procession des femmes

AFP

30.4.2024

Elles sont venues seules, en catimini. Au procès d'un marabout devant la cour criminelle de Seine-Saint-Denis, la procession à la barre de femmes brisées dessine un parcours de viols en série dans la diaspora ouest-africaine de région parisienne.

Des femmes sont venues seules, en catimini au procès d’un marabout (image d’illustration).
Des femmes sont venues seules, en catimini au procès d’un marabout (image d’illustration).
imago images/Joerg Boethling

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Ali S., un trentenaire malien, est jugé depuis une semaine pour des violences sexuelles sur neuf femmes entre 2018 et 2020, en majorité des viols. La justice lui reproche, par ailleurs, d'avoir escroqué des milliers d'euros à de nombreuses femmes modestes.

Sur trois jours d'audience, de vendredi à mardi, une dizaine de parties civiles en larmes ont raconté à la cour criminelle comment l'homme avait instrumentalisé leurs croyances dans ses prétendus pouvoirs pour les mener pour beaucoup d'entre elles jusqu'à une chambre d'hôtel miteux de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Une mère divorcée de six enfants espérait que le marabout pourrait lever un obstacle à son mariage avec l'homme qu'elle aimait. Elle s'est trouvée réduite au statut de «jouet» entre les mains de l'accusé qui l'aurait plusieurs fois violée et l'a délesté de 400 euros mensuels sur ses 1.200 euros de salaire.

«Malédiction»

«Si je n'obéissais pas à ce qu'il disait, il allait me rendre folle ou jeter des malédictions sur mes enfants», rapporte la femme de chambre de 44 ans au hijab blanc, prise d'une crise de panique devant les cinq juges professionnels.

Les victimes sont là presque à leur corps défendant. Leur présence n'est due qu'à la ténacité d'un policier qui les a retrouvées à partir de factures téléphoniques de l'accusé et est parvenu à recueillir leurs confidences, pour celles qui ont bien voulu se confier.

«Compte tenu de notre civilisation, de notre culture, j'avais honte d'exprimer cela. Chez nous, c'est inimaginable pour une femme de dire qu'elle a été violée», relate une veuve malienne de 57 ans, la seule à avoir d'elle-même porté plainte pour viol contre le marabout, entraînant son arrestation en octobre 2020.

Déposition après déposition s'esquisse un schéma de prédation sexuelle visant un profil-type. Les victimes sont toujours des femmes d'âge mûr - entre 40 et 60 ans - de milieu populaire. Pieuses, elles restent fortement imprégnées de culture traditionnelle ouest-africaine. La plupart comprennent le français mais préfèrent s'exprimer en soninké, en pular ou en bambara.

«Djinns»

Certaines ont fait appel aux services du marabout pour guérir un enfant malade ou un membre douloureux. D'autres ont été abordées dans la rue: il affirmait pouvoir les libérer de «djinns» (esprits malins) leur voulant du mal. Toutes ont été harcelées, menacées, terrorisées.

«Il avait l'âge de mon fils!», souligne une femme de ménage quinquagénaire née au Sénégal. «Depuis que ce malheur est advenu, je n'en ai parlé à personne. Ni à mes enfants, ni à mes amies.»

Dans le box, Ali S. regarde avec nonchalance les victimes s'écrouler une par une sur la chaise installée au pied du micro. Par moments, il en sourit, à d'autres il baille.

Le front affichant une tache de prière, un gage ostentatoire de piété musulmane qui lui a permis de gagner la confiance de certaines, il dément toute relation sexuelle contrainte. «Il y a beaucoup de femmes qui courent derrière moi», ose le migrant au parcours peu documenté, arrivé en France en 2014 et qui encourt 15 ans de prison.

Les cheveux rangés dans un élégant turban rouge, c'est au tour d'une agente hospitalière escroquée de 17.500 euros d'être entendue. «Moi on ne m'a volé que de l'argent, je n'ai pas été violée», avait-elle tenu à préciser durant l'enquête.

«Je ne sais pas»

Poussée par la présidente Isabelle Pulver, la bientôt sexagénaire finit pourtant elle aussi par décrire, un mot à la fois, comme arrachés, une scène correspondant à un viol.

Le bornage de son téléphone la situe même à plusieurs reprises dans l'hôtel de Montreuil, scène de la plupart des viols présumés, quand elle affirme ne s'y être rendue qu'une unique fois. «Il s'est peut-être passé d'autres choses?», s'enquiert la présidente. Lourd silence. «Je ne sais pas», s'effondre la quinquagénaire.