Elle peut s'attraper avec une pince à épiler: la plus grosse bactérie du monde, 5.000 fois plus grande que ses semblables et de structure bien plus complexe, a été découverte en Guadeloupe, selon une étude parue jeudi dans la revue Science.
Photo prise en avril et diffusé en mai par le laboratoire national Lawrence Berkeley d'un site de prélèvement dans les mangroves de Guadeloupe où la bactérie géante Thiomargarita magnifica a été trouvée
Photo prise en avril et diffusé en mai par le laboratoire national Lawrence Berkeley d'un site de prélèvement dans les mangroves de Guadeloupe où la bactérie géante Thiomargarita magnifica a été trouvée
Image de microscope 3D diffusée le 23 juin 2022 par le laboratoire national Lawrence Berkeley de la bactérie géante Thiomargarita magnifica
Image de microscope 3D diffusée le 23 juin 2022 par le laboratoire national Lawrence Berkeley de la bactérie géante Thiomargarita magnifica
Image de microscope 3D diffusée le 23 juin 2022 par le laboratoire national Lawrence Berkeley de la bactérie géante Thiomargarita magnifica
La plus grosse bactérie du monde découverte en Guadeloupe - Gallery
Photo prise en avril et diffusé en mai par le laboratoire national Lawrence Berkeley d'un site de prélèvement dans les mangroves de Guadeloupe où la bactérie géante Thiomargarita magnifica a été trouvée
Photo prise en avril et diffusé en mai par le laboratoire national Lawrence Berkeley d'un site de prélèvement dans les mangroves de Guadeloupe où la bactérie géante Thiomargarita magnifica a été trouvée
Image de microscope 3D diffusée le 23 juin 2022 par le laboratoire national Lawrence Berkeley de la bactérie géante Thiomargarita magnifica
Image de microscope 3D diffusée le 23 juin 2022 par le laboratoire national Lawrence Berkeley de la bactérie géante Thiomargarita magnifica
Image de microscope 3D diffusée le 23 juin 2022 par le laboratoire national Lawrence Berkeley de la bactérie géante Thiomargarita magnifica
«Thiomargarita magnifica» mesure jusqu'à deux centimètres, ressemble à un «cil» et bouscule les codes de la microbiologie, décrit à l'AFP Olivier Gros, professeur en biologie à l'Université des Antilles, co-auteur de l'étude.
Dans son laboratoire du campus de Fouillol, à Pointe-à-Pitre, le chercheur montre fièrement une éprouvette contenant de petits filaments blancs. Quand la taille moyenne d'une bactérie est de deux à cinq micromètres, celle-ci «se voit à l’œil nu, je peux la prendre avec une pince à épiler!», s'émerveille-t-il.
C'est dans la mangrove guadeloupéenne que le chercheur a observé le microbe pour la première fois, en 2009. «Au départ je pensais que c'était tout sauf une bactérie car quelque chose de deux centimètres, ça ne peut pas en être une».
Assez vite, des techniques de description cellulaire avec microscopie électronique montrent qu'il s'agit pourtant bien d'un organisme bactérien.
Mais avec cette taille, raconte le Pr Gros, «on n'avait aucune assurance que c'était une unique cellule» – une bactérie étant un micro-organisme unicellulaire.
Une biologiste du même laboratoire révèle qu'elle appartient à la famille Thiomargarita, un genre bactérien déjà connu se servant de sulfures pour se développer.
Et des travaux menés à Paris par une chercheuse du CNRS suggèrent qu'on a affaire à «une seule et même cellule», explique le Pr Gros.
«Aussi grand que le mont Everest»
Convaincue de sa trouvaille, l'équipe tente une première publication dans une revue scientifique, qui avorte. «On nous a répondu: c'est intéressant mais il nous manque de l'information pour vous croire», la preuve n'étant pas assez robuste en termes d'image, se souvient le biologiste.
Entre en scène Jean-Marie Volland, jeune post-doctorant de l'Université des Antilles, qui deviendra le premier auteur de l'étude parue dans Science.
N'ayant pas obtenu de poste d'enseignant-chercheur en Guadeloupe, le trentenaire s'était envolé pour les Etats-Unis, où l'Université de Berkeley l'a recruté. En partant là-bas, il avait en tête d'étudier «l'incroyable bactérie» dont il était déjà familier.
«Ce serait comme rencontrer un humain aussi grand que le mont Everest», se disait-il. A l'automne 2018, il reçoit un premier colis expédié par le Pr Gros à l'institut de séquençage du génome du laboratoire national Lawrence Berkeley, géré par l'université.
Le challenge fut essentiellement technique: réussir à rendre une image de la bactérie dans son ensemble, grâce à des «analyses de microscopie en trois dimensions, à plus fort grossissement».
Au sein du laboratoire américain, le chercheur disposait de techniques de pointe. Sans oublier un important soutien financier et «l'accès à des chercheurs experts en séquençage de génome», reconnaît le scientifique, qualifiant cette collaboration américano-guadeloupéenne de «success story».
Ses images en 3D permettent enfin de prouver que tout le filament est bien une seule et même cellule.
Outre son «gigantisme», la bactérie se révèle aussi «plus complexe» que ses semblables: une découverte «totalement inattendue», qui «chamboule pas mal les connaissances en microbiologie», témoigne le chercheur.
«Alors qu'habituellement chez les bactéries, l'ADN flotte librement dans la cellule, chez celles-ci il est compacté dans de petites structures appelées pépins, sorte de petits sacs entourés d'une membrane, qui isolent l'ADN du reste de la cellule», développe Jean-Marie Volland.
Cette compartimentation de l'ADN – la molécule support de l'information génétique – est «une caractéristique des cellules humaines, animales, végétales... pas du tout des bactéries».
De futures recherches devront dire si ces caractéristiques sont propres à Thiomargarita magnifica ou si elles se retrouvent sur d'autres espèces de bactéries, selon Olivier Gros.
«Ce géant bactérien remet en question beaucoup de règles établies en microbiologie» et «nous offre l'opportunité d'observer et comprendre comment la complexité émerge chez une bactérie vivante», s'enthousiasme Jean-Marie Volland.